Cinq suites tardives aussi inattendues que réussies

Ryan Gosling tient la vedette de «Blade Runner 2049», de Denis Villeneuve, sorti 35 ans après l’original.
Photo: Warner Bros Ryan Gosling tient la vedette de «Blade Runner 2049», de Denis Villeneuve, sorti 35 ans après l’original.

Hollywood aime les remakes, les reboots et, surtout, les suites. Aux yeux des grands studios, celles-ci représentent des valeurs plus sûres que n’importe quelle proposition originale. En règle générale, les suites sont produites rapidement, histoire de battre le fer pendant qu’il est chaud. Or, il est également des suites tardives, plus rares. À l’affiche ce vendredi, Top Gun: Maverick (V.F.) paraît ainsi 36 ans après son prédécesseur. Pour l’occasion, voici un top-5 des suites parues des décennies après l’original.

À noter que sont exclues de ce palmarès éminemment subjectif les sagas au long cours comme Star Wars, Alien, Rambo, Terminator ou Mad Max (l’excellent Fury Road relevant, du reste, plutôt du reboot), ainsi que les cycles comme les Antoine Doinel, de François Truffaut, ou les Before…, de Richard Linklater.

5. Return to Oz (Oz, un monde extraordinaire, 1985), sorti 46 ans après The Wizard of Oz (Le magicien d’Oz, 1939)

De retour au Kansas, la jeune Dorothée ne pense qu’au merveilleux pays d’Oz, au grand désarroi de son oncle et de sa tante, qui la confient aux soins d’un psychiatre porté sur les électrochocs. On évoque même une lobotomie. Oui, il est ici bel et bien question d’un film pour enfants, le plus glauque qu’eût produit le studio Disney. Fairuza Balk, plus tard remarquée dans The Craft (Magie noire, 1996), succède à Judy Garland et s’avère excellente. Réalisé par Walter Murch, un monteur image et son d’exception lauréat de trois Oscar (y compris pour Apocalypse Now), Return to Oz fut conçu à une époque où Disney tentait de se réinventer avec des films jeune public à teneur plus sombre, comme Something Wicked This Way Comes (La foire des ténèbres, 1983), d’après Ray Bradbury. Hélas, ces tentatives se soldèrent par des échecs commerciaux et, dans ce cas précis, critiques.

Dans une réévaluation parue en 2021 dans The Guardian, Rick Burin célébrait ses « mondes cruels et saisissants », écrivant : « À mes yeux, Return to Oz constitue la plus insaisissable des créatures cinématographiques : la suite supérieure. Le film a des défauts, certes, mais aussi une ambition vertigineuse et une performance centrale fulgurante. »

4. The Color of Money (La couleur de l’argent, 1986), sorti 25 ans après The Hustler (L’arnaqueur, 1961)

En 1962, Paul Newman obtint sa seconde nomination aux Oscar comme Meilleur acteur pour The Hustler, paru l’année précédente. La vedette y incarnait Fast Eddie Falson, un as du billard qui tente d’accéder aux ligues majeures. Ce n’est toutefois que 25 ans — et quatre autres nominations dans la même catégorie — plus tard que Newman remporta la convoitée statuette pour son rôle de… Fast Eddie Falson. Réalisé par Martin Scorsese et mettant également en vedette Tom Cruise, The Color of Money est à la fois un hommage au classique de Robert Rossen, et un « vrai » film du réalisateur de Taxi Driver.

Au magazine Film Comment, Scorsese confiait en 1988 : « Même quand j’essaie de faire un film hollywoodien, il y a quelque chose en moi qui dit : “Va dans l’autre direction.” Avec The Color of Money, en collaboration avec deux grandes stars, nous avons essayé de faire un film hollywoodien. Ou plutôt, j’ai essayé de faire un de mes films, mais avec une star hollywoodienne : Paul Newman. Il s’agissait principalement de faire un film sur cette icône américaine. »

3. Psycho II (Psychose 2, 1983), sorti 23 ans après Psycho (Psychose, 1960)

Le film d’Alfred Hitchcock compte parmi ses plus emblématiques. En gérant de motel timide qui vit sous la coupe d’une mère tyrannique (et homicide), Anthony Perkins livrait la performance de sa carrière. Or, l’une des belles surprises de la suite est justement la composition souvent poignante de l’acteur, qu’on retrouve dans la peau de Norman Bates au sortir de deux décennies d’internement. Élève d’Hitchcock, le réalisateur Richard Franklin signe une mise en scène révérencieuse et efficace rehaussée par une excellente direction photo de Dean Cundey (Halloween, Jurassic Park) et une musique mélancolique de Jerry Goldsmith (à dessein aux antipodes de celle, terrifiante, de Bernard Hermann). Le film est surtout fort ingénieusement écrit par Tom Holland, dont le scénario fonctionne à la fois comme un mystère à l’ancienne et un slasher contemporain. Ce volet explique sans doute les critiques mitigées d’alors.

Dans une relecture subséquente, John Kenneth Muir avançait dans son ouvrage Horror Films of the 1980s : « Là où Psycho tentait de brouiller les pistes et de choquer au moyen d’innovations narratives […], Psycho II adopte une stratégie différente. Bien qu’il recèle sa bonne part de surprises, Psycho II est admirablement franc et sincère par rapport à ses personnages principaux. […] L’insistance de Franklin pour en faire une étude de personnage confère au plus célèbre des tueurs en série du cinéma une dimension supérieure à celle montrée dans l’original. »

2. Sarabande (2003), sorti 30 ans après Scènes de la vie conjugale (1973-1974)

Dans Scènes de la vie conjugale, peut-être l’un des meilleurs titres jamais trouvés, les époux Marianne et Johan se querellaient et se réconciliaient sans fin dix années durant. Après la version télévisuelle diffusée en 1973, Ingmar Bergman prépara l’année suivante un montage pour le cinéma. Rebelote 30 ans plus tard avec Sarabande, une suite aux tribulations matrimoniales de Marianne et Johan d’abord télédiffusée, puis présentée en salle. Séparés de longue date, les ex renouent — non sans heurt — alors que Marianne rend visite à Johan, qui s’est retiré du monde. Lors de la sortie québécoise du film, la collègue Odile Tremblay écrivait : « Dès le prologue, on comprend que tout sera à la fois dit et caché sur des airs de violoncelles, que la férocité lucide de Bergman coulera de source. Haine et amour, réconciliation et vengeance, se passent ici le relais par interprètes interposés, tous remarquables. »

Vrai : la simple vue de Liv Ullman et d’Erland Josephson habitant à nouveau ces rôles suffit à émouvoir. Tout comme le fait que Sarabande, œuvre de minimalisme et d’épure, s’avéra le testament de Bergman.

1. Blade Runner 2049 (2017), sorti 35 ans après Blade Runner (1982)

En 1982, Blade Runner reçut un accueil tiède et engrangea des recettes décevantes. Dix ans plus tard, une mouture plus proche de la vision originale du réalisateur Ridley Scott permit de jauger le film différemment. À présent considéré comme un chef-d’œuvre, ce récit d’un chasseur de prime spécialisé dans la traque d’humanoïdes à durée de vie limitée continue d’avoir une immense influence, surtout pour son atmosphère rétrofuturiste alliant film noir et manga.

Choisi pour réaliser la suite surprise, Denis Villeneuve se montra non seulement à la hauteur, mais il parvint au surplus à créer une œuvre incroyablement riche, tant sur le plan du fond que de la forme.

Au moment de la sortie, on écrivait en ces pages : « Fort d’un scénario brillant qui enrichit le questionnement existentialiste du premier film de considérations évolutives inattendues (le coscénariste de l’original, Hampton Fancher, est de retour), Denis Villeneuve développe davantage un univers foisonnant dont il révèle des pans insoupçonnés. Les fervents seront en outre ravis d’apprendre qu’il est des mystères que cette suite a eu la bonne idée de laisser entiers. »

Les films mentionnés sont disponibles en VSD sur plusieurs plateformes.

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«Top Gun: Maverick», superproduction de haut vol, notre critique ★★★★

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