Les carrefours jeunesse-emploi contraints de refuser des services à des milliers de jeunes
Les carrefours jeunesse-emploi (CJE) déplorent de devoir exclure des milliers de jeunes au chômage ou en situation de sous-emploi de leurs services d’aide à l’emploi financés par le gouvernement. De nouveaux critères émanant du ministère sont en cause, au moment où le taux de chômage chez les jeunes explose au Québec.
Dans les lumineux et colorés locaux du CJE Thérèse-de-Blainville, à Sainte-Thérèse, les intervenants remarquent une hausse du nombre de jeunes de 15 à 35 ans qui cherchent un emploi. « Plusieurs arrivent avec un diplôme et ils ne trouvent pas de job dans leur domaine. On travaille leur curriculum vitae, on travaille tout, mais ce n’est pas assez », explique la conseillère en emploi Cristelle Elasmar.
Le marché de l’emploi ne leur est pas favorable. Le nombre de postes vacants diminue alors que le taux de chômage chez les jeunes de 16 à 25 ans atteint 10,3 % dans la province, selon les chiffres publiés vendredi par Statistique Canada. Il faut retourner en 2017 pour retrouver un taux aussi élevé en juin, mis à part l’exception pandémique de 2020.
L’aide reçue dans les CJE est précieuse dans ce contexte : simulations d’entrevue, rédaction de lettres de motivation, repérage d’offres d’emploi, détermination de ses forces et faiblesses, entre autres. Certains jeunes plus éloignés du marché du travail ont accès à une panoplie de services, comme des cours pour améliorer leur français, un accompagnement dans leur démarche de retour aux études ou des ateliers visant à améliorer leur confiance en eux ou à développer des habiletés transférables en emploi.
Mme Elasmar a elle-même eu recours aux services d’orientation du CJE Thérèse-de-Blainville il y a quelques années. « J’ai été vraiment écoutée et accompagnée, raconte-t-elle. Ça m’a éclairée sur ce que je voulais faire. »
Depuis un an, Emploi-Québec, l’un de leurs principaux bailleurs de fonds, refuse toutefois d’accorder du financement aux 111 CJE pour épauler une partie de ces jeunes. Le protocole d’entente entre le ministère et les CJE prévoit depuis un an que ces derniers doivent répondre à certains critères, rapporte le directeur général du Réseau des CJE du Québec, Rudy Humbert. Les jeunes bénéficiant de l’aide sociale ou appartenant à certains groupes sous-représentés sont priorisés. Les jeunes qui occupent un emploi, même précaire ou à temps partiel, sont souvent maintenant exclus par les agents de Services Québec, constatent les directeurs de CJE.
« Prioriser ne devrait jamais dire exclure, déplore M. Humbert. Chaque jeune se présente parce qu’il a besoin d’aide. » D’après une enquête menée auprès de ses membres, les dossiers d’environ 10 000 jeunes ont ainsi été refusés par Emploi-Québec dans la dernière année.
« On a un jeune qui travaille deux jours par semaine dans une rôtisserie et il aurait les capacités pour aller aux études en informatique. L’agente [du gouvernement] a répondu qu’il n’y avait rien de mal à servir du poulet. Mais ce n’est pas ça qu’il veut faire », s’indigne la directrice générale du CJE Thérèse-de-Blainville, Nathalie Lachance.
Au CJE L’Assomption, 185 des 500 jeunes qui ont demandé des services d’aide à l’emploi financés par le ministère n’ont pas pu en recevoir, relate le directeur général, François Girouard. « Notre mission est d’accompagner tous les jeunes. On n’est pas en position de dire [à l’un d’eux] qu’on ne peut rien faire pour lui. Personne d’autre ne peut l’aider », affirme M. Girouard.
Pour la prochaine année, les CJE s’attendent à une accélération des exclusions puisque les critères sont encore resserrés dans leurs ententes ayant débuté le 1er juillet. Désormais, les jeunes bénéficiant de l’assurance-emploi, donc au chômage, ne font plus partie des clientèles priorisées.
Des pieds et des mains
Dans les CJE, aucun jeune n’a toutefois été complètement abandonné, assure M. Humbert. Les travailleurs ont décidé de les aider coûte que coûte, malgré les refus du ministère. Mais c’est au péril de leur propre survie. Comme une importante partie de leur financement, négociée annuellement, dépend de la quantité d’aide fournie à des jeunes comptabilisés par Emploi-Québec, les revenus n’ont pas pu suivre la hausse réelle de la clientèle.
« Dans l’entente que je viens de signer pour la prochaine année, j’ai du financement pour 234 jeunes », déplore M. Girouard. C’est environ la moitié du nombre de clients servis en pratique. Son personnel est donc surchargé, et les jeunes doivent être mis sur une liste d’attente. Les jeunes non prioritaires sont aussi privés d’une prime de participation de 14 $ par déplacement habituellement accordée par Emploi-Québec.
M. Humbert dénonce une décroissance plus globale du financement accordé aux CJE, qui en force plusieurs à réduire leurs activités. Il estime que beaucoup de CJE arrivent à « un point de rupture ». Beaucoup d’entre eux ont déposé cette année un budget déficitaire, dont le CJE Thérèse-de-Blainville. La directrice générale déplore aussi que le financement d’Emploi-Québec soit limité à 75 heures par jeune, comme plusieurs bénéficiaires ont besoin en pratique de centaines d’heures de services pour reprendre le chemin de l’emploi.
Depuis un an, Nathalie Lachance est fâchée du manque d’écoute et de compréhension du gouvernement. Elle s’inquiète pour les jeunes, qui vivent de plus en plus de problèmes de santé mentale, en particulier liés à l’anxiété et au stress financier, alors qu’elle a de moins en moins de ressources pour les soutenir.
Le cabinet de la ministre de l’Emploi, Kateri Champagne Jourdain, n’a pas répondu aux questions du Devoir, les transférant plutôt aux fonctionnaires de son ministère. Une porte-parole du ministère a expliqué par courriel qu’il avait fallu « faire des choix difficiles et prioriser ses interventions » en raison d’une diminution de 145 millions de dollars des transferts fédéraux destinés aux services publics d’emploi. Elle indique que les personnes qui n’obtiendraient pas de services des CJE « peuvent être aiguillées vers d’autres organismes ou vers le bureau de Services Québec afin d’être dirigées vers d’autres mesures », sans préciser quel genre de mesures pourraient leur venir en aide.