La réforme du participe passé, une proposition raisonnée à saisir

Photo: Loic Venance Agence France-Presse

Ce n’est pas d’hier que les accords du participe sont considérés comme une difficulté récurrente de l’orthographe française. Déjà, en 1900, l’arrêté Leygues, première proposition de législation en matière d’orthographe en France, demandait une tolérance pour l’accord du participe passé dans certains cas. Plus récemment, en 2022, une étude que j’ai menée avec ma collègue Amélie-Hélène Rheault les place en deuxième position des fautes d’orthographe commises par les étudiants universitaires québécois.

Dans la foulée du chantier lancé pour réformer l’enseignement du français, le ministre de l’Éducation veut recueillir l’avis de spécialistes sur les rectifications de l’orthographe (RO). Or, les RO ne sont pas une nouveauté : elles ont été proposées en 1990 et sont maintenant systématiquement enseignées en France et en Suisse. Nous n’en sommes plus à l’étape d’étudier les RO, mais à celle de les adopter. Le ministre pourrait toutefois se pencher sur une proposition plus d’actualité : celle qui porte sur les accords — mal compris et mal aimés — du participe passé.

Testez vos connaissances. Quelle terminaison ajoutez-vous aux participes passés suivants ?

Ils ont mang… des fruits.

Les fruits qu’ils ont mang…

Ils en ont mang…

Ils se sont désist…

Elles se sont coup…

Elles se sont coup… les cheveux.

[Réponses : mangé, mangés, mangé, désistés, coupées, coupé]

Si vous avez eu tout bon sans consulter d’ouvrage de référence : chapeau ! Le commun des mortels, pour sa part, même s’il a fait de longues études, s’est probablement posé quelques questions avant de tenter une réponse, pas nécessairement la bonne. Ces règles, et surtout leurs nombreuses exceptions, s’échelonnent sur pas moins de 14 pages dans Le bon usage de Grevisse : avec l’auxiliaire « avoir » ou « être », avec un verbe essentiellement ou occasionnellement pronominal, avec « en » ou le complément direct « l’ », suivi d’un infinitif, alouette !

Ce qui semble normal pour les francophones, à savoir passer beaucoup de temps à se questionner sur le code écrit, vérifier des règles d’orthographe et se relire pour débusquer un « s » oublié, ne l’est en fait pas tout à fait. L’écriture d’une langue est censée être le reflet de son parler. Et comme toute langue évolue (sans quoi elle disparaîtrait), toute écriture évolue aussi. Toutes ? Oui, sauf celle du français.

C’est ainsi que les « s » et les « e » renvoient aux règles générales de mise au pluriel et au féminin d’il y a plusieurs siècles. Si on les oublie si souvent à l’écrit, c’est parce que la langue a évolué depuis, et que ces marques écrites ne reflètent plus le fonctionnement de la langue. À l’oral, ces marques ne s’entendent pas. Pourtant, il n’y a pas de confusion : si je dis « les femmes », mon interlocuteur n’entend pas le « s » de femmes, mais il entend le déterminant « les », qui est au pluriel. C’est lui (en règle générale) qui porte la marque du pluriel des noms en français, depuis plusieurs siècles. Même chose pour le féminin : le mot « ami » seul n’indiquera pas le genre, information qui sera donnée, encore une fois, par le déterminant (un/une).

Les règles du participe passé correspondent donc à une ancienne prononciation du français ? Pas tout à fait.

Elles viennent de… l’italien du XVIe siècle. Comme nous le rappelle Mario Désilets, c’est le poète Clément Marot qui les introduisit en français. On s’est ainsi basé sur une autre langue pour écrire le français. En italien, on prononçait toutes les lettres, y compris les terminaisons portant les marques de genre et de nombre. En français, on ne les prononçait déjà plus lorsqu’on a adopté ces règles.

Dès leur introduction, ces règles ont causé des remous. On attribue cette déclaration à Voltaire : « Clément Marot a ramené deux choses d’Italie, la vérole et l’accord du participe passé. Je pense que c’est le deuxième qui fait le plus de ravages ! »

L’italien a depuis laissé tomber ces règles : la langue a changé depuis le XVIe siècle, et son écriture a suivi, comme est censée le faire toute écriture. Il serait absurde que les francophones se battent pour les conserver.

Le groupe EROFA (Études pour une rationalisation de l’orthographe française d’aujourd’hui) s’est attelé au problème. Les travaux de ses chercheurs visent à repérer les régularités dans l’orthographe française pour proposer des changements qui limitent les exceptions. Leur réforme réduit les règles d’accord du participe passé au nombre de deux : avec l’auxiliaire « avoir », le participe passé est invariable, et dans tous les autres cas, il s’accorde avec le mot auquel il se rapporte.

Contrairement aux RO, que certains spécialistes jugeaient trop timides, l’enthousiasme entourant la réforme des accords du participe passé est quasi unanime chez les linguistes. Depuis 2014, plusieurs associations l’ont appuyée, dont le Conseil international de la langue française, l’Association belge des professeurs de français, l’Association québécoise des professeur⸱e⸱s de français et l’Association française pour l’enseignement du français.

Entre ces soutiens et la mise en application des nouvelles règles se dresse la volonté politique. Celle du ministère, oui, mais celle de l’Office québécois de la langue française (OQLF) aussi : le ministère dit qu’il attendra l’avis de l’OQLF, mais celui-ci ne se mouille pas et tarde à formuler un avis sur la question.

Certains avancent que le système d’éducation consacre 80 heures à l’enseignement des accords du participe passé. J’ajouterais : pour un résultat médiocre. On oublie vite les exceptions, voire les règles principales. Je dois les enseigner de nouveau à l’université. Pas parce que mes chères étudiantes et mes chers étudiants sont mauvais, mais parce que ces règles défient toute logique.

Au groupe qui se penche sur la réforme de l’enseignement du français au Québec : je propose qu’on adopte la réforme, et qu’on prenne les heures ainsi récupérées pour enseigner l’histoire de notre langue et de son orthographe.

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