À Laval, un couvent se transforme en village communautaire
Un collectif d’organismes communautaires, en collaboration avec la Ville de Laval, projette de transformer le domaine des Soeurs missionnaires de l’Immaculée-Conception en un véritable village. Les religieuses, elles, préparent leur départ des lieux avec émotion.
À l’est du pont Viau, à quelques pas du métro Cartier, se dresse un ensemble de bâtiments en pierres grises centenaires, bordé par une grande cour boisée. La croix qui coiffe son toit et la statue blanche de la Sainte Vierge font face à la rivière des Prairies. Entre les murs, 15 000 mètres carrés de chambres, de classes, de salles communautaires et de lieux de recueillement ont accueilli au fil des décennies des centaines de jeunes filles destinées à une vie religieuse expatriée.
« Je suis restée 16 ans à Hong Kong », indique Jeanne Gauvin, une femme rayonnante aux courts cheveux gris. Jeanne et Céline Gauvin, soeurs de sang et de Dieu, sont respectivement directrice et adjointe à la direction du petit musée de la congrégation.
La première a les yeux remplis d’étoiles en guidant un petit groupe de visiteurs dans deux pièces remplies d’habits, de meubles, de lettres, de tableaux et d’objets ayant appartenu à la bien-aimée fondatrice de sa communauté, Délia Tétreault. Elle distribue des signets sur lesquels figurent des fleurs et des citations attribuées à cette dernière. « Mettez du soleil au coeur de ceux qui vous approchent », peut-on lire sur l’un d’eux. « Délia répand la joie », estime la directrice, qui loue le courage, l’humilité et la détermination de la fondatrice.
Céline raconte que les missionnaires étaient formées sur place, puis étaient envoyées dans environ 25 pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. « Elles étaient demandées par l’évêque pour répondre à des besoins », souligne celle qui a vécu 17 ans en Haïti. Elles géraient alors des écoles, des cliniques, des activités pastorales et des garderies. Les religieuses ont aussi oeuvré à l’accueil des immigrants chinois à Montréal, par exemple en dirigeant l’Hôpital chinois.
Aujourd’hui, les soeurs québécoises vieillissent et sont moins nombreuses. Elles déménageront dans une résidence pour aînés de Lachine en 2025. « Ça me fait beaucoup de peine. J’ai pleuré, admet Jeanne. Quand on s’investit, on prend racine. J’ai laissé un peu de moi-même à chaque endroit que j’ai quitté. »
« On pensait finir nos jours ici », a pour sa part souligné soeur Marie-Josèphe Simard devant plus d’une centaine de personnes issues des milieux communautaire, culturel, économique et politique par un mardi ensoleillé de mai. « La grande consolation, c’est que la mission se poursuivra à travers des services communautaires. Nous savons qu’on s’occupera des plus défavorisés », a-t-elle poursuivi. « On veut que ce chez-nous devienne un chez-vous. »
Maintenir la vocation sociale
Les Soeurs ont pris contact avec la Ville de Laval il y a quelques années dans l’espoir de mettre leur patrimoine entre de bonnes mains. Elles veulent permettre la réalisation d’une oeuvre importante dans le quartier Pont-Viau, elles qui ont laissé leur marque un peu partout sur la planète. Le Collectif autour d’une tasse (CAT), constitué d’entreprises d’économie sociale et d’organismes communautaires, a été créé pour développer un projet rassembleur.
De nombreuses entreprises d’économie sociale et d’organismes ont levé la main pour participer, dans l’optique d’y louer des locaux. Les grandes lignes du projet sont maintenant dessinées. D’un côté, il y aura un espace destiné à la culture.
« Il manque d’infrastructures culturelles à Laval, surtout des salles de diffusion », indique Charles Gagné-Fournier, conseiller en développement territorial au Pôle régional d’économie sociale de Laval (PRESL), en marge d’une journée d’idéation avec de nombreux partenaires potentiels. « Beaucoup d’artistes lavallois sont obligés d’aller travailler ailleurs, comme à Montréal. C’est un besoin auquel on veut répondre. On veut que ce soit reconnu comme un lieu où la culture est vibrante. »
La grande chapelle aux tons de rose et de crème, ornée d’un chemin de croix peint à l’huile par des soeurs, est pressentie pour devenir une salle de spectacle. Une autre aile serait destinée aux services aux citoyens, notamment en périnatalité, en petite enfance, en immigration, en environnement et en soutien communautaire.
« On est dans un désert alimentaire ici, alors certains voudraient faire une épicerie solidaire, avec des produits abordables. On veut faire peut-être un bistro, un restaurant avec accès à une terrasse ou un café écolo. Il y aurait un incubateur d’innovation sociale et des espaces de coworking », rapporte Nathalie Lapointe, chargée de projet au développement immobilier pour le CAT.
Le projet doit être complété par la construction de 200 logements locatifs sociaux et abordables par l’OBNL Interloge. « On veut prendre un quartier dévitalisé et le rendre attractif, tout en assurant l’abordabilité à long terme », explique Louise Hodder, directrice générale du PRESL. Elle estime qu’un projet aussi ambitieux de reconversion de bâtiment religieux est du jamais vu au Québec.
L’organisme Revitalisation urbaine intégrée (RUI) de Pont-Viau souhaite pour sa part collaborer au projet pour améliorer l’aménagement urbain dans le secteur. Végétalisation, agrandissement de parcs, aménagement de rues pour les piétons et les cyclistes, l’idée est notamment que le nouveau village et tous ses services soient accessibles et bien reliés au reste du quartier, explique Sabrina Di Matteo, qui est impliquée dans le Comité d’aménagement citoyen de la RUI de Pont-Viau.
Un financement à attacher
Les discussions entre la Ville et la congrégation pour acquérir la propriété sont bien avancées, selon Cecilia Macedo, la conseillère municipale responsable du dossier de l’économie sociale. « C’est un projet qui me fait rêver depuis le début et qu’on veut vraiment voir se réaliser. Laval a besoin d’une âme », a-t-elle affirmé.
Le plus grand défi actuel est de trouver le financement pour remettre les bâtiments aux normes pour un changement d’usage, notamment avec des gicleurs et une ventilation mécanique. Ils veulent aussi aménager l’espace d’« entrée du village ». « On veut faire un wow avec l’édifice du centre », affirme Mme Lapointe. La recherche de partenaires financiers sera sa tâche la plus importante de la prochaine année, puisque la Ville a donné un an au CAT pour ficeler le budget.
Ce projet lui tient énormément à coeur, car Mme Lapointe souhaite valoriser les échanges et l’entraide dans notre monde de plus en plus individualiste. « Beaucoup de gens croient à ce projet-là, ils ont le goût de faire quelque chose pour la société, et c’est encourageant », ajoute la chargée de projet. « Avant, je voulais sauver le patrimoine bâti, mais là, je veux sauver le patrimoine humain, social et collectif. »
Croyante, Cecilia Macedo est pour sa part persuadée que Délia Tétreault veille sur les fervents défenseurs du projet, afin que les valeurs de partage et d’espoir qu’elle a portées soient préservées dans ce lieu enchanteur.