Le programme Sous les pavés, la verdure sous le bitume
C’est connu, les surfaces minéralisées en milieu urbain contribuent à la création d’îlots de chaleur et empêchent le sol d’absorber les eaux de pluie, avec des conséquences parfois désastreuses. Aux quatre coins du Québec, des citoyens ont entrepris d’arracher, un mètre carré à la fois, l’asphalte et le béton sur des sites choisis dans le cadre d’un programme du Centre d’écologie urbaine baptisé « Sous les pavés ».
Inspiré du programme Depave, né à Portland, aux États-Unis, et d’un programme similaire mis en place à Peterborough, en Ontario, Sous les pavés a vu le jour en 2017. Il consiste à conclure des ententes de collaboration avec des municipalités et des organismes locaux pour désigner des sites minéralisés à reverdir, qu’ils soient de propriété publique ou à vocation communautaire.
Dans bien des cas, il s’agit d’espaces de stationnement qui sont convertis en espaces végétalisés, comme à Baie-Saint-Paul, où le stationnement du centre commercial Le Village a été verdi en 2022. Ailleurs, comme à Coaticook, une partie de la cour de l’école primaire Sacré-Coeur a été déminéralisée pour offrir un îlot de fraîcheur aux élèves de l’établissement.
« On porte une attention particulière aux milieux qui sont les plus vulnérables aux îlots de chaleur, mais on veut aussi améliorer la gestion des eaux de pluie à travers des aménagements verdis », avance Raphaëlle Dufresne, coordonnatrice de projets et développement – Adaptation aux changements climatiques et résilience du Centre d’écologie urbaine.
Implication citoyenne
Le nerf de la guerre, c’est toutefois la participation citoyenne tout au long du processus, souligne Mme Dufresne. Ceux-ci sont invités non seulement à suggérer des sites à verdir, mais aussi à contribuer au démantèlement de l’asphalte et à la plantation de végétaux. Les vaillants citoyens bénévoles sont donc appelés à se retrousser les manches pour arracher eux-mêmes le bitume, mais celui-ci est cassé au préalable avec la machinerie appropriée, tient à préciser Raphaëlle Dufresne.
Cette participation citoyenne est importante, souligne-t-elle. « Ce sont les citoyens qui subissent les effets des îlots de chaleur. Ce sont eux qui vont utiliser ces nouveaux aménagements verdis dans leur communauté. Donc, en faisant rencontrer les savoirs citoyens avec les savoirs plus professionnels, on pense qu’on va atteindre des solutions d’aménagement qui sont mieux adaptées et plus résilientes. »
Raphaëlle Dufresne reconnaît qu’il serait sûrement plus simple et plus rapide de procéder à ces opérations de verdissement en accordant un contrat à un entrepreneur sans une implication aussi soutenue des citoyens, mais cela saboterait le principe même du programme, qui consiste à enrôler les citoyens dans le processus d’urbanisme participatif et à les inciter à s’approprier leur petit espace végétalisé. « On veut mettre l’humain au coeur des décisions qui vont façonner leur quotidien, leur territoire et leur façon d’habiter », dit-elle.
Ce sont les citoyens qui subissent les effets des îlots de chaleur. Ce sont eux qui vont utiliser ces nouveaux aménagements verdis dans leur communauté.
Depuis sa création en 2017, le programme Sous les pavés a permis de réaliser 35 projets participatifs dans 12 régions du Québec avec la collaboration de 23 partenaires locaux. Quelque 5700 m2 d’asphalte ont été retirés et plus de 1600 arbres et arbustes ainsi que 6400 vivaces ont été plantés. La superficie des espaces reverdis va de 100 m2 à 300 m2. Les aménagements sont réalisés selon la volonté des citoyens pour créer des jardins nourriciers, des jardins de pluie, des forêts urbaines ou encore de simples espaces de détente.
Changement de mentalités
Saint-Jean-sur-Richelieu, en Montérégie, est l’une des trois municipalités — avec Boisbriand et Sherbrooke — qui, en 2021, se sont associées au Centre d’écologie urbaine pour réaliser des projets de verdissement dans le cadre de la deuxième phase du programme. Un projet-pilote permettra de transformer une partie du stationnement du parc René-Lévesque de manière à retirer l’asphalte de 7 des 79 cases de stationnement que compte le site. Il s’agit d’un îlot de chaleur dans un secteur où vit une population vulnérable, à proximité de trois écoles et d’un CPE, explique Marie Chochoy, chef de division, Division environnement et développement durable à la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Depuis 2022, la municipalité a consulté les citoyens du secteur qui ont réclamé la plantation d’arbres pour créer de l’ombre avec l’ajout de mobilier urbain. L’opération de retrait de l’asphalte et les plantations se feront en septembre.
Comme bien d’autres municipalités, Saint-Jean-sur-Richelieu subit régulièrement des inondations et des vagues de chaleur. Marie Chochoy est d’avis que les décideurs ont désormais conscience de l’importance de rendre le territoire plus résilient face aux changements climatiques. « Toutes les villes au Québec, à différents niveaux, ont hérité du mode d’aménagement du territoire des dernières décennies, qui nous a amenés à écarter progressivement la nature au bénéfice des espaces minéralisés. Aujourd’hui, on sait que la nature nous rend de nombreux services. Elle a des bénéfices pour toute la collectivité. »
Et comme d’autres municipalités, Saint-Jean-sur-Richelieu a adopté une stratégie de développement durable pour améliorer ses pratiques d’aménagement ainsi qu’une politique de l’arbre et a entrepris de revoir son plan d’urbanisme pour y intégrer des mesures de verdissement plus exigeantes.
Toutes les villes au Québec, à différents niveaux, ont hérité du mode d’aménagement du territoire des dernières décennies, qui nous a amenés à écarter progressivement la nature au bénéfice des espaces minéralisés.
À cet égard, Raphaëlle Dufresne observe un changement de mentalités à l’échelle du Québec depuis 2017. « Ce sont des questions qui sont beaucoup plus connues. En 2017, quand on parlait de déminéralisation dans les plus petites municipalités, elles nous disaient qu’elles n’avaient pas besoin de ça. Maintenant, les gens sont plus conscients des enjeux de la gestion de l’eau et de l’adaptation aux changements climatiques et les îlots de chaleur », dit-elle.
Sous les pavés a fait des petits. L’arrondissement montréalais de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension a créé son propre programme baptisé « Bye bye béton » inspiré de celui du Centre d’écologie urbaine. Trois sites ont été ciblés pour une opération de désasphaltage citoyen. Le Centre d’écologie urbaine a d’ailleurs reçu pour mandat pour mener à bien ces projets. Le bitume a été retiré sur le premier site, une petite parcelle négligée à l’angle des rues Jean-Talon Est et Marquette, et sera végétalisé à l’automne.
Le Centre d’écologie urbaine a mis le cap sur la troisième phase de son programme. À cet effet, l’organisme a reçu en juin dernier une subvention de près de 1,4 million de dollars de Québec par l’entremise du programme Action-Climat Québec pour poursuivre sa mission. Dans les prochains mois, le Centre compte lancer un appel d’intérêts pour recruter de nouveaux partenaires, non seulement auprès des villes et des organismes, mais aussi auprès des entreprises et des institutions.