«Play Dead» convoque différentes disciplines artistiques pour traiter d’intimité
Ils sont six, issus de quatre pays, s’adonnent à la création collective dans la plus pure acception de cette notion et parlent un même langage : celui où danse contemporaine, théâtre et cirque se conjuguent à l’unisson. Un dialecte teinté du surréalisme que la compagnie People Watching estime indissociable de l’art circassien, vu le détournement d’objets divers à des fins acrobatiques et les prouesses physiques qui transgressent l’usuel et laissent pantois. Après avoir d’abord présenté son premier spectacle, Play Dead, l’an dernier au théâtre La Chapelle, dans le cadre du volet exploratoire L’autre cirque du festival Montréal complètement cirque, elle investit cette année la Tohu pour le révéler au grand public.
C’est à l’École nationale de cirque que Brin Schoellkopf (du Vermont), Jérémi Lévesque (du Québec), Sabine Van Rensburg (d’Afrique du Sud), Natasha Patterson (de Californie), Ruben Ingerwen et Jarrod Takle (tous deux d’Australie) se sont rencontrés, mutuellement admirés et liés d’une vive amitié. S’il apparaissait limpide aux yeux des six artistes qu’ils désiraient travailler de concert, tous n’ayant pas été diplômés la même année, chacun a d’abord entamé son propre itinéraire professionnel. Or, certains de ces parcours se sont croisés, comme ceux de Schoellkopf et de Van Rensburg, qui étaient de Passagers, et ceux de Lévesque et de Patterson, membres de l’équipe de Réversible, deux spectacles des 7 doigts, ce qui n’a fait que cimenter leurs attaches, de même que leur vision commune.
Puis frappa l’implacable pandémie. Or, celle-ci s’est avérée plutôt favorable à la naissance du premier opus de ce qui n’était pas encore People Watching. Si Takle et Ingerwen étaient certes immobilisés en Océanie, les quatre autres camarades ont emménagé dans le même loft et se sont livrés à la création sans interruption ni distraction extérieure, conditions extrêmement rares dans l’ère actuelle.
Le confinement a, en outre, influencé le contenu de Play Dead. Non seulement sa scénographie esquisse un cadre domestique, mais le spectacle s’intéresse notamment « à l’intimité, à l’absurdité » du vivre-ensemble et au besoin viscéral de l’autre, explique Brin Schoellkopf. Pour les membres de People Watching, cette césure imposée évoque aussi la fin de l’insouciance de la jeunesse. Jérémi Lévesque parle d’une « prise de conscience de notre relation à l’amitié, à l’amour, à la mort, et de la fragilité de tout cela ». Ces thèmes mènent tout naturellement à une réflexion quant aux apparences. « Quand ça craque, ajoute-t-il, qu’est-ce qui se cache derrière ? On a approché cette question de différentes façons, sans que ce soit fataliste. »
Repenser le cirque
Nourri de ces considérations, c’est à la conquête du Saint-Graal du cirque contemporain que s’est lancé le sextuor : élaborer une oeuvre signifiante et exempte de discontinuités. « Dès le début, on avait envie de s’éloigner du modèle numéro-transition-numéro, relate Lévesque. Cependant, c’est beau de le dire — et j’ai l’impression de l’avoir entendu dans la moitié des projets auxquels j’ai participé —, mais on finit habituellement par retomber dans le format numéros, à cause des appareils de cirque. »
C’est pourquoi les six comparses ont fait le choix hardi de renoncer à leurs expertises spécifiques respectives. Parce que créer à partir de disciplines circassiennes données aurait prédéterminé « ce que contiendra le monde qu’on a essayé de construire avec le spectacle », explique Takle. Le processus de création aurait été orienté vers la justification d’usage de ces disciplines (la planche coréenne pour Lévesque et le fil de fer pour Schoellkopf, par exemple) plutôt que de permettre de choisir celles-ci en fonction de ce que les artistes souhaitaient exprimer. Or, l’aspect dramaturgique occupe une position cardinale dans leur démarche. « Au cirque, souvent, d’une scène à l’autre, il y a une espèce de wipe and reset : on balaie la scène, on met un nouvel appareil. On voulait que les sentiments coulent tout au long de la représentation, trouver des façons plus naturelles de passer d’une chose à l’autre grâce à l’écriture. »
En plus de marier la danse, le cirque et le « théâtre physique », le travail de People Watching est imprégné d’influences cinématographiques. « C’est dans notre vocabulaire visuel, dans notre manière de composer l’image. Il y a même certains moments du spectacle qui sont basés sur une image qu’on avait envie de mettre en mouvement. » Le défi, soutient Brin Schoellkopf (qui aimerait bien réaliser un film à partir de Play Dead), a donc été « de trouver [entre ces tableaux] des transitions »… qui n’auraient pas l’air d’en être.
Son esthétique composite, empreinte d’un certain « humour noir », comme le dit Lévesque, le groupe la peaufine aussi à l’occasion de prestations immersives. Tel que l’affirme Jarrod Takle avec enthousiasme, ses collègues et lui-même sont friands de performances in situ, « où tout peut arriver, où on peut interagir avec le public, l’amener dans notre univers ». Et cet univers, la troupe se verrait bien l’exporter vers d’autres formes d’art. « On veut continuer à explorer différentes sources de création, dit avec passion Jérémi Lévesque, travailler avec des gens qui sont plutôt dans la conception de costumes ou même dans la mode. On a aussi envie de collaborer avec des artistes d’arts visuels et de faire des installations, de la vidéo, de la photo. »
En attendant de sonder de nouveaux territoires disciplinaires, ce sont de nouvelles contrées que le collectif tentera de conquérir. Car, après Montréal complètement cirque, il promènera Play Dead en Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas et en Norvège. Et c’est titulaire d’une nomination au tout premier prix Propulsion pour l’innovation et l’enrichissement des arts du cirque du Conseil des arts de Montréal (en partenariat avec En piste, le regroupement national des arts du cirque) que la compagnie entreprendra sa tournée. Une bien jolie carte de visite.