Énigmes en série pour l’ouverture de Lanaudière
Le Festival de Lanaudière s’ouvrait samedi avec l’Orchestre de l’Agora et Nicolas Ellis, associés à la scientifique Farah Alibay dans un programme regroupant Orion, de Claude Vivier, et Les planètes, de Gustav Holst. La soirée soulève nombre de questions et ouvre au débat.
Si nous utilisions la métaphore du verre à moitié plein ou à moitié vide pour jauger le concert d’ouverture du Festival de Lanaudière, il y aurait de quoi se moquer de nous. Le déluge qui s’est abattu sur l’Amphithéâtre pendant Les planètes (et on félicitera en premier lieu les valeureux spectateurs restés sur la pelouse) suffisait à remplir n’importe quel verre, tout comme il couvrait, hélas, les pianissimos d’Uranus.
Invités légitimes
Avec ce concert, le Festival de Lanaudière donnait à Nicolas Ellis et à son Orchestre de l’Agora leurs lettres de noblesse : premier concert à l’Amphithéâtre, concert d’ouverture 2024. Xavier Roy, directeur général partant de Lanaudière, qui présida à la création de l’Orchestre de l’Agora, en dirigeant son conseil d’administration de 2014 à 2019, a été légitimé dans son acte de confiance par les musiciens et leur chef, qui ont confirmé le niveau plus que remarquable de leur Gala de la Terre (Symphonie alpestre) il y a un mois à la Place des Arts. La musique fut creusée (les timbres d’Orion !), spectaculaire (le militarisme de Mars, avec des baguettes très sèches aux timbales), nourrie (Jupiter) et généreuse.
La présence de Farah Alibay part, elle aussi, d’une très bonne intention. La scientifique, qui conçoit des engins qui explorent la surface de la planète Mars, a passé son enfance à Saint-Charles-Borromée, à côté de Joliette. Après Lanaudière, le cosmos est devenu son terrain de jeu. Elle en parle avec bonheur et enthousiasme.
La fête
Alors, qu’est-ce qui clochait ? Plein de choses, en fait. En posant la question « En quoi était-ce un concert d’ouverture du plus grand festival classique du Canada ? », on risque de tomber sur les réponses « Euh » ou « Oups », car on a oublié de vous mentionner que la musique était saucissonnée pour présenter les planètes deux par deux.
« Concert pour familles » du dimanche ? Certainement pas ! Vous voyez des enfants se farcir sans trépigner la litanie du nom des sondes parties en 1976, en 1992 et en 2008 explorer la face cachée de Mercure ou Jupiter ? Ne manquerait que la séance d’interrogations à la fin du concert : « Le petit Julien a répondu à 12 questions sur 50 : il a gagné une poutine de Chez Henri » ! Au passage, c’est un des trucs que nous aurons retenus : la petite Farah aimait la poutine de « Chez Henri ».
Comment a été la soirée ? « Intéressante ». Une émotion ? Zéro. Pourquoi ? Parce que l’émotion en musique, au sein d’une oeuvre, cela se construit, sur un certain temps par des oppositions et contrastes. Au fond, il serait amusant que chacun fasse l’exercice de ce qu’il a retenu de tout cet exposé. Ce peut être le nombre de lunes de telle planète, que Neptune qui devrait être très froide est plus chaude qu’on ne le croit. Mais cela se résume à peu de choses et pas à tous ces détails. On a, certes, aussi eu le plaisir de voir de belles photos.
Élitisme
La question de fond est celle soulevée par Mathieu Lussier en entrevue au Devoir : celle de la médiation ; l’idée de présenter des concerts autrement. Il ne faudrait pas que cette préoccupation fasse perdre les pédales.
Vous vous demandez ce que nous avons vraiment retenu de la soirée ? C’est Farah Alibay faisant le énième laïus sur l’élitisme supposé de la musique classique — et de la science — (aïe, inutile) nous avouant qu’elle découvre Les planètes de Holst en répétition et se réjouissant de la parenté avec Star Wars, moment d’une fraîcheur remarquable, mais qui, une minute plus tard… nous illustre de la singularité de Vénus en nous parlant des « sonorités de glockenspiel et de célesta ».
Voilà le moment qui tue. On y était. En plein dans le mille et en direct ! On interrompait le pouvoir de la musique pour que, entre autres, une célébrité qui ne connaît rien à la musique lise des mots qu’on lui a mis dans la bouche sur un instrument dont elle n’a jamais entendu parler. Et « on dit que la musique classique est élitiste »… C’est le « fake » qui pue l’élitisme.
Nous, on se prend désormais à rêver qu’un prothésiste dentaire de Sainte-Mélanie ou de Berthierville devienne champion du monde (ou assimilé) d’orthodontie. Au nom du patriotisme lanaudois, il se fera inviter à l’Amphi. Au moins, cela pourra nous valoir un concert de ces merveilleuses ouvertures d’opéras-comiques français qu’on n’entend plus jamais. Du titre de l’oeuvre d’Auber, on pourra intituler le concert « Les joyaux de la couronne ». Et ça, au moins, ça fera un concert d’ouverture festif et flamboyant !