Notre sélection polar du mois de juillet
Un duel improbable
Un soir d’orage dans la région du Tessin, au nord de l’Italie, un meurtre rituel est commis. La suppliciée arbore un masque animal, elle est recouverte d’une peau de mouton et porte des cicatrices étranges ; nous sommes bien loin de la Sardaigne, mais presque tous les éléments de sa mise à mort sont une copie conforme des assassinats qui nous ont fait connaître les inspectrices Eva Croce et Mara Rais (voir L’île des âmes chez le même éditeur). Voilà qui est suffisant pour que Vito Strega s’amène avec ses deux collaboratrices. L’enquête s’avère rapidement complexe puisque le territoire est contrôlé par la ’Ndrangheta, la puissante mafia italienne, qui ne voit pas d’un bon œil l’arrivée des enquêteurs. Mais c’est loin d’être le seul écueil et, en bout de piste, Strega et son équipe seront conviés à un duel aussi improbable qu’inattendu. Comme à l’habitude, l’écriture de Piergiorgio Pulixi est remarquable de précision et de poésie (bravo pour la traduction !), truffée de patois savoureux et portée par des personnages hauts en couleur.
Michel Bélair
La septième lune
★★★1/2
Piergiorgio Pulixi, traduit par Anatole Pons-Reumaux, Gallmeister, Paris, 2024, 528 pages
Affrontement cataclysmique
Quelque part au début des années 1960, Aaron Holland Broussard travaille dans une ferme près de Trinidad, à l’extrémité sud du Colorado, tout près de la frontière avec le Nouveau-Mexique. Le travail est dur, mais cet intello en route vers l’Ouest y trouve son compte puisqu’il oublie ainsi les images sombres qui l’assaillent depuis la guerre de Corée. Mais voilà qu’il rencontre une jeune femme dont il tombe éperdument amoureux… et qui est convoitée par le psychopathe du coin, Darrell Vickers ; l’affrontement sera cataclysmique. Il y a aussi que la région est connue pour la grande violence avec laquelle on y a réprimé les revendications de travailleurs miniers quelques années plus tôt. Et Burke en profite pour faire flotter, grâce au personnage complexe de Holland Broussard, le souvenir de l’événement en utilisant une sorte de « réalisme magique » où les défonces des chevelus du coin se mêlent aux silhouettes des fantômes des mineurs sacrifiés. Un livre dur, livré dans un style admirable bien rendu par la traduction.
Michel Bélair
Un autre Éden
★★★1/2
James Lee Burke, traduit par Christophe Mercier, Rivages/Noir, Paris, 2024, 264 pages
Ça passe ou ça casse
Qui a aimé la série Breaking Bad se retrouvera en terrain familier dans Le diable sur mon épaule de Gabino Iglesias (Les lamentations du coyote). Mario vit à Austin, au Texas, avec sa femme et sa fille. Il les adore. Mais l’enfant tombe gravement malade. Les traitements coûtent très cher. Or Mario n’a pas d’argent. Jusqu’à ce qu’un ancien collègue devenu vendeur de meth lui en offre. Pour tuer un homme. Et Mario de plonger. Une fois. Deux. Jusqu’à ce qu’il perde tout. À moins que l’ultime coup qu’on lui propose (ah, cette fameuse dernière fois !) n’arrange tout. Il se retrouve alors dans un engrenage où tragédie et violence vont main dans la main. Certaines pages du roman sont à peine soutenables. Et pourtant, impossible de le lâcher. Il y a cette écriture totalement maîtrisée, belle ici, implacable là, qui passe sans accroc d’une réalité dure au réalisme magique en faisant un détour par un humour très noir. C’est remarquable, déchirant, dépaysant et précieux. Jusqu’à la dernière ligne.
Sonia Sarfati
Le diable sur mon épaule
★★★★
Gabino Iglesias, traduit par Pierre Szczeciner, Sonatine éditions, Paris, 2024, 329 pages
La misère des riches
On appelle cela « le thriller domestique ». Elle l’a pratiqué dans Le couple d’à côté, continue depuis et remet ça avec le roman Repas de famille. Autrefois avocate puis professeure d’anglais, la Canadienne Shari Lapena s’amuse ici dans les eaux troubles des relations familiales au sein d’un clan qui n’a (malheureusement ?) rien à envier à ceux que l’on a découverts dans les séries Succession ou In Memoriam. En présence, le riche Fred Merton, père toxique et manipulateur, son épouse, leurs trois (détestables) enfants. En furie contre le paternel, chacun pour une (excellente ?) raison sous le signe du dollar. Oh, il y a aussi les conjoints. Et la gouvernante. Et la sœur du monstre. Autant de personnes qui se retrouvent parmi les suspects lorsque le couple est retrouvé mort après le repas de Pâques. L’ensemble est mené avec allant et efficacité, sans toutefois se démarquer du corpus du genre. Ni susciter une larme de sympathie pour les membres de cette famille odieuse. Mais ça, c’était voulu.
Sonia Sarfati
Repas de famille
★★★
Shari Lapena, traduit par Romane Lafore, Les Presses de la Cité, Paris, 2024, 347 pages