«Longlegs»: Osgood Perkins, ou l’art de l’effroi
Une maison isolée sur fond de morne panorama hivernal… Une voiture garée sur le bord de la route… Une fillette curieuse qui part investiguer… Un inconnu mystérieux qui s’amène… Et sa voix, sa voix faussement douce, faussement rassurante… La séquence d’ouverture du film Longlegs (V.F.) se clôt sur un choc tel qu’on en bondit de son siège. Construit et filmé de manière magistrale, ce passage donne le ton, menaçant, et surtout établit l’atmosphère, anxiogène, qui prévaudront. Quatrième film d’Osgood « Oz » Perkins, qui creuse un sillon horrifique singulier depuis qu’il a troqué le jeu pour la réalisation, Longlegs l’impose comme l’un des maîtres du cinéma d’épouvante.
« L’ouverture est décrite telle quelle dans mon scénario, explique Osgood Perkins lors d’un entretien exclusif avec Le Devoir. Quand j’arrive sur le plateau, tout est méticuleusement planifié. Je n’improvise jamais : je n’ai pas ce temps-là ni ce luxe-là. La séquence est campée dans les années 1970, et filmée en format carré : visuellement, l’idée était d’évoquer l’esthétique d’un vieux Polaroïd d’époque. C’est comme le fragment d’un souvenir incomplet. »
Précédé d’échos dithyrambiques justifiés, Longlegs conte la traque que mène Lee Harker, une jeune agente du FBI, d’un tueur en série qui s’en prend à des familles, et dont le modus operandi est étrange, c’est le moins qu’on puisse dire. Les motivations du meurtrier sont, entre autres, d’ordre satanique.
Pour mémoire, c’était également le cas dans le premier film d’Osgood Perkins, The Blackcoat’s Daughter.
« Ce n’était pas prémédité, que je me cite moi-même : ça s’est fait en cours d’écriture. J’étais conscient de revisiter des thèmes et des motifs de mon premier film, mais au départ, j’y voyais surtout une manifestation de ma signature. L’écriture, c’est un peu comme une galerie des glaces, parce que je finis toujours par me rendre compte que je suis le sujet. Plus j’avançais, et plus j’avais l’impression de m’approprier mon propre univers cinématographique. Après mon précédent film, Gretel & Hansel, le seul de mes films que je n’ai pas entièrement écrit, c’était un peu comme regagner mon domaine, revenir dans mon monde imaginaire. »
Dans cet « univers cinématographique » qu’est celui d’Osgood Perkins, l’héroïne règne sans partage. En effet, à l’instar des trois autres films du cinéaste, Longlegs est porté par une protagoniste qui fait face à une énigme aux accents surnaturels. Avant cette agente du FBI lancée aux trousses d’un élusif tueur, il y eut la pensionnaire troublée par les agissements d’une consoeur dans The Blackcoat’s Daughter, puis l’infirmière soupçonnant la maison de sa patiente âgée d’être hantée dans I Am the Pretty Thing That Lives in the House, et enfin la soeur aînée intriguée par ce que la sorcière cache dans sa cave dans Gretel & Hansel.
Panache formel et développements funestes, chaque fois…
« Dans les films que j’ai faits jusqu’ici, je me penche sur ce qui nous est inconnu, nous est caché ; ce qu’on devine, vaguement, sans arriver à le voir tout à fait, et qui nous angoisse à un niveau viscéral. Qu’y a-t-il derrière le rideau, sous le gant, derrière le masque ? Ce qui est paradoxal, c’est que je me projette dans toutes mes protagonistes, mais justement, en faire des femmes plutôt que des hommes, ça me permet d’ajouter une couche de mystère. Parce que je ne pourrais jamais prétendre comprendre, réellement comprendre, comment une jeune femme pense et fonctionne. Ça accroît mon niveau de curiosité, et donc, ça stimule mon imagination. »
Cage au laser
Si sa protagoniste du moment, jouée avec brio par Maika Monroe (It Follows / Traquée), est mémorable, l’est encore plus son antagoniste, incarné par un Nicolas Cage tétanisant (cette voix)…
« Nic est très rigoureux. Pour se préparer, il a longuement étudié le texte, car la ponctuation du personnage est particulière ; ça a imprimé un rythme et fait naître une sonorité. Le personnage a en outre une attitude un peu guindée, mais ça dissimule un inconfort, un malaise… Nic donne parfois l’impression d’être hors de contrôle, mais c’est tout le contraire : il est un fucking rayon laser. »
La ponctuation du meurtrier n’est en l’occurrence pas le seul élément qui distingue les répliques. Dans tous les films d’Osgood Perkins, les dialogues ont un côté littéraire : un parti pris qui rehausse la charge insolite globale.
« J’ai fait une majeure en littérature anglaise, et bien que je connaisse le cinéma, mes influences sont d’abord littéraires : Virginia Woolf, James Joyce… En fait, mes scénarios commencent toujours sous forme de longs blocs de prose, parce que c’est ce qui me vient naturellement. Ensuite, j’élague. Mais ces dialogues qui restent, ils ont un double avantage : ils disent ce que je veux dire, et ils en disent plus, de manière codée, secrète… »
Terreur dilatée
Son exploration de l’indicible, Osgood Perkins l’effectue en privilégiant une tension à combustion lente. Là encore, c’est une constante dans ses films. Il s’agit cependant d’une approche risquée, la ligne pouvant être mince entre hypnotique et léthargique. Dans Longlegs, la maîtrise de Perkins en la matière est totale : c’est de la terreur dilatée pendant 101 minutes.
« Avec mon directeur photo, Andres Arochi, nous avons d’emblée établi que nous maintiendrions une approche distanciée, comme si la caméra était objective : la caméra ne représente jamais le point de vue d’un personnage, ne s’approche jamais en très gros plan… Pour vous donner un point de comparaison : lors d’un face-à-face entre deux voitures, si vous êtes collé sur l’accident, vous n’en percevrez pas le déroulement. À l’inverse, si vous voyez l’accident se produire de loin, c’est saisissant, parce que vous êtes alors en mesure d’anticiper la collision, de la voir survenir, tout en éprouvant un sentiment d’impuissance, puisque vous ne pouvez rien faire pour l’empêcher. La distance fait de vous le témoin de quelque chose d’inéluctable. C’est dans cet état que je voulais placer le public. »
Les plans, dans leurs compositions mêmes, contribuent à générer de l’anxiété. De noter le cinéaste, ses choix de cadrage sont mûrement réfléchis.
« Par exemple, j’aime laisser beaucoup d’espace au-dessus de la tête des acteurs, à l’image, alors que l’usage veut qu’on cadre serré. Or, cet espace revêt une valeur symbolique très intéressante. C’est quoi, ce poids invisible ? Des pensées ? Des peurs ? Qu’est-ce qui préoccupe le personnage ? Est-ce Dieu, ou le Diable, qui flotte au-dessus de sa tête ? »
L’enfance de l’art
Et qu’est-ce qui flotte au-dessus de la tête d’Osgood Perkins ? On l’aura compris, sa démarche est pour l’heure exclusivement orientée vers le cinéma d’horreur. Rien d’étonnant à cela, Osgood Perkins étant tombé dedans enfant — littéralement.
De fait, il est le fils d’Anthony Perkins, interprète immortel du tueur Norman Bates dans le chef-d’oeuvre Psycho (Psychose), et qui fut lui-même un scénariste et un réalisateur.
Pour la petite histoire, Osgood Perkins joua jadis la version enfant de Norman Bates dans Psycho II (Psychose 2), aux côtés de son père. Je ne peux évidemment m’empêcher d’interroger le principal intéressé sur la question, en lien avec son futur genre de prédilection.
« J’avais à peine 8 ans… » se remémore Osgood Perkins en souriant, son regard semblant soudain chercher une prise sur le passé.
« Le contexte général est flou, mais ce dont je me souviens précisément, c’est le sentiment que j’ai éprouvé sur le plateau, aux studios Universal. Je me tenais en haut de ce mythique escalier [de la maison Bates], et c’était évidemment un décor, mais pour moi, c’était complètement vrai. Je me souviens avoir été laissé seul avec la caméra, face à cette porte, la porte de la chambre de la mère de Norman… Je revois ces reflets et ces ombres changeantes — sans doute de simples mises au point d’éclairage… Et je me souviens que, même en me sachant dans un décor de cinéma, j’ai eu peur. Par la suite, l’idée qu’on puisse fabriquer quelque chose d’artificiel, un film, et que ça puisse devenir tellement réel que ça engendre de la peur, ça m’a fasciné. Mais comme je vous dis, c’est flou… »
Flou, oui… comme un fragment de souvenir incomplet.
Le film Longlegs prend l’affiche le 12 juillet.