Les bureaux de l’Association des libraires du Québec se vident

Il n’y aura plus d’employés à l’Association des libraires du Québec (ALQ) le 14 juin prochain. Depuis l’arrivée de la nouvelle direction, au début 2023, avec ses désirs de restructuration, les démissions, les congés de maladie et les abolitions de poste se sont multipliés — jusqu’à ce que les bureaux de la permanence se retrouvent vides.

Seule Gabrielle Simard, du conseil d’administration et de la librairie de Chicoutimi Les Bouquinistes, sera alors officiellement au travail, « jusqu’au 31 décembre 2024 », pour assurer la direction par intérim, a indiqué Laurence Monet, vice-présidente du conseil d’administration, au nom de l’association.

Du côté des employés, depuis que la direction a changé, occupée d’abord par intérim par Alexandre Blanchette, puis à partir du 18 avril 2023 en codirection avec Jade Bergeron, on compte trois démissions, un congédiement sans préavis, un contrat non renouvelé, deux licenciements par abolition de poste effectifs le 13 juin, et des prescriptions médicales de retrait des bureaux formulées pour préserver la santé des employés.

La demi-douzaine d’employés touchés possédaient au plus 10, 12 et 16 ans d’ancienneté au sein de l’ALQ et, au moins, de cinq mois à deux ans.

En entrevue téléphonique au Devoir, le codirecteur général, Alexandre Blanchette, a indiqué que la nouvelle direction, depuis son arrivée en avril 2023, avait pour mission de mettre en place une restructuration générale arrimée sur la nouvelle planification stratégique.

Le président du conseil d’administration, Éric Simard, propriétaire de la Librairie du Square, située sur la rue Saint-Denis, a tenu le même discours au Devoir.

La rédaction de cette planification n’est pas terminée. Le Devoir n’a pas pu la consulter.

Restructuration et équipe

Auparavant, Katherine Fafard a assuré la direction de l’organisme pendant dix ans. Elle aura été à l’ALQ 22 ans au total. Le Devoir a interviewé la majorité des employés et des ex-employés de l’ALQ qui ont vécu la transition. Tous les propos recueillis rapportent un changement de culture d’entreprise radical — tant dans la vision, dans la façon de travailler que dans les interactions professionnelles — à l’arrivée d’Alexandre Blanchette et de Jade Bergeron.

M. Blanchette a de son côté parlé « d’une grande résistance aux changements de la part de l’équipe ». Les mêmes termes ont été repris par M. Simard.

Est-ce que le conseil d’administration (CA) voyait, pour implanter sa nouvelle stratégie, le besoin de faire table rase de la permanence actuelle ? « Absolument pas ! » s’est exclamé le président. Le CA a-t-il fait des suivis auprès de l’équipe depuis la nomination des nouveaux directeurs ? « Non », admet M. Simard. Est-il possible que le CA se soit retrouvé déconnecté de la réalité de la permanence ? Silence. Puis « oui ».

Les prévisions 2024-2025 étaient critiques dû au plafonnement et à la réduction de subventions, de même qu’à l’augmentation considérable des coûts des opérations et des dépenses liées aux activités de l’organisation. Des actions devaient être prises pour redresser la situation.

« Le conseil d’administration de l’Association des libraires du Québec prend la situation liée aux ressources humaines très au sérieux », a précisé plus tard au Devoir le conseil d’administration, par la voix de sa vice-présidente, Laurence Monet, de la Librairie Monet.

« Une évaluation rigoureuse sera effectuée par un.e consultant.e externe indépendant.e en ressources humaines. »

Dans les derniers jours, M. Blanchette est tombé en congé personnel pour une durée indéterminée. Jade Bergeron est de son côté absente depuis le 30 avril. « La codirectrice et le codirecteur [sont] actuellement en retrait pour des raisons personnelles », a confirmé Laurence Monet.

Questions d’argent

Un courriel envoyé récemment par le CA aux membres de l’ALQ relate le début d’une transition importante. « Nous ne vous cacherons pas que les derniers mois ont été exigeants et que ceux à venir le seront tout autant. »

Cette missive a été expédiée le 10 mai, au lendemain de l’annonce à deux employés de leur licenciement pour abolition de postes. Les nouveaux postes offriront des conditions de travail moins généreuses, comme l’a précisé le président du CA.

Le principal défi de l’ALQ, selon le message, est économique. « L’ALQ a vu le gel de subventions et l’abolition de programmes dédiés ainsi que le plafonnement de cotisations et de revenus autonomes. »

« Si on ajoute à cela l’augmentation généralisée des coûts, votre organisation se retrouve avec un important déficit pour l’année budgétaire qui se termine. » « Si aucun changement n’est mis en place, l’année 2024-2025 laisse entrevoir une situation budgétaire critique. »

Les états financiers du rapport annuel de l’ALQ 2021-2022 étaient équilibrés. Parmi les employés qui ont fait un témoignage au Devoir, plus d’un était responsable de son budget de secteur. Aucun ne comprend comment l’association peut se retrouver si soudainement en déficit critique.

Entre 2019 et 2023, selon les informations que nous avons obtenues, le budget de l’ALQ est passé de 500 000 $ à 2 000 000 $, provenant en majeure partie d’argent public.

140
C’est le nombre de librairies indépendantes qui sont membres de l’ALQ, sur les plus ou moins 175 que compte le Québec.

Interrogé sur les sources exactes de ce déficit, Alexandre Blanchette n’a pas su répondre. Le CA n’a pas apporté davantage de précisions.

« Les prévisions 2024-2025 étaient critiques dû au plafonnement et à la réduction de subventions, de même qu’à l’augmentation considérable des coûts des opérations et des dépenses liées aux activités de l’organisation, a seulement répondu Laurence Monet. Des actions devaient être prises pour redresser la situation. »

Groupes témoins

Le président du CA de l’ALQ a précisé qu’après avoir sondé les membres et mené des groupes témoins, l’association a décidé de laisser le volet de formation des libraires de côté pour se consacrer davantage à un service plus spécialisé.

« Si un libraire a un problème commercial, par exemple, on veut pouvoir apporter des conseils et du soutien spécifiques », a indiqué Éric Simard.

« Tsé, si un membre du CA s’était assis pour me dire “Écoute, on va prendre un virage commercial. Nous, la mission de littératie puis de formation de l’ALQ, ça ne nous intéresse plus, on veut trouver plus de cash pour le futur — même si on est un organisme sans but lucratif… —, puis on se donne un an pour appliquer notre plan”, j’aurais dit “OK, je finis mes dossiers pis je m’en vais” », a confié une ex-employée, qui a demandé l’anonymat par crainte de représailles professionnelles.

Depuis 1969, l’ALQ contribue au développement professionnel des librairies et à leur rayonnement. Elle gère le très connu Prix des libraires du Québec. Elle propose par exemple depuis quelques années des « prescriptions littéraires », ces suggestions de lecture faites par des personnalités publiques et des libraires.

Elle organise les rencontres interprofessionnelles du secteur du livre et fait des démarches politiques auprès des gouvernements pour valoriser le métier et son financement. Lesquelles de ces activités peuvent être maintenues sans équipe pour les gérer ?

Quelque 140 librairies indépendantes sont membres de l’ALQ, sur les plus ou moins 175 que compte le Québec. Elles déboursent, selon leurs revenus, entre 400 $ et 3000 $ pour faire partie de l’association.

Le conseil d’administration est aussi constitué de Maximilien Bouchard, de la Librairie Marie-Laura, d’Éléna Laliberté, de la Librairie La Liberté, et de Luc Lavoie, de la Librairie Ste-Thérèse.

L’Assemblée générale annuelle de l’ALQ se tiendra le 9 juin prochain. Pour la première fois depuis au moins une décennie, aucun employé de l’ALQ, même les deux qui verront leurs postes être abolis le 13 juin, n’y a été invité.

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