Comment achète-t-on nos livres?
Après avoir connu une croissance remarquable ces dernières années, l’édition québécoise se stabilise et renoue avec de nouveaux défis. Écoresponsabilité, augmentation des frais, accessibilité, points de vente, la série Des chiffres et des lettres s’attarde sur plusieurs de ces défis que le milieu du livre s’apprête à relever. Troisième texte.
Le livre papier reste le bouquin préféré des Québécois. Et c’est en librairie — vieille habitude, vieux style — que les lecteurs préfèrent encore l’acheter. Si l’évolution du livre numérique et du livre audio se poursuit ici, on est loin derrière les États-Unis et, dans une moindre proportion, derrière la France. Au Québec, c’est encore le volume qu’on favorise : celui avec un poids, des feuilles, une surface, des textures, celui écrit par un auteur qu’on suit déjà et celui qui nous est recommandé par un, deux ou trois amis. Préférence de société distincte ?
70 % des Québécois ont lu au moins un livre papier au cours des 12 derniers mois. 58 % des adultes en ont achetés au moins un pour la même période. En moyenne, un adulte achète ici trois livres par année, pour un total d’environ 20 millions de livres. Les ventes de livres dans les librairies de la province ont atteint 335 millions de dollars en 2022.
C’est l’Étude sur les habitudes et les comportements de consommation en ligne des livres qui comptabilise et extrapole ces données. Produits par la firme SOM à la demande de l’Association des librairies du Québec (ALQ), les chiffres ont été partagés fin mai lors de la 15e Journée interprofessionnelle du livre.
Une des particularités du livre, comme l’indiquait Vincent Bouchard, vice-président marketing de SOM lors de la présentation des résultats, c’est que c’est un « produit discrétionnaire ». « C’est facile de “couper” le livre si on doit couper dans ses dépenses, disait alors M. Bouchard. D’autant que le livre est relativement facile à obtenir gratuitement », que ce soit en bibliothèque, en l’empruntant à un ami ou dans une de ces petites bibliothèques sauvages qui ont poussé dans les villes. Peut-on prédire, avec l’inflation, une importante baisse des ventes de livres ?
Ça reste à voir. En 2022, les lecteurs acheteurs étaient au rendez-vous. « Près des deux tiers des acheteurs de livres papier ont surtout opté pour l’achat en magasin au cours des 12 derniers mois, ce qui confirme que les Québécois affectionnent les visites en librairie, ce qui leur permet de feuilleter et de toucher les livres avant de les acheter », lit-on dans l’étude.
Chez les acheteurs de livres papier, près de la moitié (44 %) va plus souvent dans une librairie de grande chaîne. Environ une personne sur cinq (19 %) opte plutôt pour une librairie indépendante. L’écart entre les grandes chaînes et les indépendantes est beaucoup plus marqué dans la grande région de Montréal (50 % pour les chaînes ; 14 % pour les indépendantes).
La localisation des franchises des chaînes joue probablement dans cette différence, le groupe Renaud-Bray comptant 65 % de ses succursales dans la région de Montréal, comme le remarque l’étude.
Le sondage démontre également que malgré la préférence pour la librairie, les Québécois achètent davantage en ligne qu’avant le début de la pandémie. « Les commandes de livres papier effectuées en ligne étant souvent faites auprès d’Amazon [dans 24 % des achats en ligne], on comprend que les nouvelles habitudes des Québécois affectent négativement les ventes des libraires, qui suivent une tendance à la baisse depuis plusieurs années, incluant le format imprimé de langue française », apprend-on dans l’étude de l’ALQ.
Les sites d’achat des librairies indépendantes et leslibraires.ca ne sont utilisés que pour 7 % de ces emplettes en ligne.
Et on lit quoi ?
Comment choisit-on nos livres ? On s’attache aux auteurs. C’est le premier critère choisi par les lecteurs sondés, dans 37 % des cas. Le bouche à oreille influence aussi beaucoup, dans 36 % des choix. « Je vois à quel point le livre est vraiment un facteur de socialisation, commentait M. Bouchard, qui nous fait aller vers les autres », et à quel point les autres, quand ils sont lecteurs, peuvent aussi nous ramener au livre.
Ensuite, joue le résumé au dos du livre, à 30 %, avant même la couverture critique ou médiatique (23 %). L’effet best-sellers compte dans 14 % des choix. Les réseaux sociaux contribuent à la sélection, dans 14 % des cas, et parmi eux Facebook et Instagram sont les plus influents.
Que lit-on ? Des romans policiers et d’espionnage (38 %), des biographies (29 %), des littératures de l’imaginaire — science-fiction, fantastique, horreur (21 %) — et des romans historiques (19 %). Les essais sont tout en bas de cette pyramide alimentaire du genre littéraire (5 %) et, dans cette étude, la poésie et le théâtre ne figurent pas.
On lit d’ici, et on lit d’ailleurs. Dans l’ensemble, les Québécois achètent autant des livres québécois que de livres d’ailleurs. Un adulte québécois sur cinq (20 %) privilégie l’achat local, et un peu plus de la moitié (55 %) de ceux-ci achètent au moins autant de livres québécois que de livres étrangers. Près du quart des répondants (22 %) disent acheter uniquement ou surtout des livres d’ailleurs.
Pour mieux comprendre l’importance de « l’achat littéraire local » chez les lecteurs du Québec, rappelons que l’ampleur de l’offre en librairie ne fait pas le même poids. Selon le bilan Gaspard des ventes en librairies indépendantes produit par la Banque de titres de langue française, 4511 nouveautés québécoises ont été vendues à au moins un exemplaire en 2022, contre 32 049 nouveautés étrangères.
Livre numérique et audiolivre
Au cours des 12 derniers mois, selon l’étude, 25 % des Québécois ont lu au moins un livre numérique. Et seulement 15 % des lecteurs en ont acheté au moins un. « Ce format a donc beaucoup de chemin à̀ faire avant de rejoindre le format papier du point de vue de la popularité. »
Le livre audio, lui, représente encore une part marginale de la consommation globale de livres par les Québécois. 13 % d’entre eux ont écouté au moins un audiolivre, et 7 % en ont achetés au moins un au cours des 12 derniers mois, selon les données. Audible est, pour ces écouteurs-lecteurs, la plateforme de prédilection pour les achats.
Par ailleurs, la tendance actuelle montre une croissance impressionnante du recours aux plateformes publiques gratuites et du nombre de prêts en bibliothèque. En d’autres mots, on emprunte le livre audio, ou on l’écoute gratuitement. On ne l’achète à peu près pas. Comment pourra-t-il être rentable pour les éditeurs, alors ?
Le sondage SOM a été rempli en ligne en mars 2023 par plus de 1000 répondants. Des données tirées du bilan Gaspard et de Statistique Canada ont également été utilisées.