Ottawa lance des consultations sur les «pratiques commerciales déloyales» de la Chine
Le ministère fédéral des Finances a officiellement transmis cette semaine à divers groupes du secteur du transport électrique un document d’information à partir duquel ils seront ensuite consultés, afin de déterminer s’il faut taxer les véhicules électriques importés de Chine, et de combien, le cas échéant.
Le gouvernement fédéral lance ainsi un processus de consultation de 30 jours, qui se terminera le 1er août prochain, sur les « interventions stratégiques » que le Canada pourrait faire pour « protéger ses travailleuses et ses travailleurs » du secteur de l’automobile et des véhicules électriques. Cette consultation voit le jour en réaction aux décisions des États-Unis et de l’Union européenne de taxer de 100 % et de 38 % respectivement les véhicules électriques d’origine chinoise.
Travail, environnement, cybersécurité
Le document fédéral, intitulé Consultations sur les réponses possibles aux pratiques commerciales déloyales de la Chine concernant les véhicules électriques, vend un peu la mèche. La question semble être moins de savoir si le Canada doit taxer à son tour les véhicules électriques importés de Chine que de déterminer à quelle hauteur il devrait le faire.
C’est une position qui a été saluée par les principaux représentants de l’industrie automobile canadienne. « Les Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada [appuient] l’annonce du gouvernement aujourd’hui de consultations à venir devant le Tribunal canadien du commerce extérieur sur la réponse possible aux pratiques commerciales déloyales sur le marché des véhicules électriques », a rapidement déclaré le CMAC, qui représente une vingtaine de marques d’automobiles, d’Acura à Volvo en passant par Honda et Hyundai.
Ottawa dit vouloir protéger les 125 000 emplois que compte le pays dans le secteur automobile d’une concurrence qu’il estime injuste, dans la mesure où Pékin aide depuis des années plus que généreusement ses constructeurs d’automobiles et où ils sont maintenant en meilleure position pour vendre leurs véhicules à l’étranger à un prix qui défie toute concurrence. Le gouvernement canadien s’inquiète aussi au sujet du respect par les entreprises chinoises des normes relatives au travail et à l’environnement.
La question de la cybersécurité est aussi évoquée. Les entreprises chinoises pourraient devoir remettre sans préavis à Pékin les données qu’elles possèdent à propos de leurs clients étrangers, en vertu de la loi chinoise.
« Le secteur canadien de la fabrication automobile et les personnes qui y travaillent font face à une concurrence déloyale de la Chine, lit-on dans le document du ministère des Finances. Cette dernière mène une politique intentionnelle de surcapacité dirigée par l’État et ne respecte pas des normes rigoureuses en matière de travail et d’environnement. Les producteurs chinois inondent le marché mondial, ce qui réduira l’incitatif financier des autres fabricants de VÉ [véhicules électriques] dans le monde, y compris au Canada. »
La Chine en plein essor
Outre une surtaxe sur les produits en provenance de Chine, le gouvernement songe à au moins deux autres mesures pour résoudre la situation : retirer les véhicules fabriqués en Chine des programmes d’aide à l’achat et inciter les constructeurs chinois à assembler leurs véhicules en sol canadien, ou à tout le moins en sol nord-américain.
Le Canada se trouve en quelque sorte coincé dans toute cette histoire. Il ne veut évidemment pas froisser ses partenaires occidentaux, en premier lieu les États-Unis, mais il ne semble pas chaud à l’idée de nuire à ses relations commerciales avec la Chine, qui sont en pleine croissance.
Dans le secteur automobile, la valeur des importations chinoises chez nous a bondi de quelques dizaines de millions de dollars par an depuis 2019, pour atteindre plus de 2,2 milliards de dollars l’an dernier. Seules les importations coréennes ont subi une augmentation comparable durant la même période, passant de moins d’un demi-milliard par an à 1,2 milliard en 2023.
Pendant ce temps, les importations d’automobiles des États-Unis sont passées de plus de 1 milliard par an avant la pandémie à 5,2 milliards, avant de chuter à 3,7 milliards l’année dernière.
Le Canada coincé
Ce recul des exportations américaines n’est pas unique au Canada. C’est ce qui explique la réaction soudaine de Washington devant l’émergence de la Chine comme leader de l’électrification. Le résultat est que le Canada doit prendre position entre la pression de son voisin américain et celle de son partenaire asiatique, constate le président et directeur général de Mobilité électrique Canada, Daniel Breton.
« Le Canada, pour le moment, est pris entre la Chine et les États-Unis en raison de cette situation géopolitique », dit M. Breton, dont l’organisation représente près d’une centaine d’entreprises du secteur du transport électrique.
Ce dernier se dit incapable de réagir à la position du gouvernement canadien, étant donné que les membres de son organisation risquent eux-mêmes d’être très partagés sur la question. Car, déjà, des marques comme Tesla, Volvo et Polestar importent au Canada des véhicules fabriqués en Chine.
En fait, même General Motors vend au Canada des véhicules faits en Chine, mais ceux-là ont un moteur à essence et ne semblent pas poser problème.
C’est ce qui fait dire à plusieurs personnes dans l’industrie que le problème n’est pas tant la concurrence chinoise que l’incapacité des constructeurs américains à produire des véhicules électriques à un prix abordable, chose que les marques chinoises, et même les marques coréennes, sont apparemment en mesure de faire.
Bref, la seule chose qui semble entendue à ce stade est que les véhicules électriques vendus au pays risquent de continuer à coûter cher, pour ne pas nuire à une industrie nord-américaine du transport électrique en retard sur sa concurrence internationale.