Les Rohingyas, pris en étau entre les militaires et les rebelles

«Selon le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, les Rohingyas seraient “l’une des populations les plus discriminées du monde, sinon la plus discriminée”», écrit l’autrice.
Photo: Chaideer Mahyuddin Agence France-Presse «Selon le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, les Rohingyas seraient “l’une des populations les plus discriminées du monde, sinon la plus discriminée”», écrit l’autrice.

Alors que la Cour internationale de justice (CIJ) enquête sur de possibles crimes contre l’humanité et actes de génocide perpétrés par l’armée du Myanmar contre les Rohingyas en 2017-2018, leur destin est aujourd’hui coincé entre les militaires et un groupe rebelle indépendantiste.

Des groupes de défenses des droits ont récemment accusé l’armée Arakha (AA) d’avoir brûlé jusqu’à 35 villages où résident des Rohingyas dans l’État du Rakhine (Arakan de son ancien nom). Le groupe indépendantiste compte entre 30 000 et 40 000 combattants et contrôle une grande portion de l’État. L’AA aurait forcé des dizaines de familles de la minorité musulmane à quitter la région, allégations corroborées par des images satellites. Des endroits où se réfugiaient des Rohingyas déplacés dans le village de Buthidaung auraient notamment été détruits à la mi-mai, dont un hôpital et des écoles.

L’AA accuse plutôt l’armée nationale d’être à l’origine des incendies. Ils affirment avoir simplement voulu prévenir la population de quitter la zone de guerre. Ses dirigeants qualifient fréquemment les Rohingyas « d’amis » et de « compatriotes » et ont déclaré officiellement vouloir « protéger les droits de toutes les communautés dans la région, peu importe leur appartenance raciale, leur ethnicité ou leur religion ». Pourtant, un de ses commandants les a déjà traités de « Bengali » sur X, un terme péjoratif qui sous-entend qu’ils sont des infiltrateurs musulmans dans ce pays à 90 % bouddhiste. Il les accusait de vouloir bâtir une « zone de sécurité islamique distincte ». Si tous sont en danger dans les affrontements actuels, les déplacements sont plus aisés pour les bouddhistes que pour les Rohingyas, à qui le régime refuse encore souvent la citoyenneté et le passeport.

Beaucoup d’habitants d’ethnicité rakhine de l’État du Rarkhine, dont les membres de l’AA, souhaitent se séparer du Myanmar et de sa majorité birmane. Alors que l’AA se bat contre le régime militaire reconnu pour ses attaques contre les minorités, ils semblent tout comme eux souhaiter le départ des Rohingyas musulmans. Ces derniers sont donc pris en étau entre les militaires et les rebelles, tout en faisant face à une porte close du côté du Bangladesh, où se trouve la majorité des réfugiés rohingyas.

Conscription obligatoire

Le régime militaire du Myanmar aurait aussi ravivé une vieille loi afin de forcer la conscription des Rohingyas dans l’armée nationale pour se battre contre l’AA, les appelant à servir en plus grand nombre que les autres groupes ethniques. Alors que de jeunes hommes se voient refuser la citoyenneté, ils sont forcés de se battre dans les rangs d’une armée ayant opéré des violences contre leur communauté depuis des décennies. Certains conscrits ont affirmé que les Rohingyas servent souvent de boucliers humains en se faisant envoyer dans des combats perdus d’avance.

Le gouvernement de Sittwe, la capitale du Rakhine, aurait par exemple opéré un maigre entraînement militaire de deux semaines pour des Rohingyas, dont plusieurs ont immédiatement été envoyés au front. Un homme a confié à Radio Free Asia devoir dormir dans les champs pour éviter de se faire recruter de force par l’armée nationale qui se rend dans les maisons tard le soir pour recruter.

Le groupe « Armée pour le salut des Rohingyas de l’Arakan » (ARSA), très présent dans les camps de réfugiés du Bangladesh, a même été accusé de coordonner la conscription de Rohingyas pour les rangs de l’armée nationale, alors même qu’ils se battent historiquement contre cette même armée. L’AA est aussi accusée d’enrôler de force des Rohingyas, une accusation qu’ils démentent.

Selon le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, les Rohingyas seraient « l’une des populations les plus discriminées du monde, sinon la plus discriminée ». En 2020, des enquêteurs de l’ONU auraient dit craindre un « risque sérieux que des actes génocidaires se produisent ou se reproduisent ».

Rappel historique

Les Rohingyas vivent depuis des centaines d’années au Myanmar, principalement dans l’État pauvre du Rakhine. Depuis 1982, l’État a retiré la citoyenneté à ceux qui ne pouvaient pas prouver que leur famille habite le pays depuis un certain nombre d’années. Ils sont ainsi devenus la plus grande population apatride du monde.

Alors que le Myanmar est instable depuis son indépendance des Britanniques en 1948 (alors appelée Birmanie), la minorité rohingya subit des discriminations depuis plusieurs décennies. En août 2017, le gouvernement civil dirigé par la lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi a opéré la plus grande vague de persécution contre eux en forçant environ 742 000 personnes à fuir vers le Bangladesh. La première ministre aurait qualifié les Rohingyas de « terroristes ».

Depuis le coup d’État de février 2021 contre son gouvernement, la junte a emprisonné Suu Kyi, mais continue de brimer les droits des minorités et de la population en général. Depuis octobre 2023, des rixes entre l’armée et des factions d’opposition comme l’AA ont intensifié la crise qui a mené à environ 2,8 millions de personnes déplacées dans le pays. Selon les Nations unies, en date du 26 janvier 2024, environ 26 000 personnes auraient été arrêtées pour motifs politiques.

Environ 1,1 million de Rohingyas vivent actuellement dans 33 différents camps à Cox’s Bazar, au Bangladesh, la plus grande installation de réfugiés au monde, et 600 000 demeurent encore au Myanmar. Certains ont commencé à prendre des bateaux pour tenter de s’installer ailleurs, comme en Indonésie, en Thaïlande ou en Malaisie, trois pays n’ayant pas signé la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Les États-Unis, le Japon et la Norvège ont récemment promis plusieurs millions pour aider le Bangladesh à gérer Cox’s Bazar, en surcapacité. En plus de leur refuser aujourd’hui l’entrée, Dhaka interdit aussi aux Rohingyas de travailler et se déplacer librement dans le pays.

Ce texte fait partie d’une série sur les peuples opprimés dans le monde.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo