Le maire de Natashquan candidat au conseil de bande voisin
Trois ans après l’élection du maire innu Henri Wapistan, la petite communauté de Natashquan vit de nouveau une situation inusitée sur le plan politique. Sans quitter son poste de maire, M. Wapistan a décidé de se porter candidat à la tête du conseil de bande voisin, à Nutashkuan.
L’élection chez les Innus a lieu le 6 juillet prochain, et M. Wapistan n’a pas indiqué s’il comptait rester maire de Natashquan en cas de victoire.
Les autres membres du conseil municipal marchent sur des oeufs. « C’est une situation qui est délicate », explique la conseillère municipale et mairesse suppléante, Stéphanie Landry.
« Qu’il soit élu ou non, on se doit de maintenir une relation avec lui qui est favorable. On doit s’assurer du bon fonctionnement de l’année et demie qu’il lui reste [comme maire]. Et s’il devient chef de la communauté voisine, nous avons beaucoup de projets communs. C’est une situation particulière. On peut suggérer des choses, mais avec douceur. »
La communauté innue de Nutashkuan habite juste à côté de la municipalité de Natashquan, dans le secteur de l’ancien quartier de Pointe-Parent. On s’en doute : le nom de la localité s’inspire de celui de la Première Nation, qui veut dire « endroit où on chasse l’ours » en langue innue.
Or, si Nutashkuan est en plein essor démographique, et atteint plus d’un millier d’habitants, le village natal de Gilles Vigneault ne compte plus qu’environ 250 résidents. C’est d’ailleurs en incitant les Innus, plus nombreux à voter en territoire allochtone, que M. Wapistan était parvenu à être élu maire en 2021.
Pour réduire le « favoritisme »
Le Devoir a cherché à obtenir les explications de M. Wapistan lui-même sur sa candidature au conseil de bande, mais il ne nous a pas rappelés.
Il a toutefois résumé sa vision des choses au journal local Le Portageur récemment. Dans l’entretien, il a dit vouloir appliquer en territoire innu des pratiques inspirées de celles de Natashquan. « Je suis un gars qui veut de l’avancement. Je suis à la mairie de Natashquan depuis trois ans déjà. Je sais comment ça marche du côté allochtone, il y a des lois et la transparence, puis les élus sont formés. Du côté de la communauté, c’est très différent, tout est mélangé. Il y a trop de favoritisme », a-t-il déclaré.
Le candidat dit aussi vouloir « une usine de poissonnerie avec les allochtones de Natashquan et d’Aguanish ensemble » pour « créer de l’emploi, puis de la réconciliation entre les allochtones et les Innus ».
En 2021, l’élection de M. Wapistan comme maire de Natashquan avait causé des vagues puisqu’il ne réside pas à l’intérieur des limites de la municipalité, mais bien à Nutashkuan.
C’était la première fois au Québec qu’une municipalité se retrouvait dans cette situation, qui est causée par une incongruité législative. En effet, l’octroi du droit de vote aux Innus dans la municipalité relève de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités et du fait que les réserves sont considérées comme faisant partie des territoires municipaux.
Une douzaine de communautés autochtones sont dans cette situation au Québec, dont celle de Mashteuiatsh, qui vit à côté de Roberval, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le chef de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique, a souvent dénoncé publiquement la confusion créée à cet égard par la loi québécoise. Il avait d’ailleurs pressé les membres de sa communauté de ne pas se prévaloir de leur droit de vote lors des élections municipales robervaloises.
Possible au Québec, interdit en territoire innu
Dans la loi québécoise, rien n’empêche Henri Wapistan de se porter candidat à la chefferie du conseil de bande tout en restant maire.
Au ministère des Affaires municipales, on signale que rien dans la législation ne prévoit « l’inéligibilité ou l’inhabilité d’un membre d’un conseil municipal qui occuperait les fonctions de chef de bande d’une réserve autochtone ».
Toutefois, « l’élu municipal est tenu d’agir dans l’intérêt de la municipalité dans le cadre de ses fonctions, en respect de son code d’éthique et de déontologie », ajoute-t-on.
Du côté de Nutashkuan, c’est différent. « Personne ne peut l’empêcher de se présenter », signale la présidente adjointe responsable des élections, Liliane Malec. Par contre, « s’il gagne comme chef, il doit prendre une décision et choisir un des deux postes », indique-t-elle.
Le gouvernement du Québec n’a pas non plus l’intention de modifier la loi en la matière. Par contre, une municipalité et une communauté autochtone peuvent demander d’en être exemptées en faisant une demande « conjointe » auprès de la direction régionale du ministère, indique Élodie Masson, l’attachée de presse d’Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales.
M. Wapistan a été conseiller à Nutashkuan il y a une dizaine d’années, mais il a échoué à se faire réélire comme membre du conseil de bande plus récemment. Cette fois-ci, il est en compétition avec cinq autres candidats aux élections, dont le chef sortant, Réal Tettaut. Les autres candidats sont Marie-Paule Malec, Marc-André Kaltush, Roberto Wapistan et Pierre Kaltush. Les élections dans la communauté se tiennent tous les deux ans.