L’Association des libraires du Québec n’est pas en déficit critique

Le nouveau conseil d’administration de l’ALQ compte huit membres, sur les neuf postes.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Le nouveau conseil d’administration de l’ALQ compte huit membres, sur les neuf postes.

L’Association des libraires du Québec (ALQ) n’est pas en « situation budgétaire critique », comme elle l’avait annoncé à ses membres en mai dernier. Les états financiers 2023-2024, dont Le Devoir a obtenu copie, sont équilibrés. L’auditrice indépendante Julie Gaboriault s’inquiète davantage de « l’absence d’un nombre d’employés suffisant pour mener à terme les activités », qui entraîne « un doute important sur la capacité de l’organisme à poursuivre son exploitation ». Qu’est-ce qui achoppe à l’ALQ ? Les finances ? Les ressources humaines ? La nouvelle vision d’affaires ?

Le 10 mai, l’ALQ annonçait par courriel à ses membres que l’organisation « se retrouve avec un important déficit pour l’année budgétaire qui se termine. Si aucun changement n’est mis en place, l’année 2024-2025 laisse entrevoir une situation budgétaire critique ».

Les états financiers 2023-2024 présentent pourtant une situation semblable à celles des années précédentes, comme l’a constaté Le Devoir. L’augmentation des dépenses demeure relativement marginale. Le budget de 1,5 million de dollars se révèle, en fait, équilibré avec un déficit de seulement 27 000 $.

Rappelons que les deux derniers employés qui restaient à l’ALQ ont vu leurs postes se faire abolir le 13 juin dernier. Au fil des derniers mois, depuis l’arrivée de la nouvelle direction de Jade Bergeron et Alexandre Blanchette en avril 2023, les démissions, congédiement et congés de maladie se sont succédé, jusqu’à ce que les bureaux soient vides d’employés.

Gabrielle Simard, de la librairie Les Bouquinistes et du conseil d’administration, assure la direction par intérim.

Sur le site Internet flambant neuf de l’ALQ, il n’y a plus de page de présentation de l’équipe. L’absence de personnel a inquiété les vérificateurs des états financiers, plus que le budget.

« L’Association des libraires du Québec s’est réunie en assemblée générale le 9 juin dernier », a répondu Mme Simard pour l’ALQ, tout en refusant la demande d’entrevue du Devoir. « Lors de cette assemblée générale, l’ensemble des membres présents ont eu l’occasion d’échanger de manière totalement franche, ouverte et transparente sur les situations passées, présentes et futures. »

Le nouveau conseil d’administration de l’ALQ compte huit membres, sur les neuf postes.

« Nous travaillons actuellement à poursuivre la restructuration interne de notre organisation et à élaborer la mise en oeuvre de sa nouvelle planification stratégique », a déclaré la directrice par intérim.

« Nous comptons sur l’appui de nos partenaires et des ressources externes pour ce faire. [De plus], les démarches pour la dotation sont commencées. »

Se passer des subventions par projets ?

En entrevue fin mai, le président du conseil d’administration, Éric Simard, de la Librairie du Square, expliquait voir le changement de direction, après la présence pendant une décennie de Katherine Fafard, qui est partie en février 2023, comme « une occasion ».

« On rebrasse les cartes. Au fil du temps, l’ALQ s’est éloignée des besoins de ses membres. On faisait des actions axées beaucoup sur la promotion, mais pas toujours liées à la promotion du métier de libraire », a confié M. Simard.

« On a fait des sondages, mené des focus groups. On mettait beaucoup d’énergie dans les formations, mais ça arrivait au bas de l’échelle dans les préférences de nos membres, dans ces consultations. »

« Les libraires demandent qu’on travaille pour eux, qu’on défende vraiment leurs droits, qu’on soit beaucoup plus politique comme formation. On vise davantage le service direct aux membres. Par exemple, s’il y a un litige avec un éditeur, un auteur, on était moins là pour ce genre de trucs, et on aimerait y être. »

Le président poursuivait ainsi sur sa vision : « Donc, il fallait réduire aussi l’équipe. Il n’y aura plus une personne attitrée aux formations et à la promotion, ça va être intégré dans de nouveaux postes », dont les conditions de travail seront moins avantageuses, comme l’a confirmé ensuite l’ALQ.

On rebrasse les cartes. Au fil du temps, l’ALQ s’est éloignée des besoins de ses membres. On faisait des actions axées beaucoup sur la promotion, mais pas toujours liées à la promotion du métier de libraire.

« On remet aussi en question le rapport aux subventions », ajoutait le président. « Les subventions sont intéressantes : ça tient une équipe, ça la fait vivre, ça donne des salaires aux employés. Mais, à un moment donné, il fallait toujours aller chercher plus de subventions pour tout maintenir, et ce n’était plus possible de tenir ce rythme. »

Actuellement, 80 % des apports financiers proviennent des subventions et de l’argent public. Les chiffres des états financiers actuels et passés démontrent que ce modèle fonctionne bien.

Les commandites, en service et en argent, ont augmenté de 17 010 $ de 2023 à 2024. Une croissance insuffisante pour remédier aux subventions par projets, qui constituent en 2024, à 861 911 $, 58 % du budget actuel.

La valeur du Prix des libraires

La question de l’expertise se pose également : sans employé responsable du Prix des libraires, par exemple, le prix littéraire pourra-t-il demeurer un des plus respectés du Québec, avec le Prix des collégiens ? Son caractère unique ? Il ne jauge pas les seuls livres que les éditeurs envoient, mais le maximum possible des nouveautés de la saison. Il exige ainsi un suivi important des lectures faites, retenues et rejetées par les six différents comités de libraires bénévoles.

Par ailleurs, le 3 juin dernier, l’ALQ assurait au Devoir prendre « la situation liée aux ressources humaines très au sérieux. Une évaluation rigoureuse sera effectuée par un consultant externe indépendant en ressources humaines ».

Un mois plus tard, où en est-on ? « Nous n’émettons aucun commentaire relatif aux informations en lien avec les ressources humaines par souci de respect et de confidentialité, et pour ne pas nuire aux processus en cours », a répondu Gabrielle Simard par courriel.

La majorité des employés qui ont travaillé à l’ALQ en 2024 et qui ont répondu au Devoir n’avaient eu aucune nouvelle de leur ex-employeur concernant un suivi sur la situation des ressources humaines cette année, et s’en désolaient.

Et les codirecteurs, qui étaient en juin tous deux en « congés personnels » ? « Nous n’émettons aucun commentaire relatif aux informations en lien avec les ressources humaines par souci de respect et de confidentialité, et pour ne pas nuire aux processus en cours », a répété Mme Simard.

Avec Éric Desrosiers

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