L’élection d’un premier Innu à la mairie de Natashquan cause un malaise
L’élection d’un premier Innu à la mairie de Natashquan a suscité de vives réactions ces derniers jours parce qu’il ne réside pas sur le territoire de la ville. Le Devoir s’est rendu sur place pour voir comment se passait la transition, et si cette élection allait rapprocher les Innus et les Blancs, ou le contraire.
« J’ai entendu des choses. Est-ce que le nom de Natashquan va rester Natashquan dans le temps de votre mandat ? » a demandé jeudi un citoyen lors de la réunion du conseil municipal, la première depuis l’élection d’Henri Wapistan.
La municipalité de Natashquan vit une situation pour le moins extraordinaire depuis qu’elle a pour dirigeant un individu qui n’est pas résident du territoire et ne paie pas de taxes. Le résultat d’une incongruité législative qui permet aux Innus de la réserve voisine de se présenter du côté blanc.
Jeudi soir, malgré le mauvais temps et la pluie qui tombait sur Natashquan, la salle du conseil dans le sous-sol de l’hôtel de ville était pleine à craquer pour cette réunion très attendue où des prises de bec étaient à prévoir.
Mais le nouveau maire a rassuré les inquiets. « Ça va rester Natashquan », a-t-il dit. M. Wapistan était le seul Innu présent dans la salle. Les membres de la réserve qui avaient voté pour lui n’avaient visiblement pas jugé nécessaire de se déplacer.
En ouverture de la séance, l’un des conseillers, Jacques Tanguay, avait donné le ton. En citant l’anthropologue Serge Bouchard, il a invité la salle à faire preuve d’ouverture. « Toute société a besoin d’intelligence, de savoir, d’humanité, de bienveillance dans les discours, de respect dans les débats, de sensibilité, de rêve et de beaucoup d’amour. »
« On savait que ça aller arriver tôt ou tard », résumait M. Tanguay à la veille de la rencontre. « Mais on s’attendait plus à ce qu’un Innu se présente comme conseiller. À la mairie, ça nous a surpris un peu. »
En 2008, le Directeur général des élections a avisé la municipalité que les Innus de la réserve voisine, Nutaskhuan, allaient être ajoutés à la liste électorale pour les scrutins à venir. Or, puisqu’ils ne votaient pas en grand nombre, cela n’avait pas changé grand-chose.
Jusqu’à cette année. Le 7 novembre dernier, Henri Wapistan a défait la mairesse sortante Marie-Claude Vigneault par 189 voix contre 173. Ébranlée par le résultat, cette dernière s’est vite trouvé un emploi au bureau de circonscription de la députée péquiste Lorraine Richard à Sept-Îles.
« On est dans une situation très spéciale. La pire chose qui peut arriver, c’est qu’il se développe quelque chose de malsain entre les deux populations. Ça n’est jamais arrivé avant », observait cette semaine Jean-Claude Landry, un pêcheur de crabe à la retraite qui milite pour la construction d’un nouveau havre de pêche à Natashquan, un projet commun aux Blancs et aux Innus.
Les liens entre les deux communautés sont anciens et précieux, dit-il. Le nom de la ville de Natashquan vient d’ailleurs du nom innu Nutashkuan qui signifie « endroit où on chasse l’ours ». Les Innus vivaient sur le territoire depuis des siècles quand des dizaines de familles acadiennes sont venues s’y établir au milieu du XIXe siècle. Depuis, les deux peuples ont toujours cohabité et maintenu une paix qui reste malgré tout fragile.
« Ce n’est pas d’leur faute pis c’est pas de notre faute si on en est rendus là. C’est la faute d’une loi qui ne devrait peut-être pas avoir lieu », de poursuivre M. Landry.
L’octroi du droit de vote aux Innus dans la municipalité relève de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (LERM) et du fait que les réserves sont considérées comme faisant partie des territoires municipaux. Le ministère des Affaires municipales n’avait toutefois pas été en mesure d’expliquer au Devoir cette semaine comment une municipalité pourrait s’y soustraire.
Au moins 13 communautés seraient touchées par son application au Québec, dont certaines, comme Mashteuiatsh au Lac-Saint-Jean, l’ont ouvertement dénoncée. Le chef de cette communauté innue, Gilbert Dominique, a d’ailleurs enjoint à sa population de ne pas aller voter dans la ville voisine de Roberval cette année.
« Ne pas allumer de feu »
Or, nulle part l’impact de cette loi n’a été aussi grand qu’à Natashquan cette année. Dans le petit village de 250 personnes où tout le monde se connaît, le sujet de l’élection de M. Wapistan était cette semaine sur toutes les lèvres.
Dans les heures qui ont suivi l’élection, les esprits se sont échauffés sur les réseaux sociaux. La crainte d’être assimilée si familière aux Autochtones s’est soudain déplacée du côté blanc. « Ça y est, c’est fini. Natashquan a gagné à la loterie de la malchance », écrivait un résident tandis que des Innus, heurtés, rétorquaient par des propos inquiétants. « Bientôt, on va envahir Natashquan, ça va nous appartenir », écrivait une dame.
La machine à rumeurs s’est emballée. Des gens ont confié au Devoir avoir entendu dire qu’Henri Wapistan comptait prendre le contrôle de l’Hôtel de Ville en plaçant des Innus à tous les postes, ou encore donner des noms innus à toutes les rues. On entendait dire que des résidents se préparaient à déménager.
Or, à en croire la teneur de la séance du conseil de jeudi, la volonté de garder la paix l’a emporté. Le nouveau maire, un homme de peu de mots qui s’est montré plutôt effacé à la réunion, dit « qu’il ne veut pas allumer de feu ». Chauffeur d’autobus scolaire pour les jeunes autochtones qui vont à l’école du côté blanc, il dit avoir décidé de se porter candidat dans la foulée du scandale sur les pensionnats dans l’Ouest et de la mort de Joyce Echaquan.
« Je ne veux pas que nos jeunes se chicanent entre Autochtones et non-Autochtones, a-t-il déclaré au Devoir. C’est le temps de travailler ensemble. »
À titre de président d’assemblée, le conseiller Tanguay a modéré la période de questions d’une main de fer en invitant les gens qui avaient des commentaires à s’en tenir aux questions. Il a en outre répondu à la plupart d’entre elles avec l’aide du directeur général.
« L’ère du changement »
Si la candidature d’Henri Wapistan à la mairie en avait surpris plus d’un, son élection fut moins étonnante. C’est que Natashquan compte environ 250 habitants, alors que la population de Nutashkuan ne cesse de croître et en compte plus de 1000. Donc, à partir du moment où le candidat parvenait à mobiliser une partie de la population de Nutashkuan, une victoire était à sa portée.
Pour se rendre à Nutashkuan, il faut rouler 5 kilomètres vers le nord à partir du village de Gilles Vigneault. Soudain, sur la droite, les conifères laissent place à une forêt de maisons et de nouveaux ensembles résidentiels qui se multiplient au rythme d’une démographie fulgurante.
Parents de neuf enfants, David Ishpatao et sa conjointe, Nadine Grégoire, ont déménagé avec les huit plus jeunes dans une de ces maisons en décembre dernier. S’ils ne sont pas allés voter, les deux voient l’élection d’Henri Wapistan d’un bon œil. « Ça va être bon », dit le père en soulignant qu’il a de bons amis musiciens du côté blanc.
À Nutashkuan, le conseil de bande n’a pas voulu prendre position dans l’élection à Natashquan et n’a pas non plus encouragé les électeurs à voter pour M. Wapistan. Or, certains Innus de la communauté y ont vu une occasion de « prendre leur place », fait valoir Marie-Josée Wapistan, une cadre du CPE de Nutashkuan qui s’est investie dans la campagne pour faire élire Henri Wapistan. « Avec ce qu’on vit présentement, je pense qu’on est dans l’ère du changement », dit-elle en ajoutant que « dans la croyance de la spiritualité », on appelle cela le « septième feu ».
Quant à la règle qui permet aux Innus de voter à Natashquan, elle rétorque que les Autochtones n’ont rien demandé. « Ils font adopter des lois sans nous parler, sans nous sonder. »
L’arrivée d’un Innu à la tête de Natashquan, dit-elle, ouvre la porte à des projets communs. Comme l’aménagement d’un site d’accueil innu pour les touristes à proximité du quai, suggère-t-elle.
Le conseiller Jacques Tanguay y voit quant à lui une occasion d’améliorer la couverture incendie. « Présentement, si une maison passait au feu à Natashquan, les pompiers de Havre-Saint-Pierre pourraient venir, mais c’est à une heure et demie à distance. Alors qu’il y a des services à côté [à Nutashkuan], mais on n’a pas d’entente avec eux autres. »
Pour le reste, « si la démocratie est bafouée comme certains le pensent, le gouvernement a quatre ans pour rétablir les choses », dit-il. Ni le cabinet du ministre des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, ni le président de l’Assemblée des Premières Nations, Ghislain Picard, n’ont rappelé Le Devoir cette semaine.