À propos de la responsabilité sociale des facultés de médecine
Depuis plus d’un an, nous assistons à des sorties médiatiques de dirigeants liés au réseau de l’Université du Québec (UQ) qui appellent le gouvernement à créer une nouvelle faculté de médecine dans la province. Dans l’édition du 29 juin dernier du Devoir, le président de l’UQ affirme que son réseau proposerait « un modèle axé sur la médecine familiale et la pratique en région », invoquant « la responsabilité sociale de faire mieux » en réponse aux besoins de la population du Québec. Il affirme qu’une faculté de médecine pilotée par l’UQ formerait 200 médecins de famille additionnels par année dans un avenir très rapproché.
La situation des effectifs médicaux au Québec est bel et bien préoccupante, particulièrement en médecine familiale. D’ailleurs, le gouvernement continue d’investir des ressources importantes dans la formation de la relève. Mais comme les ressources ne sont pas illimitées, il faut se demander quel est le meilleur usage qu’on puisse en faire. Faut-il créer une cinquième faculté de médecine ? Ou plutôt ajouter des ressources aux facultés qui forment déjà des médecins pour le Québec ? Quel investissement répondrait le mieux aux besoins de la population ?
Voyons ce que disent les faits.
D’une part, devant les besoins importants, et à la suite des demandes de l’État québécois, les quatre facultés de médecine du Québec ont augmenté les admissions de 830 à 1165 étudiants entre 2018 et 2024, ce qui représente une hausse de plus de 40 %. Il s’agit là d’une hausse sans précédent dans l’histoire de la formation médicale au Québec et, à cet égard, nous sommes de loin la province la plus proactive au Canada. Cela permettra un ajout net de plusieurs centaines de médecins supplémentaires dans les années à venir, dont la majorité seront des médecins de famille. Ces hausses peuvent être réalisées rapidement, par des facultés de médecine dont les programmes jouissent déjà de l’agrément obligatoire qui est décerné par les organismes reconnus.
D’autre part, ces hausses des cohortes ont demandé une mobilisation non seulement des facultés de médecine, mais aussi de l’ensemble du réseau de santé. En effet, la formation clinique représente jusqu’à 80 % du temps de la formation en médecine, ce qui occasionne une pression importante sur les milieux accueillant des stages, qui se déroulent dans des unités de soins déjà surchargées. Il s’agit là du principal goulot d’étranglement dans la formation de davantage de médecins.
Tous en conviennent, des efforts importants doivent être déployés afin de combler le manque criant d’effectifs médicaux de première ligne, et ce, dans toutes les régions du Québec. En ce sens, la proposition formulée par le président de l’UQ de former des médecins en région est excellente, et c’est exactement ce que la Faculté de médecine de l’Université de Montréal fait… depuis déjà 20 ans !
Ce « nouveau » modèle — former les médecins dans les régions pour les régions — a déjà fait ses preuves : 25 % des finissants de notre campus en Mauricie ont choisi de pratiquer dans la région, et 72 % ont choisi la médecine de famille comme spécialité. Aujourd’hui, les quatre facultés de médecine du Québec accueillent plus de 15 % de leurs étudiants dans l’un ou l’autre des campus de médecine implantés à Gatineau, à Rimouski, à Trois-Rivières, à Lévis et à Saguenay. À cette offre de formation s’ajoutent 51 cliniques universitaires pilotées par des groupes de médecine de famille universitaire (GMF-U), qui sont présentes dans toutes les régions du Québec.
Il faut savoir aussi que la formation dans les campus régionaux coûte de deux à trois fois plus cher. Les facultés existantes, grâce à des économies d’échelle, peuvent offrir cette formation en région à moindre coût pour les contribuables par rapport à la proposition présentée par l’UQ.
De plus, la proposition du réseau de l’UQ d’avoir une faculté de médecine réservée à la formation en médecine de famille serait confrontée à une réalité qui ne relève pas des milieux de formation : à moins d’un changement de législation, rien n’empêcherait un étudiant diplômé de cette faculté de poursuivre sa formation dans une résidence en spécialité, au Québec ou ailleurs au Canada, ni d’opter pour la pratique privée.
Les médecins formés aujourd’hui au Québec sont déjà préparés à faire face aux défis de la première ligne, du vieillissement de la population, de la diversité et des inégalités sociales. Nos programmes font l’envie des autres sociétés, y compris la formation importante dans les régions et en médecine de famille. Les quatre facultés de médecine québécoises ont toujours fait preuve de responsabilité sociale face aux besoins de la population québécoise. Elles continueront de servir ainsi le bien commun, dans toute sa complexité populationnelle.
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