Lanaudière entre cosmos et Égypte ancienne
Le Festival de Lanaudière débute samedi avec un concert de Nicolas Ellis et l’Orchestre de l’Agora, rejoints par la scientifique Farah Alibay, dans un programme associant Orion de Claude Vivier et Les planètes de Holst, pour se clore le 4 août en après-midi avec une présentation en concert d’Aïda de Verdi sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. Le Devoir discute de cette édition et du positionnement du Festival avec son directeur artistique, Renaud Loranger.
« Nous sommes arrivés plus ou moins là où nous imaginions être il y a 4 ou 5 ans. Si vous prenez la saison 2024, mais aussi les deux dernières, la venue d’ensembles internationaux, la présence d’artistes importants, qui ne sont jamais venus chez nous ou qui reviennent, l’alignement du festival sur les projets lyriques de Yannick Nézet-Séguin à New York, tout cela se met en place », résume Renaud Loranger, satisfait de la tournure des événements.
Tendance lourde
À Lanaudière, il semble que le pari sur la qualité paie, ce qu’on ne voit pas partout ailleurs. « Au niveau de la billetterie, on remarque un notable rebond en amont du festival par rapport aux deux années précédentes. Donc, on se dit que c’est peut-être un moment clé et on entrevoit avec plus de sérénité ce que le présent ou l’avenir du Festival nous réserve », analyse Renaud Loranger.
L’administration du festival confirme cette sensation. À dix jours du Festival, ce dernier enregistrait 11 % de billets vendus et 16 % de revenus supplémentaires par rapport à 2023, un chiffre en hausse de 71 % sur les deux tableaux par rapport à 2022. Par rapport à la dernière année prépandémique, 2019, il s’agit de +48 % et +51 % respectivement. Le directeur général, Xavier Roy, reconnaît : « Depuis l’an dernier, nous annonçons l’entièreté de la saison plus tôt, ce qui nous aide à vendre davantage et plus tôt. » Mais il ajoute dans le même souffle : « La tendance semble tout de même lourde et positive. » « Si la météo s’avère meilleure cette année que celle de l’été dernier, nous devrions atteindre des résultats exceptionnels cette année », conclut le directeur général.
Renaud Loranger invite tout de même à la prudence : « Le Festival est en très bonne posture au sortir de la pandémie. Néanmoins, il faut rester très prudent, car tout cela me semble très fragile. Je souhaite que nous ne soyons pas confrontés à un problème plus grave : la révision des soutiens publics, peu importe le niveau de gouvernement. Je continue de plaider pour une présence soutenue et accrue du financement public dans un festival comme le nôtre. »
Vieilles habitudes
Comme avec Mathieu Lussier, interviewé la semaine dernière, nous avions fait ce petit exercice en 2023 avec Renaud Loranger et Xavier Roy. La grande surprise de cet entretien avait été ce que le directeur artistique appelait alors « la valeur constamment diminuée de la poignée de main », c’est-à-dire des promesses de venues au festival de la part d’artistes, qui, à la dernière minute, ne se concrétisaient pas.
En ce qui concerne la fiabilité de la parole des artistes, « les choses sont plus claires, plus faciles et on retrouve un peu plus de prévisibilité. Nous sommes capables d’être plongés dans 2025 et 2026, de faire des démarches avec plus d’anticipation pour obtenir la présence des artistes que nous souhaitons avoir. La dynamique générale va devenir beaucoup plus fiable », nous dit cette année Renaud Loranger.
En fait, c’est le métier qui retrouve ses vieilles habitudes et son rythme de planification. « En pratique, nous sommes très avancés sur 2025, qui sera finalisé cet été, et la réflexion est avancée sur 2026 et 2027, qui, ne l’oublions pas, sera l’année de la 50e édition du festival. »
Mais, là aussi, dans le cadre de cette anticipation, le directeur artistique ne perd pas de vue le questionnement qui le taraude, celui « de la fragilité générale — ou non — de l’écosystème dans lequel nous évoluons aujourd’hui ». « Je me garde d’être trop optimiste, car les marqueurs que l’on observe bougent depuis quelques mois. »
Grand départ
Avant même le début de cette édition 2024, Xavier Roy a annoncé qu’il quitterait la direction générale à la fin du festival. Ce très brillant gestionnaire culturel va réorienter sa carrière. Dans un texte intitulé « Un pas de côté », publié par le site du Festival, Xavier Roy indique : « des circonstances dans ma vie personnelle m’amènent à quitter la région pour me rapprocher de ma famille ». Il prévient : « Si mon départ du Festival de Lanaudière en surprendra quelques-uns, je suis certain que l’annonce prochaine de mon nouveau défi, à l’extérieur du milieu culturel, suscitera d’autres questions. Pourquoi effectuer ce “pas de côté” , à l’extérieur du secteur des arts et de la culture, surtout à un moment où les enjeux y sont si fondamentaux ? […] Je souhaitais saisir cette opportunité pour explorer d’autres secteurs, notamment pour y trouver matière à inspiration pour les arts et la culture. […] Je ressens le besoin de faire, une fois pour toutes, ce “pas de côté” pour découvrir de nouvelles industries, manières de travailler et cultures organisationnelles. »
Pour Renaud Loranger, la perte est lourde. « Xavier Roy a été un partenaire de première classe. C’est sûr que c’est une nouvelle qui m’attriste au premier chef, car nous avons très bien travaillé ensemble. » Mais il comprend la décision : « Après tout, cela est normal et fait partie d’un cycle de vie personnelle et professionnelle. » À ses yeux, « Xavier Roy a sorti le Festival de la pandémie en matière de logistique, de présence sur le terrain. Il a renoué avec des partenaires et s’est assuré que les choses avancent dans la bonne direction. Le travail de Xavier a été majeur ; il a permis au Festival non seulement de continuer, mais d’évoluer dans des circonstances très difficiles. » « J’ai confiance qu’on trouvera quelqu’un qui arrivera à poursuivre le travail à mes côtés dans l’esprit et la mission qui sont les nôtres », ajoute le directeur artistique.
« Le remplacement de Xavier Roy est un processus que j’accompagnerai pour la seconde fois dans mon mandat lanaudois », ajoute le directeur artistique. En effet, Renaud Loranger était arrivé avant le directeur général, dès fin 2018. « François Bédard était toujours directeur général et c’est lui-même qui m’avait convaincu d’accepter l’invitation du Festival. Ma nomination était son dernier grand geste avant son départ à la retraite. »
Grandes dates
Le projet spectaculaire de l’édition 2024 est évidemment Aïda en version concert sous la direction de Yannick Nézet-Séguin le 4 août. Ce concert répond à l’ambition du festival de proposer une affiche prestigieuse tout en permettant au chef de roder un ouvrage qu’il présentera ultérieurement au Metropolitan Opera, en l’occurrence au tournant de la prochaine année.
« Aïda devait être programmé en 2020. C’était le sujet de ma toute première discussion avec Yannick Nézet-Séguin en tant que directeur artistique du Festival en octobre 2018 ! Nous avions jeté les bases de cela, cela n’a pas eu lieu. » Voir l’accomplissement du projet en août 2024 démontre aux yeux de Renaud Loranger « à quel point la pandémie a fait dérailler les choses et à quel point c’est long de retrouver les assises qui étaient les nôtres auparavant ». Le défi se situe désormais à nouveau sur le plan des « disponibilités des artistes, pour ne pas faire de concessions sur les distributions ». Il s’agit aussi de « s’aligner avec New York pour trouver le bon moment dans le planning de Yannick Nézet-Séguin ».
Les débuts au Canada du pianiste Yoav Levanon, en récital le 17 juillet et en concerto le 19 avec Rafael Payare, seront aussi très attendus. « Je l’ai connu à Berlin avant la pandémie, auprès de Daniel Barenboim, alors qu’il était très jeune », nous dit Renaud Loranger. « C’est le dernier disciple de Barenboim. Je l’ai entendu à Berlin plusieurs fois après la pandémie et je considère que c’est quelqu’un de très intéressant. »
Le Festival 2024 retrouvera également William Christie le 13 juillet et l’Orchestre baroque de Fribourg les 12 et 14 juillet. Anne Sofie von Otter présentera Douce France à l’Amphithéâtre le 27 juillet. Quant à l’Orchestre symphonique de Montréal, il sera en concert les 19 et 20 juillet et les 2 et 3 août, alors que l’Orchestre Métropolitain se présentera les 28 juillet et 4 août.
En concert cette semaine
Benedetto Lupo et I Musici sont au Domaine Forget, samedi 6 juillet à 20 h.
Les Violons du Roy et Bernard Labadie sont à Lanaudière, dimanche 7 juillet à 14 h.
Charles Richard-Hamelin et le Quatuor Andara sont aux Concerts Lachine, mardi 9 juillet à 19 h 30.