Quel avenir pour la politique française au terme des législatives?
Le Nouveau Front populaire (NFP), l’alliance des partis de gauche, est sorti en tête des élections législatives, dimanche, déjouant les pronostics en devançant le camp présidentiel d’Emmanuel Macron et l’extrême droite. La France s’apprêtant à entrer dans une période d’incertitude politique, aucun bloc n’ayant la majorité pour gouverner, des experts se prononcent sur l’avenir du gouvernement de la Ve République.
Quels seront désormais les enjeux au sein de cette nouvelle Assemblée nationale ?
Le NFP représente l’alliance comptabilisant le plus de sièges, avec 180 sièges. Il pourra donc prétendre à former le gouvernement de la Ve République. L’enjeu maintenant sera donc de « faire fonctionner l’alliance, de la maintenir », explique le chercheur en études stratégiques et diplomatiques à la Chaire Raoul-Dandurand Julien Tourreille, joint depuis la France par Le Devoir.
Au lendemain des élections européennes, qui avaient couronné le Rassemblement national (RN), lui prédisant la victoire suivante aux législatives, la gauche avait mis de côté ses divisions afin de s’allier.
Or, ces dissensions existent toujours, notamment entre le Parti socialiste (PS) et La France insoumise (LFI). En fonction des rapports de force au sein du NFP, un parti revendiquera le droit de former le gouvernement, ce qui pourrait créer des tensions. Il faudra aussi choisir qui remplacera Gabriel Attal comme premier ministre et de quelle faction de la gauche ou du centre celui-ci sera issu.
« Ça risque de prendre un peu de temps avant qu’on arrive à dégager une figure qui serait en mesure d’avoir une majorité […] dans cette nouvelle assemblée, qui est quand même très très fragmentée », soulève Julien Tourreille. M. Attal pourrait donc rester à la tête d’un gouvernement chargé de régler les affaires courantes pour les prochaines semaines.
« Au sein du NFP, le premier enjeu, c’est arriver à s’entendre, résume le politologue. Et ça, ce n’est pas gagné. »
Que peut-on attendre pour l’avenir politique français ?
Imprévisibilité, instabilité, incertitude… Les prochaines semaines s’annoncent « très compliquées » en matière de politique interne dans l’Hexagone, estime Julien Tourreille.
Le politologue doute qu’un changement de culture politique qui inculquerait au NFP et au camp présidentiel la capacité de gouverner ensemble arrive à s’opérer assez rapidement et de façon significative.
L’expert souligne notamment la détestation d’Emmanuel Macron chez certains membres du NFP et, inversement, il s’imagine mal des membres du mouvement présidentiel tels qu’Édouard Philippe ou Gérald Darmanin travailler avec des ministres insoumis.
S’unir pour gouverner demeurerait tout de même « la chose la plus rationnelle à faire, probablement la plus sensée […] par rapport au risque du Rassemblement national », avance-t-il.
« Je pense qu’ils iront vers le plus petit dénominateur commun », poursuit le spécialiste, qui juge que des choses pourraient être négociées quant à l’accélération de la lutte contre les changements climatiques et le renforcement des moyens de la justice. La loi sur l’immigration pourrait également être suspendue ou revue.
Julien Tourreille écarte toutefois la possibilité de l’abrogation de la réforme des retraites, comme l’indiquait le programme du NFP. Les députés restants de l’ancienne majorité présidentielle s’y opposeraient, et cela risquerait de creuser le fossé dans ce « front républicain ».
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Qu’advient-il du camp du président Macron ?
Les macronistes ne s’en sont pas trop mal tirés avec de 158 élus, alors qu’une défaite à l’image de celle des Européennes leur était prédite.
S’ils perdent des députés, ils ne sortent néanmoins pas complètement « rayés de la carte », constate Julien Tourreille.
Le doctorant en science politique à l’Université de Montréal et expert en politique française Julien Robin croit pour sa part que plus de députés macronistes « vont s’autonomiser par rapport au locataire de l’Élysée ».
Comme Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter à la présidence au terme de son quinquennat, le doctorant estime que de nouvelles pratiques des députés macronistes s’éloignant de leur chef actuel se révéleront.
Mais le principal motif d’espoir pour le camp présidentiel s’incarne selon Julien Tourreille en Gabriel Attal, qui sera quand même crédité pour avoir fait une bonne campagne à ces législatives, même s’il a perdu et qu’il ne sera plus premier ministre.
« Si on se projette déjà sur 2027, aujourd’hui, il apparaît comme une figure incontournable », dit Julien Tourreille.
« Cette dissolution, je ne l’ai pas choisie, mais j’ai refusé de la subir », a dit dimanche Gabriel Attal en annonçant qu’il remettrait sa démission au poste de premier ministre lundi .
Julien Tourreille estime que M. Attal a ainsi démontré sa capacité à se distancier d’un président impopulaire. « Il n’a pas à rougir de la défaite de ce soir, parce qu’elle n’est pas de son chef », dit l’expert. « Il devient un poids lourd politique de ce groupe-là. »
Victoire ou défaite pour l’extrême droite ?
Pour le RN, déclaré vainqueur après le premier tour et qui finit en troisième place au bout du compte, il s’agit d’« une défaite peut-être annonciatrice de succès », croit Julien Tourreille.
Le RN demeure effectivement le parti unique cumulant le plus de sièges à l’Assemblée nationale avec 143 députés élus, un nombre historique. Le parti d’extrême droite pourra ainsi « revendiquer une légitimité politique supérieure aux autres », estime l’expert, qui note aussi la progression constante de la formation politique de Jordan Bardella et Marine Le Pen.
Le RN s’imposera désormais comme la vraie force de changement, la vraie solution de rechange, un parti uni sur des principes clairs, pense le politologue. Il tentera de tirer profit des failles de la gouvernance des alliances et tiendra le discours que le pays est ingouvernable en incitant les Français à lui donner les pleins pouvoirs en 2027.
D’où l’importance, selon M. Tourreille, que la coalition républicaine réunissant la gauche, le centre et certains députés de droite arrive à prouver à la population qu’elle peut tenir les rênes du pays.
« Ça place les enjeux politiques fondamentaux pour les trois prochaines années », conclut Julien Tourreille.