Pour une «ortografe» simplifiée du français
Enlevez un « f » aux difficultés, enlevez un « h » et un « m » aux hommes, et vous obtiendrez… une orthographe française simplifiée, accessible au plus grand nombre.
C’est en tout cas les conclusions du groupe de recherche EROFA (Études pour la rationalisation de l’orthographe française d’aujourd’hui), qui présentait ses résultats jeudi à l’Acfas. Dans le cadre de ses travaux, on étudie la suppression des consonnes doubles, comme dans « charrette » (alors qu’on écrit aussi « chariot »), celle de la terminaison du pluriel des mots en « x » (genou, pou, etc.), la disparition des lettres grecques (comme le « h » des hommes), mais aussi, et peut-être surtout, l’épineuse réforme des accords des participes passés.
Les fautes dans l’accord des participes passés arrivent en deuxième dans la liste des erreurs d’orthographe que font les étudiants d’université, selon une étude effectuée par Mireille Elchacar, de l’Université TELUQ, et Amélie-Hélène Rheault, de l’Université de Sherbrooke. L’une des suggestions avancées pour rendre cette règle grammaticale plus simple, est de supprimer tous les accords avec le verbe avoir. Cela réduirait d’un seul coup les « 14 pages » consacrées à l’usage des participes passés dans les grammaires utilisées en classe, relève Mme Elchacar. Par ailleurs, les fautes les plus courantes relevées dans cette étude sont celles de l’accord du pluriel, qui commande que l’on ajoute un « s » muet à la fin du mot.
Cet usage du « s » muet est un reliquat d’une langue française qui n’a pas été réformée adéquatement depuis des siècles, explique Mireille Elchacar en entrevue. « Il y a des centaines d’années, le “s” du pluriel en français se prononçait », dit-elle. C’est d’ailleurs toujours le cas en anglais, réputé pour être une langue plus accessible que le français.
Aujourd’hui, Mireille Elchacar souhaiterait qu’on remplace les 80 heures passées en milieu scolaire à enseigner les règles complexes du participe passé par 80 heures passées plutôt à étudier l’histoire de la langue.
Une langue écrite élitiste
Pour elle, la langue française écrite, par sa complexité, est élitiste. Ses complexités enchantent les initiés, qui trouvent, dans la maîtrise de l’orthographe, une certaine confirmation de leur statut social. Les autres n’y voient que des embûches, souvent jugées superflues, particulièrement chez les tenants d’une réforme en profondeur.
Alors que les autres langues ont mis leur orthographe à jour pour la coller au plus près de la langue orale, le français écrit est resté anormalement figé dans le temps, poursuit Mireille Elchacar.
« L’orthographe est censée s’adapter constamment à l’oral. Toutes les langues du monde mettent constamment leur orthographe à jour, sauf le français. C’est un problème. Parce que l’oral s’éloigne de plus en plus de l’écrit, et ça nous donne aussi l’impression que l’orthographe n’est pas censée bouger, ce qui n’est pas le cas. »
Dans la présentation des travaux de recherches de l’EROFA, Annie Desnoyers, de l’Université de Montréal, et Danièle Cogis, de l’Université Paris Ouest, démontrent comment des langues comme l’espagnol et l’italien sont restées au plus près de la langue orale. Ainsi, une « analyse », dont le nom en français a conservé la lettre grecque « y », s’écrit « analisis » en espagnol, « analisi » en italien, et « análise » en portugais. Toutes ces langues ont aussi supprimé le « h » contenu dans le mot français « arithmétique », par exemple.
Dans la réforme de l’orthographe proposée en 1990, déjà on avait ouvert la voie à la suppression des accents de certains mots, certaines consonnes doubles, les traits d’union, le pluriel des mots composés. Mais cette réforme n’allait pas assez loin, selon des experts, et elle était aussi inefficace.
« C’est très ciblé sur quelques mots, poursuit Mireille Elchacar. Les changements proposés sont très imparfaits, ils sont très incomplets et ils comptent beaucoup d’exceptions. »
L’esthétique de la langue
Si minimes qu’ils soient, les changements proposés en 1990 ont quand même provoqué un tollé. L’animateur Bernard Pivot, décédé récemment, avait accepté toute la réforme à l’exception de la suppression de l’accent circonflexe.
« Si vous vous mettez à supprimer les circonflexes, les deux points, les accents aigus, etc., vous allez complètement changer l’esthétique de la langue. Les grammairiens qui avaient proposé cela n’étaient pas du tout sensibles à cet aspect », disait-il au Magazine littéraire en 2019.
Également présente au colloque, la chercheuse Cléo Mathieu, chargée de cours à l’Université McGill, a présenté les résultats d’un sondage mené autour de la question de la réforme de l’usage des participes passés. Curieusement, les 16 à 19 ans qu’elle a interrogés ont montré une aussi forte résistance aux changements de grammaire que les aînés de plus de 55 ans.
« C’est moins étonnant que des personnes plus âgées soient réticentes à changer leurs habitudes. Mais ça m’a étonné de la part des témoins de 16 à 19 ans. Je croyais que, comme ils sont encore aux prises avec les difficultés de l’accord du participe passé, ils voudraient le réformer. Mais en réalité, on se retrouvait avec de plus forts taux de résistance. Certaines affirmations indiquaient qu’ils avaient peur de perdre leurs acquis », dit-elle. De façon générale, 39,2 % des répondants à son enquête étaient plutôt en désaccord avec une réforme des participes passés, et 41,7 % étaient plutôt en accord : des résultats serrés. De façon générale, son échantillon portait sur des gens plus instruits que la moyenne.
Coûts sociaux
Pour Mireille Elchacar, les difficultés de la langue française écrite génèrent des coûts sociaux énormes mésestimés. Ce sont bien sûr les gens moins instruits, souvent au bas de l’échelle sociale, qui sont davantage pénalisés par les difficultés de la langue française écrite.
« On se retrouve avec un système qui, malheureusement, cause beaucoup de problèmes sociaux, dit-elle. On peut aller à l’école pendant très longtemps et encore faire beaucoup de fautes. Ça peut causer du découragement, de l’insécurité linguistique, voire du décrochage scolaire. Ça n’est pas un problème anodin. Il y a aussi les nouveaux arrivants. La francisation des nouveaux arrivants, c’est très compliqué. Il y a beaucoup d’étudiants qui espèrent faire leur vie en allant à l’université. Et ils semblent bloqués parce qu’ils ne réussissent pas les tests de classement pour entrer à l’université. »