«La branche tordue»: fantôme intergénérationnel

La mémoire généalogique existe-t-elle ? Les agissements, les choix, les tragédies de nos ancêtres ont-ils une influence sur notre façon d’expérimenter le monde et de réagir aux traumatismes, sur notre capacité de résilience ou encore sur notre fonctionnement psychologique et physique ?

À travers le récit croisé de deux femmes, deux mères, issues de la même lignée — l’une vivant dans l’Irlande du   siècle, pendant la grande famine de la pomme de terre, l’autre, à New York, dans le Queens d’aujourd’hui —, l’écrivaine américaine Jeanine Cummins triture ces questions et formule de passionnantes pistes de réflexion.

Après la naissance de sa fille Emma, Majella ne se reconnaît plus. Déboussolée, isolée et épuisée, elle désespère, ne se trouvant pas à la hauteur des images maternelles qu’elle façonne dans sa tête depuis l’enfance. Elle-même brisée par une relation mère-fille conflictuelle dans laquelle elle ne s’est jamais sentie écoutée ni comprise, la jeune mère rêve d’offrir mieux à son bébé.

Un jour, Majella trouve dans son grenier un journal intime écrit par l’une de ses ancêtres, Ginny Doyle, mère de quatre enfants et survivante de la famine irlandaise. Au cours de sa lecture, elle tombe sur un passage dans lequel Ginny Doyle raconte avoir tué une femme. Dès lors, Majella se questionne. Est-elle génétiquement programmée pour échouer dans sa maternité ?

En parallèle, Jeanine Cummins développe le parcours de cette mystérieuse ancêtre. En 1846, Ginny Doyle mène une existence heureuse auprès de son mari, Raymond, et de ses quatre enfants lorsqu’un fléau s’abat sur leur ferme et ruine leur récolte de pommes de terre, ce qui place la famille dans une situation extrêmement précaire. Autour d’eux, les habitants sont expulsés et la famine se généralise, propageant une dangereuse fièvre. Dans l’espoir d’une vie meilleure, Raymond monte à bord d’un paquebot en direction de New York.

Alors que les mois passent sans qu’elle ait de nouvelles ou d’argent, et que ses réserves de nourriture s’épuisent, Ginny prend une décision impossible, celle de laisser ses enfants derrière et d’accepter un poste de gouvernante, dans l’espoir que ces derniers survivent.

Après la traduction française du controversé American Dirt (2020), pour lequel l’écrivaine américaine avait été accusée d’appropriation culturelle vu sa tentative de raconter la réalité migratoire mexicaine, Jeanine Cummins offre un nouveau roman aux lecteurs francophones. Avec La branche tordue, elle fait le choix judicieux du terrain connu, explorant avec beaucoup de précision et sans faux-semblant le choc de l’arrivée d’un bébé, et les montagnes russes émotionnelles qui accompagnent la maternité, tant dans la catastrophe que dans le confort de la normalité.

Bien que l’histoire de Ginny Doyle s’avère prenante, révélatrice, riche en suspense et en rebondissements, celle de Majella, plus linéaire, capte moins l’imaginaire. En dépit d’une narration inégale, Jeanine Cummins parvient à tisser des liens entre ses deux héroïnes, puisant la force de son récit dans leur vulnérabilité comme dans leur désespoir.

La branche tordue

Jeanine Cummins, traduit par Christine Auché, Philippe Rey, Paris, 2024, 443 pages

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