Sur la difficulté pour l’ONU d’instaurer une paix durable en Haïti

«Le problème est que si, à court terme, les missions de l’ONU ont donné des résultats en Haïti, à long terme, elles ont toutes échoué, car la paix instaurée n’a pas été durable», écrit l’auteur.
Photo: Clarens Siffroy Agence France-Presse «Le problème est que si, à court terme, les missions de l’ONU ont donné des résultats en Haïti, à long terme, elles ont toutes échoué, car la paix instaurée n’a pas été durable», écrit l’auteur.

La Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) intervient en Haïti dans un contexte marqué par le contrôle des gangs de près de 80 % du territoire de la région métropolitaine et de la montée des actes de banditisme. L’État semble n’exister que de nom avec des institutions qui fonctionnent au ralenti selon le rythme d’opérations des gangs.

Pour preuve, le palais national est abandonné par les autorités en raison des attaques armées ; certains ministères sont dans l’incapacité de recevoir les employés fuyant l’insécurité ; des commissariats sont abandonnés par les policiers.

Face à cette situation de chaos en Haïti, le 2 octobre 2023, le conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) a autorisé la mise sur pied de la Mission multinationale d’appui à la sécurité en Haïti chargée d’aider la police nationale dans des tâches de rétablissement de la sécurité (résolution 2699).

Toutefois, il est essentiel de rappeler que ce n’est pas la première intervention internationale que connaît Haïti dont l’objectif est d’aider au rétablissement de l’ordre et la paix. Ainsi, on se demande pourquoi, aujourd’hui encore, une nouvelle mission internationale est obligée de fouler le territoire national.

En effet, depuis le début des années 1990, l’ONU s’est saisie de la situation à la suite des divers troubles qu’a connus Haïti, notamment le coup d’État contre le président Jean-Bertrand Aristide en 1991 ayant plongé le pays dans une crise aiguë, qui a fait des milliers de victimes. Ainsi, en 1994, elle a autorisé le déploiement d’une force multinationale dirigée par les Américains chargée de restaurer la démocratie, qui a facilité le retour du président Aristide au pouvoir.

En 1995, elle est remplacée par une mission de maintien de la paix, la MINUHA (Mission des Nations unies en Haïti), dont les principaux objectifs ont été de créer une force de police et de renforcer les institutions politiques. Concrètement, cette dernière a pu atteindre les objectifs fixés au point que, dès 1996, son effectif a été réduit et que l’ONU a même décidé de mettre sur pied une autre mission de moindre taille pour la remplacer, à savoir la MANUH (Mission d’appui des Nations unies en Haïti) qui sera elle-même suivie par d’autres missions de moindre ampleur, dont la MITNUH (Mission de transition des Nations unies en Haïti), la MIPONUH (Mission de police civile des Nations unies en Haïti) et la MICAH (Mission civile internationale d’appui en Haïti) jusqu’en 2000.

Cependant, contrairement à ce que les officiels onusiens ont cru, au début des années 2000, Haïti a connu à nouveau une grave crise, à cause surtout des irrégularités dans le processus électoral instrumentalisé par le parti Fanmi Lavalas et d’autres facteurs tels que l’effondrement d’institutions comme la police nationale, la politisation de la justice, la montée d’actes de violence contre les individus.

Conséquence : Haïti est replongée dans l’instabilité, ce qui a provoqué à nouveau une intervention de l’ONU en 2004, d’abord par l’autorisation du déploiement d’une force multinationale intérimaire pour pacifier la situation sur le terrain qui a duré trois mois et ensuite par une nouvelle opération de maintien de la paix, à savoir la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti).

Cette dernière poursuivait les objectifs suivants : établir un environnement sécurisé et stable, stabiliser politiquement le pays et renforcer la démocratie, développer et professionnaliser la police nationale. Durant son opérationnalisation, elle a permis à Haïti de connaître à nouveau de la stabilité : les groupes armés ont été neutralisés ; l’organisation des élections présidentielle, législatives et municipales ; opérationnalisation de la police nationale (effectif porté à environ 14 000 agents).

À la suite de ces progrès enregistrés, l’ONU a tourné la page de la MINUSTAH, en 2017, en mettant sur pied une autre mission de moindre ampleur, à savoir la MINUJUSTH (Mission des Nations unies pour l’appui à la justice en Haïti) chargée d’appuyer le gouvernement en matière de justice et d’État de droit, qui a été remplacée par la suite, depuis 2019, par une mission politique spéciale, le BINUH (Bureau intégré des Nations unies en Haïti).

Toutefois, quelques années après le départ des forces internationales, Haïti a connu une crise sans précédent : contrôle de la majorité du territoire par les gangs armés, président assassiné, absence d’élus, insécurité généralisée.

Au cours de l’année 2023, l’ONU a dénombré en Haïti près de 4789 homicides et 2490 enlèvements, lit-on dans le rapport du Secrétaire général dévoilé en 2024. Ce qui poussa le Conseil de sécurité à statuer à nouveau sur la situation, jusqu’à faciliter le déploiement des troupes kényanes en Haïti ce 25 juin à travers la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS).

Dans ce cas, si les opérations de paix que l’ONU a déployées en Haïti avaient réussi à instaurer durablement la paix, une nouvelle mission internationale n’aurait pas lieu. Une telle situation pousse certains observateurs à remettre en question l’efficacité des missions de paix de l’ONU en Haïti, car si certains pays ont pu bénéficier de leur aide pour mettre fin à de longues guerres civiles, dans celui d’Haïti, leur assistance paraît s’éterniser sans rémission politique.

Le problème est que si, à court terme, les missions de l’ONU ont donné des résultats en Haïti, à long terme, elles ont toutes échoué, car la paix instaurée n’a pas été durable.

Toutefois, si le déploiement de cette nouvelle mission constitue une preuve de l’échec des précédentes interventions internationales en Haïti, il représente également une occasion pour Haïti de tourner la page de l’instabilité et d’aller vers la construction de la paix durable en adoptant des politiques pouvant s’attaquer aux causes structurelles de la violence.

Les acteurs locaux doivent comprendre que l’ONU est limitée dans ses possibilités d’action ; c’est à eux qu’incombe la responsabilité de préserver la paix en Haïti. Or il y a un hic : l’un des principaux obstacles à une résolution durable de la crise haïtienne est l’élite corrompue profitant des faiblesses institutionnelles de l’État pour s’enrichir au détriment des besoins réels de la population.

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