L’Université du Québec veut sa Faculté de médecine
Le réseau de l’Université du Québec (UQ) espère avoir sa propre Faculté de médecine d’ici quatre ans et lance une offensive pour promouvoir son modèle, axé sur la médecine familiale et la pratique en région.
« L’UQ est clairement dans une démarche déterminée pour livrer un programme de médecine dans les prochaines années », lance en entrevue le président de ce réseau universitaire, Alexandre Cloutier. L’objectif : former 200 médecins de famille par année, et ce, dès 2028.
Le Québec compte quatre facultés de médecine. Celles de McGill, de l’Université de Montréal et de l’Université Laval ont été lancées au XIXe siècle, tandis que celle de l’Université de Sherbrooke a ouvert ses portes en 1966. À titre comparatif, l’université estrienne a diplômé en 2024 une centaine de médecins de famille.
La marche est donc haute et le chemin, sans doute « rempli d’embûches », reconnaît M. Cloutier. « Mais les gens sont déçus par l’offre actuelle. Donc nous, on a une responsabilité sociale de faire mieux », ajoute-t-il, en précisant qu’environ le quart des Québécois n’ont pas de médecin de famille.
Avant M. Cloutier, le recteur de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Stéphane Pallage, a souvent pris la parole dans les médias pour promouvoir son projet de Faculté des sciences de la santé. Celui-ci est piloté depuis avril par l’ex-grand patron du Centre hospitalier de l’Université de Montréal Fabrice Brunet.
« C’est vrai que quand je suis arrivé au Québec — j’arrivais du Luxembourg —, j’avais l’ambition d’emmener la médecine à l’UQAM. Je l’ai toujours. Mais je trouve que le projet qui rassemble toutes les instances de l’UQ est beaucoup plus fort », souligne M. Pallage en entrevue. L’échéancier de quatre ans fixé par l’UQ lui apparaît « raisonnable ». L’Université du Luxembourg, d’où il est issu, a mis sur pied sa faculté au bout de deux ans, souligne-t-il.
Un nouveau modèle
Pour le réseau qu’il dirige, Alexandre Cloutier dit imaginer un programme axé sur la médecine familiale, ouvert à des candidats implantés en région — notamment des Autochtones — qui ont des « valeurs d’engagement dans la communauté ». « On espère [avoir] un profil d’étudiants qui comprennent que quand tu choisis l’UQ, tu veux la médecine familiale. Tu veux investir dans les collectivités, dans ta communauté. Et tu comprends que tu vas desservir peut-être des profils de clientèles [différents] », illustre-t-il.
Le modèle qu’envisage l’UQ est éclaté, loin de celui des campus universitaires actuels. L’Université veut bâtir sur ses programmes, infrastructures et réseaux de chercheurs actuels pour permettre à des étudiants en médecine de suivre des cours un peu partout au Québec. « Maintenant, le lieu physique comme tel [de la Faculté], est-ce que ça va être Chicoutimi, Trois-Rivières ? Est-ce qu’il y aura une composante plus forte à certains endroits ? Tout ça sera à déterminer », lance M. Cloutier. Il souligne que le réseau de l’UQ forme actuellement la moitié des infirmières et des travailleurs sociaux, notamment.
Le président de l’UQ entreprendra à l’automne une tournée des chambres de commerce pour faire valoir l’idée d’une nouvelle faculté, qui marquerait une première en près de 60 ans. L’UQ compte aussi mettre sur pied un bureau de projet, pour lequel il espère obtenir l’appui financier du gouvernement du Québec.
Opération séduction
M. Cloutier dit avoir déjà rencontré le ministre de la Santé, Christian Dubé, et avoir établi des contacts avec le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry. Dans une déclaration transmise au Devoir, les attachés de presse de ces deux cabinets ont réservé un accueil tiède aux ambitions de l’UQ. « Actuellement, nous nous concentrons sur l’augmentation des cohortes dans les quatre facultés de médecine existantes », ont-ils écrit. « Rappelons que nous nous sommes engagés à former 660 nouveaux médecins de plus d’ici la fin du mandat et nous respectons cet engagement. Nous augmentons les admissions pour former 1165 médecins par année, alors que les admissions étaient plafonnées à 830 par année à notre arrivée en 2018. »
Depuis 2022-2023, le Québec perd davantage de médecins de famille qu’il n’en gagne. Les départs à la retraite s’accélèrent et se multiplient : 21,6 % des 9904 médecins de famille du Québec ont plus de 60 ans, selon les chiffres fournis par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ).
Stéphane Gosselin, porte-parole à la FMOQ, affirme qu’« à court terme », la priorité de la Fédération est d’appuyer les campus délocalisés, comme celui de l’Université Laval à Rimouski ou de McGill en Outaouais, gérés en collaboration avec l’UQ. M. Cloutier n’entend pas mettre fin à ces collaborations. « C’est évident que [ça] va se poursuivre, sans doute sous de nouvelles formes », précise-t-il cependant.
À l’Université de Sherbrooke, le doyen de la Faculté de médecine, Dominique Dorion, réfute les arguments de M. Cloutier. Il n’y a pas assez de milieux de stage en région pour que les campus délocalisés cohabitent avec un éventuel campus de l’UQ. « Si l’UQ va là, on va décoller et on va leur léguer les espaces qu’on a là-bas », lance-t-il.
Une nouvelle Faculté de médecine, « je ne sais pas si c’est une bonne idée ou pas », dit le Dr Dorion. « Mais ça prend une réflexion plus profonde que : “les universités actuelles ne sont pas en région et ne forment pas de médecins de famille” », insiste-t-il. Puisque l’Université de Sherbrooke est présente à Alma, Chicoutimi, Rouyn et Moncton, le Dr Dorion s’admet « insulté » par l’argument utilisé par l’UQ.
Sur la base d’observations très préliminaires, encore à valider, la FMOQ remarque que les campus délocalisés des universités actuelles semblent générer plus de médecins de famille. Le Dr Dorion dit aussi remarquer que les étudiants qui sont formés en région ont tendance à y rester. La FMOQ, qui travaille sur des moyens de rendre la médecine familiale plus attrayante, dit accueillir favorablement « tous les efforts et messages » pour encourager la médecine familiale, notamment celui de l’UQ. « Il manque 1500 médecins de famille » au Québec, rappelle son porte-parole, Stéphane Gosselin.
Priorité à la médecine familiale
Dans le système actuel, les étudiants s’inscrivent au doctorat en médecine et décident, en cours de formation, s’ils souhaitent s’orienter vers la médecine familiale ou vers une spécialité. Ils passent alors par un service canadien de jumelage des résidents, le CaRMS. En 2024, 87 postes sont restés vacants en médecine familiale après le deuxième tour, et 71 d’entre eux étaient au Québec.
Avec son programme, l’UQ fait le pari d’attirer des étudiants déjà intéressés par la médecine familiale, et donc moins prompts à se tourner vers une spécialité une fois arrivés à l’étape du jumelage. « On sait qu’il y a tellement de gens qui sont refusés en médecine, et qui ont pourtant la cote R nécessaire. [Donc on sait] qu’il n’y a pas d’enjeu dans notre capacité de recruter », affirme M. Cloutier.
Encore ici, le Dr Dorion réfute son argumentaire. « Il n’y a aucun scénario où on est capable d’ajouter, par exemple, une trentaine d’étudiants par année et leur offrir des milieux de stage », indique-t-il.
En entrevue, M. Cloutier pare les attaques contre son projet. Il rappelle la bataille de l’École de technologie supérieure, qui fait partie du réseau de l’UQ. L’Ordre des ingénieurs avait refusé en 1978 de reconnaître sa première génération de diplômés, illustre-t-il.
« Chaque fois que l’UQ a voulu développer un nouveau programme, ça s’est toujours braqué. C’est le cas à l’heure actuelle, parce qu’il y a une forme de monopole qui est porté par des universités à charte et, inévitablement, on vient déranger un modèle qui est déjà bien établi », dit le président de l’UQ.
L’Université de Sherbrooke a elle-même fait face à une résistance « immense » avant son ouverture en 1966, se rappelle le Dr Dorion. « Il y avait relativement peu d’arguments, outre le fait qu’il n’y avait pas le bassin de professeurs chevronnés [à Sherbrooke] », se rappelle-t-il.