Accepter la prise de poids
Pour des raisons que j’ignore — probablement parce que je n’ai jamais tenté de les comprendre —, mon poids est depuis longtemps comme un yoyo ; il monte et il redescend facilement. Et moi, je suis comme un enfant avec son jouet : je guide, mais je laisse aussi mon corps vivre sa vie. Monter, redescendre, monter… Tant que ça roule su’a corde, j’ai en général du fun.
Mais il y a quelque temps, je suis montée sur la balance et je pouvais y lire vingt bonnes livres de plus que mon poids habituel à son plus haut. Ah bin tabarouette, c’est aussi à peu près le nombre de livres non ouverts qui traînent sur ma table de chevet. Y aurait-il un lien à faire entre ces deux observations ? Je crois bien que oui. Le poids des responsabilités ne prend pas que de l’espace, il gobe aussi du temps. Et il est vrai que j’en ai moins que d’habitude.
Un autre bon indicateur a été ma paire de jeans Old Navy. Même si ça fait un bail que je ne magasine plus là — essayant de privilégier comme je peux le vintage ou les créateurs locaux —, il n’en demeure pas moins que tous mes jeans prefs ont été achetés chez Old Navy. J’ai dû les porter quatre jours sur sept pendant des années, que je sois quinze livres en haut ou en bas. Ostie que j’étais bien dedans.
Me voilà donc aujourd’hui perplexe, comme l’enfant découvrant son yoyo avec une corde toute mêlée.
QUI a fait ça à MON jouet ? !
J’ai eu le réflexe d’accuser un facteur extérieur, car, bien que je manque de temps, je mange pourtant pas mal comme avant, je demeure active, je prends les mêmes médicaments.
Alors pourquoi, là, maintenant, quand je veux enfiler mes Old Navy, ils arrêtent leur glissade aux fesses ?
Est-ce comme un manège qu’on doit arrêter à La Ronde, « l’instant de vérifier quelque chose » ?
Voix à l’intercom : ne vous inquiétez pas, chers usagers du parc. Notre technicien maison a besoin de quelques minutes. Votre manège préféré se remettra en marche sous peu.
Notre corps, ce jouet d’antan
Le corps est le jouet qui nous accompagne tous depuis le plus longtemps. Celui qu’on traîne partout comme un yoyo. Celui qui fait vivre des hauts et des bas.
Quels sont vos jeux préférés avec celui-ci ?
Moi, je le chéris quand je marche au Jardin botanique, et que je me penche pour sentir les fleurs.
Quand je saute dans le lac, et que ma nage de petit chien m’apporte autant de bonheur que la première fois que j’ai réussi à nager seule dans la piscine des voisins, rue Boisfranc.
Quand je réalise que, couchée sur le dos, j’arrive encore à tenir ma fille de douze ans sur mes fortes jambes : elle fait l’avion comme quand elle était petite, on rit, puis je ne suis plus capable de tenir, et je sens sa chair tomber sur la mienne. Je suis en vie.
Quand je fais l’amour.
Tout le monde s’haït
Il y a un balado fort populaire que j’adore écouter chaque semaine et que vous connaissez peut-être aussi, Tout le monde s’haït, animé par les humoristes Sam Cyr et Marylène Gendron.
Pour ceux qui ne l’auraient jamais écouté, son concept est simple : chaque semaine, une personnalité publique y est invitée pour discuter sans filtre de ses complexes avec les animateurs qui ont cette force de tout accueillir, sans jugement, avec beaucoup d’humour (et de l’exagération aussi).
J’ai remarqué au fil de mes écoutes que plusieurs de ces invités, surtout ceux de mon âge, ont lancé au cours de la discussion avoir été atteints par les propos de leur mère, qui, souvent pendant leur enfance ou leur adolescence, s’est plainte de son poids.
Bref, nous avons parlé de ce balado et de complexes pendant un souper entre amis.
— Quoi, Maya ? ! Ta mère n’a jamais parlé de régime, de portions à calculer, de calories, de son bikini dans lequel elle voulait rentrer avant l’été ? !
— Non, je te jure. En 41 ans, je n’ai jamais entendu ma mère parler de ça.
— Je sais pas si tu sais combien c’est rare. T’es chanceuse…
Cette jupe est faite pour jouer
Pour la première fois de ma vie, moi qui ai toujours été bien dans mon corps, j’ai pleuré quelques minutes quand j’ai vu mon nouveau poids. Il est vrai aussi que je me sentais un peu plus lourde depuis quelques semaines. Et c’est comme si, bien que j’aie toujours été à l’aise avec mon poids élastique, j’avais atteint ma propre limite de ce que j’aime pour moi en remettant dans le tiroir mes jeans pourtant les plus malléables.
Bon, QUI a fait ça à MON jouet ?
L’ordinateur devant lequel je dois passer trop de temps pour faire le métier que j’aime ? Une préménopause de laquelle je ne suis pas encore au courant ? La Quarantaine ?
Certes, j’en glisserai quelques mots à mon médecin de famille la prochaine fois que je la verrai.
Entretemps, à tout hasard lors d’une promenade pour faire l’épicerie hier, j’ai aperçu une longue jupe de jean qui, de son présentoir, a chuchoté mon nom (je vous jure). Je suis donc allée l’essayer dans la cabine et je me suis alors sentie aussi confortable que dans mes Old Navy, c’est peu dire.
Elle a été fabriquée avec un jean un peu moins rigide, elle n’a pas de bouton, seulement un élastique, et j’ai hâte de m’asseoir avec au milieu des fleurs au Jardin botanique.
Devrais-je, pour terminer, demander à mon éditrice de changer la photo qui accompagne cette rubrique, afin qu’elle soit plus raccord avec mon image actuelle ?
Non. Parce que le poids ne change pas qui je suis.
Nos jeux préférés sont, je crois, ce que nous sommes.