Faire les 400 coups au parc Moussette

Les jeunes empruntaient autrefois des sentiers plus escarpés, et moins débroussaillés, du parc Moussette, que Frédéric Gourd connaît par coeur, pour s’amuser à l’écart de la police.
Photo: Lise Denis Le Devoir Les jeunes empruntaient autrefois des sentiers plus escarpés, et moins débroussaillés, du parc Moussette, que Frédéric Gourd connaît par coeur, pour s’amuser à l’écart de la police.

Petits ou grands, les parcs urbains font encore plus partie de notre quotidien l’été. Mais qu’est-ce qui fait leur âme ? Lequel occupe une place particulière dans notre coeur et notre routine ? Pour cette série, Le Devoir en parcourt quelques-uns, accompagné parfois de lecteurs qui ont voulu partager leur histoire. Aujourd’hui : les parcs Moussette et Brébeuf, à Gatineau.

Frédéric Gourd connaît le parc Moussette comme sa poche. Il y a bu des bières, trouvé, puis retrouvé l’amour. Ce havre de paix, devenu son « centre du monde », l’a aussi apaisé pendant sa longue convalescence après avoir survécu à un cancer.

« Le parc m’a tout donné », lance-t-il en parcourant les lieux. « J’ai fait tous mes mauvais coups d’adolescent ici. Mais il m’est arrivé mieux encore. J’ai rencontré la mère de mes quatre enfants. » Un divorce et une trentaine d’années plus tard, il retrouvera un autre « amour de jeunesse », une jeune fille qui fréquentait le parc lorsqu’il avait 12 ans, et emménagera avec elle.

La partie « presque sacrée » pour Frédéric Gourd se trouve à l’est du parc. En fait, elle est plus précisément au parc Brébeuf. Mais pour celui qui a passé les 50 années de sa vie sur ces deux terrains de jeu, les frontières s’estompent.

Son « temple, sans être religieux », donne sur les rapides de la rivière des Outaouais, où se reposent des dizaines d’oiseaux et surfent quelques adeptes. « C’est un lieu vraiment important pour moi », dit-il, expliquant avoir réfléchi pendant des heures à des « questions existentielles » devant cette vue. « Il y a eu des moments où j’habitais à deux heures d’ici. À chaque naissance, quand tu veux décider si c’est le temps de faire une rupture amoureuse, quand mon père est décédé, pendant les grands moments comme ça, je venais ici. »

« Quand tu as vaincu un cancer de stade 4, tu ne vois plus les choses pareil. Ça te permet d’apprécier le moment présent. Puis, quel meilleur endroit qu’ici ? Il y a toujours des animaux, des oiseaux, des gens intéressants. La nature est belle quand je viens ici. Maintenant, je me souviens des questions posées qui ont été résolues, puis je fais juste dire merci », raconte-t-il en regardant l’horizon.

Puis il se retourne et pointe un banc. « Je suis allé faire ma convalescence sur ce banc. Je ne sais pas si tu entends le bruit de l’eau. Ça me faisait le plus grand bien. »

Roulez jeunesse

Chaque sentier lui rappelle un souvenir. Là où ont été échangés les « premiers bisous », ce cercle, aujourd’hui bétonné, sur lequel les jeunes du quartier jouaient pendant des heures à la balle aki, au point de dégarnir la pelouse, ou encore l’île sur laquelle ils fêtaient la Saint-Jean-Baptiste hors de la portée des policiers.

Il y a aussi cet endroit, dans les bois, où il avait campé pendant trois semaines avec une trentaine de camarades. « On savait que l’âge adulte s’en venait bientôt, on voulait profiter de l’été », raconte-t-il, se souvenant de saucisses grillées sur des râteaux. Même s’ils stoppèrent gentiment les festivités, les policiers « n’étaient pas là pour nous mettre dehors », souligne M. Gourd.

Photo: Lise Denis Le Devoir Les rapides de la rivière des Outaouais

Et le gardien de nuit, « qui était seulement quelques années plus vieux », leur confiait les clés de son bâtiment, remplacé aujourd’hui par un centre communautaire. Pendant que le vigile allait « dormir chez sa blonde », les enfants « rentraient dans son abri quand il pleuvait », puis continuaient leur fête. « On était super conscients qu’il y avait des limites à ne pas dépasser. On protégeait notre parc, on gardait ça propre », dit M. Gourd, expliquant qu’ils s’étaient même entendus avec des itinérants pour qu’ils récupèrent leurs caisses de bière au petit matin.

Tout ça, des adolescents de 12 à 16 ans ne pourraient plus le faire aujourd’hui, déplore-t-il, trouvant « dommage » qu’il ne soit plus permis de rester dans le parc après 22 h. « Tandis que nous autres, c’était ça notre vie ! »

Des secrets qui se transmettent

Certaines traditions ont toutefois perduré. À commencer parmi les enfants de M. Gourd. « Eux autres aussi y ont fait leurs mauvais coups, à l’adolescence. Sauf que moi, je connaissais tous les sentiers. Faque que je pouvais faire une supervision bienveillante, éviter les excès », dit-il en riant.

Un coin qui nécessite de grimper dans des sentiers un peu plus escarpés était le lieu de prédilection pour sauter dans l’eau depuis une petite falaise, puis faire un feu sans se faire remarquer par les policiers. Et le mot semble avoir été passé aux nouvelles générations, puisque des cendres fraîches s’y trouvaient au passage du Devoir.

D’autres jeunes ont également hérité d’un fameux « secret », qui permet de rejoindre une petite île sans « jamais être mouillé plus haut que les genoux ». « La passerelle de roches est invisible. Quand tu as les pieds dans l’eau, tu la vois clairement, mais de la berge, tu ne la vois pas », explique M. Gourd. « C’est un secret que les gens se révèlent de génération en génération. J’ai vu des jeunes passer exactement à la bonne place récemment », ajoute-t-il, visiblement ravi que l’information se transmette.

Attractions et alligators

Avant de devenir un terrain de jeu, le parc Moussette, mieux connu sous le nom de parc Luna, était « l’un des plus grands parcs d’amusement du Canada », peut-on lire dans l’édition du journal Le Droit publiée le jour de son ouverture, en 1925.

Des milliers de visiteurs, parfois plus de 20 000, venaient profiter du carrousel, des montagnes russes ou encore de la patinoire sur roulettes. D’autres ont participé à un « marathon » de danse qui aura duré plus d’une journée. Des concerts et des concours, dont celui du « meilleur bébé », attiraient aussi les foules, si bien que des journalistes ont comparé plus tard l’endroit à La Ronde de Montréal. Un tramway avait d’ailleurs été mis en place pour relier en « 20 minutes » les attractions et la capitale fédérale.

Le parc Luna séduisait aussi par son « jardin zoologique », qui hébergeait des singes, des ours, de « fascinants oiseaux » et des alligators. Deux des 26 reptiles venus de Floride s’étaient d’ailleurs échappés le jour de leur arrivée, nageant librement dans la rivière. Selon les archives du Droit, seul l’un des deux a été retrouvé.

Le parc sera finalement démantelé quelques années plus tard en raison de difficultés économiques, puis deviendra une propriété municipale. L’endroit sera muni progressivement de terrains de tennis, de basketball et de baseball, ainsi que d’une plage de baignade surveillée. Le parc est nommé en l’honneur de l’ancien maire de Hull, Alphonse Moussette.

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