Alice Krige, portrait d’une actrice culte
La voix est profonde et soyeuse, mais les mots résonnent telle une menace : « Je vais t’emmener en des lieux où tu n’as jamais été. Je vais te montrer des choses que tu n’as jamais vues. Et je regarderai la vie s’échapper hors de toi. » Tirée du film Ghost Story (Le fantôme de Milburn), cette réplique est livrée par Alice Krige, en revenante vengeresse, et alors en tout début de carrière. Or, au vu de sa filmographie, on pourrait dire que l’actrice a tenu cette promesse funeste au-delà du film, entraînant à répétition le public en d’insolites contrées, mais en lui laissant certes la vie sauve. Ces jours-ci, elle campe une femme qui se découvre d’étranges pouvoirs à la suite d’une mastectomie dans She Will, sélectionné au festival de Locarno. Comédienne fascinante, Alice Krige est l’invitée du Comiccon cette fin de semaine.
Future autrice de Frankenstein dans Haunted Summer (Un été en enfer), créature féline incestueuse dans Sleepwalkers (Les somnambules), reine Borg séductrice dans Star Trek: First Contact (Star Trek : Premier contact), prêtresse fanatique dans Silent Hill, sorcière féministe dans Gretel and Hansel, logeuse protectrice du tueur Leatherface dans le récent Texas Chainsaw Massacre (Massacre à la tronçonneuse)… Que l’on ne s’y trompe pas : Alice Krige est une actrice culte du cinéma d’épouvante et de science-fiction.
Un statut que la principale intéressée, rencontrée au Palais des congrès, rejette en rougissant.
« Ce sont les rôles qu’on me propose. Pour moi, c’est le personnage qui compte plutôt que le genre. Mon objectif est chaque fois de “trouver” le personnage : chacun d’eux est l’occasion d’un voyage. Maintenant, c’est vrai que l’horreur, l’épouvante — outre que c’est infiniment vaste —, ça permet d’explorer des zones, disons, moins fréquentées ? Et puis, tout y est souvent amplifié : les enjeux, les émotions… Ça peut être grisant à jouer. »
Au coeur des ténèbres
Grisant, oui, mais parfois effrayant. En cela qu’il peut arriver qu’en « explorant », on s’aventure plus loin qu’on l’avait prévu.
« À l’époque de Silent Hill, j’avais un petit chien, Skipper, qui me faisait toujours une fête lorsque je rentrais à la maison. Le tournage de ce film a été très éprouvant : j’avais mal mesuré à quel point ce voyage-là en serait un au coeur des ténèbres. Mais je m’étais engagée et il était hors de question que je fasse mon travail à moitié. Et bref, après le tournage, lorsque je suis rentrée chez moi, Skipper s’est précipité pour m’accueillir, mais en arrivant à ma hauteur, il a soudain reculé en geignant. Il a refusé de m’approcher pendant trois semaines. C’est la seule fois, et j’en suis bien heureuse, où un personnage s’est accroché à moi de la sorte. »À cet égard, Alice Krige précise qu’un des facteurs susceptibles de lui faire refuser un rôle est un excès de violence gratuite.
« Dans Texas Chainsaw Massacre, mon personnage meurt avant le massacre, donc c’était parfait pour moi ! » plaisante-t-elle avant d’ajouter : « Pour moi, cette femme était d’une complète innocence : elle n’avait aucun contact avec le monde extérieur ; elle était comme une enfant. »
À l’inverse, dans un rôle comme Holda, la sorcière dans l’envoûtant Gretel and Hansel, c’est un puits insondable de savoir que devait suggérer Alice Krige dans le moindre de ses regards. « Ce qui m’a attirée dans ce film, c’est le langage qu’y utilise Osgood [Perkins, fils d’Anthony Perkins] ; une langue riche qu’on n’entend plus au cinéma. Visuellement, le film est un ravissement ; la forme et le fond sont en constant dialogue. »
En l’occurrence, Alice Krige a un faible pour les propositions ambitieuses sur le plan esthétique. C’est pourquoi, au sein d’une filmographie finalement très variée qui inclut d’excellents drames comme Barfly, de Barbet Schroeder, d’après Bukowski, et See You in the Morning (À demain, mon amour), d’Alan J. Pakula, certains de ses plus beaux souvenirs sont associés à des oeuvres expérimentales.
« Je pense à Institute Benjamenta, des frères Quay. Nous tournions à Hampton Court House, dans un manoir délabré. Dès que j’en ai franchi la porte, j’ai eu l’impression d’entrer dans un rêve. Cette impression a duré pendant tout le tournage. »
Pour mémoire, ce magnifique opus noir et blanc aux allures de songe poético-expressionniste se déroule dans une école pour domestiques où enseigne le personnage d’Alice Krige. Ami des frères Quay, le cinéaste Guy Maddin, autre inclassable poète de l’image, sollicita ensuite Alice Krige pour Twilight of the Ice Nymphs, ou les péripéties d’un ex-détenu en des territoires mystérieux.
« J’ai terminé le tournage de Star Trek: First Contact, une grosse production hollywoodienne, et je me suis envolée pour Winnipeg pour cette production sans moyen, mais portée par le tempérament artistique singulier de Guy. Quelle aventure ! Je regarde ma carrière, avec ses extrêmes, et je me dis que j’ai une chance folle. »
Le film She Will constitue une autre de ces « aventures » que chérit Alice Krige. Écrit et réalisé par Charlotte Colbert et produit par Dario Argento (objet d’un cycle à la Cinémathèque québécoise du 15 au 24 juillet), She Will promet en effet une facture saisissante et un récit intrigant où dominent vengeance, comme dans Ghost Story, et sorcellerie, comme dans Gretel and Hansel. D’hier à aujourd’hui, on boucle l’effroyable boucle…
Lorsqu’on lui demande pourquoi, selon elle, tant de gens aiment avoir peur au cinéma, Alice Krige marque une pause. « C’est une émotion forte, peut-être la plus viscérale de tout… Le cinéma permet de la ressentir sans danger… »
On sait qu’on sera terrifié, mais l’envie n’en est pas moins irrésistible. Pour un peu, on entendrait presque Holda dans Gretel and Hansel lorsqu’elle murmure : « Ce qu’il y a avec le poison, c’est que rien en ce grand méchant monde n’a un goût aussi doux. »
Alice Krige est en séance de dédicace au Comiccon du 8 au 10 juillet. Le film She Will sera disponible en VSD dès le 15 juillet.