L’école pour tous, du rêve à la réalité

Avec cette série, l’équipe éditoriale remonte aux sources d’un modèle québécois qui bat de l’aile dans l’espoir d’en raviver les premières étincelles, celles qui ont permis à notre nation de se distinguer des autres. Aujourd’hui : l’universalité du système d’éducation.

Le Québec d’après-guerre. Les jeunes qui fréquentent l’école sont peu nombreux et appartiennent à une certaine élite. Même si la fréquentation des classes est obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans depuis 1943, les statistiques ne montrent rien d’une société où l’éducation joue un rôle de premier plan. À peine le quart des élèves se rendent en 8e année et un mince 2 % à la 12e année. Dans le Canada des années 1950, le Québec présente le pire taux de scolarisation.

Mais les choses sont appelées à changer. Dans un contexte démographique de croissance, en plein boom économique et industriel et alors que les besoins de main-d’oeuvre explosent, le Québec s’apprête à vivre une Révolution tranquille qui n’a de tranquille que le nom. En éducation, les changements mis au monde par la commission Parent (de son nom véritable Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec) sont grandioses et bâtissent la structure du réseau de l’éducation tel qu’on le connaît encore aujourd’hui : l’école obligatoire jusqu’à 16 ans, l’abolition des collèges classiques, la déconfessionnalisation du système, l’avènement des commissions scolaires régionales, des cégeps, des maternelles, du réseau de l’Université du Québec, du ministère de l’Éducation ! Cet héritage est majestueux.

L’accès gratuit à l’école pour tous et toutes, peu importe l’origine ou les moyens, trône en principe fondateur. L’école ne devrait plus être une affaire de moyens financiers et de classe, martèlent les auteurs du rapport Parent, qui compte l’éminence Guy Rocher, sociologue et grand défenseur de l’éducation comme socle de la démocratie, qui vient tout juste de souligner son 100e anniversaire.

Il y a 20 ans, à l’occasion des 40 ans du rapport Parent, Guy Rocher revisitait, dans un texte publié dans Le Devoir, les objectifs de la commission Parent. « Pendant les siècles et les millénaires qui ont précédé le XXe siècle, tous les systèmes d’enseignement ont été élitistes : les masses humaines de nos ancêtres de toutes les nations ont vécu dans l’analphabétisme. Seule une mince couche d’une élite, variablement triée ou élue, avait accès à l’enseignement et au savoir. La grande révolution du XXe siècle fut le renversement de ce régime immémorial en ouvrant toutes grandes les portes de l’école, du collège, de l’université, de leurs bibliothèques et de leurs laboratoires. Ce fut la révolution de la démocratisation du système d’enseignement. »

Cette entrée du Québec dans le monde moderne de l’éducation porte les signatures des auteurs du rapport Parent, mais aussi celle de Paul Gérin-Lajoie, membre de l’équipe des libéraux de Jean Lesage. C’est lui qui lance la Commission en 1961, à titre de ministre de la Jeunesse, et qui préside les premiers chantiers de transformation culturelle et structurelle du réseau comme premier ministre de l’Éducation, en 1964.

La mutation radicale produit ses effets positifs sur les niveaux de scolarité des jeunes Québécois. Presque tous les scénarios de fréquentation scolaire anticipés par les auteurs du rapport Parent sont dépassés, et les taux d’abandon scolaire, pointé comme un problème d’importance, ne cessent de chuter. Sur la scolarisation des filles et des jeunes femmes, l’universalité du système d’éducation a un effet libérateur, dont on mesure les effets encore aujourd’hui avec la présence massive et les succès des filles dans tous les ordres d’enseignement.

Soixante ans plus tard, le principe d’égalité des chances trônant au coeur de la réforme Parent est-il fragilisé ? On n’aura pas de sitôt oublié le rapport choc produit par le Conseil supérieur de l’éducation (une autre riche créature du rapport Parent, malheureusement supprimée par le gouvernement actuel), publié en 2016 et dont le titre — Remettre le cap sur l’équité — venait souligner le fait que le système scolaire québécois demeurait le moins équitable au Canada, c’est-à-dire que les résultats des élèves dépendaient toujours en grande partie du milieu socio-économique duquel ils étaient issus.

Depuis la fin des années 1980, la multiplication des programmes particuliers pratiquant la sélection au sein des écoles publiques, le tout pour concurrencer l’appétit des écoles privées, a fini par créer ce qu’on appelle toujours l’école à trois vitesses. Hélas, le ministre de l’Éducation actuel, Bernard Drainville, a déjà laissé entendre que cette « thèse » relevait d’un « biais idéologique » plutôt que d’un effet concrètement mesurable sur le plancher des classes. Ce déni de réalité est des plus dommageables, surtout lorsqu’il émane des autorités compétentes ayant le pouvoir de faire changer le cours des choses.

Pris au jeu de sa course à la performance, le Québec ne peut pas oublier sur le chemin de sa réussite collective la réussite de chacun. Ce principe d’accès à une expérience scolaire de qualité pour tous les élèves, peu importe le milieu socio-économique dont ils sont issus, était au coeur des volontés du rapport Parent, qui défendait ardemment la justice sociale. Gare aux effets sournois de cette école divisée en strates, qui favorise à nouveau les plus favorisés et les élites. Ce serait un retour en arrière dévastateur.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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