À Paris, le calme avant la tempête

À l’approche d’élections législatives qui s’annoncent historiques, l’ambiance à Paris est somme toute on ne peut plus normale pour l’instant. Le saut dans l’inconnu qui attend la France n’a pas dissuadé les Parisiens de se ruer vendredi soir en masse sur les terrasses pour célébrer la victoire des Bleus contre l’équipe de soccer du Portugal. Cette atmosphère fraternelle et bon enfant contraste avec les débats enflammés des derniers jours dans les différents médias, où les uns et les autres se traitent volontiers d’antisémites, de racistes, voire de fascistes.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : les élections législatives occupent tout de même les esprits. Il n’y a pas un café, un restaurant, un bar, où l’on n’entend pas parler de politique à la table voisine. Que l’extrême droite soit aux portes du pouvoir inquiète à Paris, l’une des villes où le vote pour le Rassemblement national demeure le plus marginal. Le RN n’a réussi à se qualifier au second tour que dans une des 18 circonscriptions que compte la capitale.

« Paris est une ville d’immigrés. Pour l’instant, c’est calme. Mais il suffit d’une étincelle pour que le feu prenne. Si le RN gagne demain, ça pourrait être une étincelle », avance Yvan Cotten-Sapa, un jeune étudiant croisé sur la Place de la République.

L’immense monument érigé au centre de l’endroit a été tagué à sa pleine grandeur de slogans hostiles au Rassemblement national. Deux immenses drapeaux algérien et palestinien flottent côte à côte. La scène a de quoi impressionner. Plusieurs chaînes de télévision étrangères y ont braqué leur caméra. On pouvait y voir samedi matin des journalistes de la Grèce, de la Turquie ou encore du Mexique : tous fascinés par la montée de l’extrême droite dans le « pays des droits de l’Homme ».

Dans les faits, c’était assez calme samedi vers midi à la Place de la République, où s’est tenue une grande manifestation contre le RN plus tôt cette semaine. Ce fut l’une des seules ; l’entre-deux-tours n’a pas été marqué par une déferlante de contestations dans la rue, comme certains le redoutaient. Mais le dévoilement des résultats du second tour pourrait changer la donne.

Risques de débordements

Le ministère de l’Intérieur déploiera dimanche à travers la France 30 000 membres des forces de l’ordre pour éviter des débordements. Certaines boutiques à Paris se préparent aussi au pire. Elles videront leurs stocks et barricaderont leurs fenêtres dimanche soir, de crainte que la situation dégénère en casse ou en pillage.

Le pays a connu son lot de violence du genre dans les dernières années avec la crise des Gilets jaunes, puis les émeutes de l’été dernier survenues après la mort du jeune Nahel, 17 ans, lors d’un contrôle de police. « Le contexte est différent cette fois. Mais je pense que si le RN passe, il pourrait y avoir des soulèvements », appréhende Christophe, qui dirige un magasin de vêtements sur l’avenue des Champs-Élysées.

La gérante d’une autre enseigne de luxe, qui n’a pas non plus voulu être identifiée pour ne pas porter atteinte à sa compagnie, ne s’inquiète pas outre mesure des troubles qui pourraient survenir dimanche. Elle se soucie davantage de l’impact qu’auront sur son commerce les Jeux olympiques, qui doivent s’ouvrir le 26 juillet.

« Actuellement, il y a moins de gens dans Paris, mais ce n’est pas à cause des élections, c’est parce que les Parisiens ont fui la ville en prévision des JO. La grande inconnue pour nous, c’est de savoir si les Jeux vont attirer des touristes ou si, au contraire, ils auront poussé les étrangers à repousser leur voyage », évoque-t-elle.

En cette fin de campagne hyperpolarisée, on ne notait rien d’inhabituel sur les Champs-Élysées samedi en matinée. Comme à l’accoutumée, des hordes de touristes américains et chinois s’y massaient pour se faire photographier avec l’Arc de Triomphe. Et ce, en dépit du temps très maussade.

Aucune majorité en vue

Les températures ont jusqu’ici été plutôt moches cet été à Paris. On n’a pas connu de grandes canicules, comme ce fut le cas dans les années précédentes. Est-ce pour cela que les sujets environnementaux ont été presque complètement absents de ces élections ? Après avoir profité d’un effet Greta Thunberg avant la pandémie, Les Écologistes semblent aujourd’hui condamnés à jouer les seconds violons dans la vie politique française. Au sein du Nouveau Front populaire, ils se trouvent pris à l’étroit entre leurs deux partenaires de coalition, les insoumis de la gauche radicale et les socialistes du centre gauche.

Sur le terrain, l’immigration, l’insécurité et l’économie sont les enjeux les plus souvent soulevés. Mais depuis le premier tour, les grands médias se focalisent sur les subtilités du système politique français à deux tours. Car toute une mécanique s’opère depuis une semaine pour faire barrage aux candidats du Rassemblement national. Le camp du président Macron a appelé ses candidats arrivés en troisième position à se retirer du second tour au profit de ceux du Nouveau Front populaire. La coalition de gauche a aussi donné l’indication à ses candidats arrivés en troisième place qui auraient pu se maintenir au second tour de ne pas le faire, afin de permettre aux macronistes mieux positionnés qu’eux de battre le RN.

Cette stratégie pourrait empêcher le jeune Jordan Bardella, le protégé de Marine Le Pen, de devenir premier ministre. Selon les récentes projections des instituts de sondages, le RN ne dépasserait pas la barre des 289 sièges, le chiffre magique pour obtenir la majorité à l’Assemblée nationale.

Sans aucun parti majoritaire au parlement, la France, qui demeurera présidée par Emmanuel Macron, pourrait s’avérer ingouvernable.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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