Les festivals face à la contraction du temps

Xavier Roy et Renaud Loranger, directeurs du festival de Lanaudière, à l’amphithéâtre Fernand-Lindsay
Photo: Agence Big Jaw Xavier Roy et Renaud Loranger, directeurs du festival de Lanaudière, à l’amphithéâtre Fernand-Lindsay

Le Festival de Lanaudière 2023 a débuté vendredi avec la 9e Symphonie de Beethoven par l’OSM sous la direction deRafael Payare. Après un été 2022 déprimant en matière de fréquentation, la direction du Festival a maintenu le cap artistique non sans raison garder.

« L’essentiel est d’être très clairs sur nos orientations. Il faut que nous maintenions nos ambitions, mais, oui, nous nous sommes distanciés d’un certain nombre de projets trop lourds financièrement ou logistiquement », reconnaît Renaud Loranger, directeur artistique du Festival de Lanaudière.

« Pour être très transparent, cette année nous ne présenterons pas La force du destin de Verdi avec Yannick Nézet-Séguin : c’est trop lourd. » Cette décision a été prise dans la foulée de la fin de l’exercice 2022.

Aux yeux du directeur artistique, « dans le cadre de la refondation du festival — le virage à 180 degrés opéré depuis 2019 —, la seule chose qui nous manque, c’est la récurrence de concerts avec Yannick Nézet-Séguin alignés sur ses projets à New York. Nous n’y sommes pas, mais comme vous le savez, l’opéra demande beaucoup d’anticipation et, dans les circonstances présentes, la prévision à long terme est un grand défi ».

La poignée de main

La période pandémique a tout changé dans le métier. Au pic de la crise, des artistes auparavant inaccessibles devenaient disponibles avec seulement quelques semaines de préavis dans des pays qui avaient ouvert leurs salles avant d’autres. La planification et la programmation qui se faisaient des années à l’avance se sont accommodées d’un temps souvent plus resserré. Certains y ont pris goût.

Aux yeux de Xavier Roy, directeur général du Festival, il est important de reprendre les anciennes habitudes. « Planifier deux, trois, quatre ou cinq ans d’avance, ce qui permet d’aller chercher des contributeurs ou des commanditaires pour des projets spécifiques, est de plus en plus difficile depuis la COVID. Renaud Loranger, et moi, et toute l’équipe essayons d’allonger de plus en plus le cycle de planification artistique pour être en mesure de prévoir le financement nécessaire pour des projets plus ambitieux. »

Quand bien même interféreraient désormais de nouveaux us et coutumes. « Il faut vraiment être très honnête là-dessus : nous ne sommes pas sortis du problème, car le milieu ne fonctionne plus comme avant. Ainsi, nous faisons face à une valeur constamment diminuée de la poignée de main », s’inquiète Renaud Loranger. « Cette année, dans trois ou quatre cas importants, nous nous sommes retrouvés face à des artistes, même amis, qui, tard dans le processus, ont décidé de ne pas faire le voyage au Canada. Je ne les blâme pas, mais disons que ce sont toutes sortes de raisons que l’on ne rencontrait pas auparavant. »

À l’opposé de ces nouveaux états d’esprit, le Festival de Lanaudière cultive le respect de la parole donnée. « Nous sommes parvenus à 90-95 % de reprogrammations ; nous avons replacé tout ce que nous avions reporté entre 2020 et 2022. C’est une des priorités dans le rétablissement de la crédibilité de Lanaudière à plus long terme que d’honorer des engagements pris. »

On comprend que de replacer une distribution de La force du destin n’est pas facile. « Au fil des choses s’est presque imposée la Neuvième de Beethoven, que nous n’avions pas donnée depuis 2007 à Lanaudière. On y trouvera des chanteurs que l’on n’entend pas souvent au Québec », nous confie Renaud Loranger.

Pari baroque

Pour l’heure, le millésime 2023 s’amorce sous les meilleurs auspices. « À une semaine du début du festival, nous étions de deux à trois semaines en avance sur les résultats de billetterie pré-COVID, c’est-à-dire de la très bonne année 2019. Nous sommes donc à des lieues de l’année dernière, et en sommes très heureux », constate Xavier Roy.

Même la persistance de la direction artistique pour développer une programmation baroque est saluée par des ventes encourageantes. « C’est une question d’honorer des engagements que nous avions pris entre 2019 et 2021. Et si l’on n’avance pas un moment précis, la fenêtre se referme », explique Renaud Loranger, qui considère qu’« à ce stade-ci de sa carrière, c’est important de travailler avec William Christie » tout en précisant que « cela n’annonce pas un positionnement baroque » du Festival de Lanaudière. « Le Jardin des voix, ce n’est pas Tosca avec Yannick, mais cela nous amène à quelque chose d’essentiel : nous présentons des artistes, oeuvres et répertoires moins courus au Québec. Idéalement, sur une durée qui pourrait nous dépasser tous, nous créons quelque chose qui va laisser des traces et permettre au public d’élargir ses horizons. »

Xavier Roy renchérit : « Lorsque nous nous sommes lancés dans un exercice de planification stratégique, nous sommes revenus aux fondements du festival, qui avaient fait sa force au départ : un enracinement très local, porté par des gens de Lanaudière, couplé à des ambitions artistiques extrêmement grandes. Ce sur quoi Renaud Loranger et moi sommes toujours d’accord, c’est que réduire nos ambitions artistiques n’est pas du tout la solution. Au contraire, c’est un piège. »

Xavier Roy se considère dans « une dynamique inverse ». « Nous sommes dans le développement, ce qui fait que nous sommes en mesure de nous développer en matière de billetterie. Nous avons augmenté la commandite de 60 %, la philanthropie de plus de 60 % en marge d’une campagne de financement développée pour un projet immobilier au centre-ville de Joliette. Nous sommes en très grande croissance en ce moment, et nous ne pourrions pas l’être si nous étions prudents en matière de programmation. L’ambition nous rend attirants pour des contributeurs, pour des mélomanes, pour des gens qui ne connaissent pas forcément la musique classique, mais qui veulent s’y intéresser : les philanthropes, les fondations, les commanditaires. »

Rétention

Comme au Domaine Forget, on remarque à Lanaudière l’apparition de concerts à 16 h le samedi. C’est le résultat de sondages auprès de la clientèle, montrant que 70 % des festivaliers viennent de la région de Montréal. « Ce qui m’a frappé dans la récente entrevue du Devoir avec Mathieu Lussier, c’est qu’il parle de la problématique en ces termes : “Est-ce que les gens vont revenir en salle ?” Il y a eu dans le milieu de la musique classique un énorme focus sur le développement du public, la quête d’attirer constamment un nouveau public. Mais quand on regarde les chiffres, on se rend compte qu’un concert attire 50 % de clientèle qui ne figure pas dans la base de données. Donc le problème n’est peut-être pas au niveau du développement du public ; il porte sur la rétention du public existant. À partir du moment où l’on se concentre davantage sur la rétention du public, on se concentre sur la motivation des gens à venir voir les concerts. »

Selon cette analyse de Xavier Roy, « dans les barrières principales, l’expérience revient bien avant la qualité de la musique. Évidemment, nous ne faisons aucun compromis sur la qualité. Mais l’attention se porte sur comment organiser l’expérience du concert ; comment communiquer autour du concert ; à quelles heures le présenter pour offrir une expérience la plus ouverte possible ».

Parallèlement, Xavier Roy travaille sur l’enracinement local. « Cela nous permet de développer la saveur particulière de l’expérience que l’on vit à Lanaudière. Nous migrons de plus en plus d’une programmation de type “série de concerts” vers l’installation de Lanaudière comme destination, où le public va vivre plusieurs expériences musicales. Les concerts en amphithéâtre restent le vaisseau amiral de tout cela, mais la programmation en église est de plus en plus liée à la programmation en amphithéâtre et, autour de cela, nous programmons davantage d’activités dans des lieux inusités, des lieux agrotouristiques, ainsi que des activités gratuites. »

Aux yeux du directeur du Festival, « il faut que quelqu’un qui vient à Lanaudière pour un samedi ou un dimanche puisse avoir plusieurs activités dans une journée pour vivre une expérience festivalière et découvrir la région. Il n’y a pas une journée en fin de semaine où il n’y a pas la possibilité de faire deux ou trois activités avec nous ou nos partenaires. Un maillage de plus en plus grand se développe donc avec le milieu local, que ce soit au niveau gastronomique, touristique ou artistique, ce qui fait que nous allons être capables d’enrichir cette destination en tant qu’escapade culturelle d’une journée ».

Cette stratégie va être entérinée en 2024 par le parachèvement du nouveau quartier général du Festival au centre-ville de Joliette. « Cela va assurer une présence plus soutenue à l’année longue en matière de programmation et d’implication dans la communauté. Et l’année prochaine, nous disposerons d’un satellite du festival avec une petite salle de spectacle au centre-ville. »


En concert cette semaine

Le 2e Concerto de Rachmaninov par Payare et Kozhukhin, samedi 8 juillet, à Lanaudière.

Denis Kozhukhin joue la Sonate D. 960 de Schubert et la sonate de Liszt, à Saint-Norbert, lundi 10 juillet.

Charles Richard-Hamelin est aux Concerts Lachine, jeudi 13 juillet.

Le festival Musiques et autres mondes, à Ottawa, reçoit John Rutter, jeudi 13 juillet.

Le Quatuor Emerson fait ses adieux définitifs au Québec au Domaine Forget, vendredi 14 juillet.

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