Le plein de culture à Winnipeg

André Lavoie
Collaboration spéciale
Le Musée canadien des droits de la personne à Winnipeg
Photo: Getty Images Le Musée canadien des droits de la personne à Winnipeg

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

La capitale du Manitoba n’est pas forcément sur la liste des grandes destinations culturelles. Et si on se donnait la peine de se laisser surprendre ?

Impossible de faire le compte des mines dubitatives à l’annonce de l’auteur de ces lignes qu’il allait passer quelques jours au milieu des Prairies canadiennes. Il est vrai que, sur la liste des destinations culturelles, Winnipeg figure rarement au premier rang. Plusieurs personnes ont ainsi fredonné le vieux succès du même nom de Pierre Lalonde, cet endroit où « les nuits sont longues ».

Or, la capitale du Manitoba offre une variété d’expériences, particulièrement dans ses musées. Ils sont plusieurs à distance raisonnable de marche dans une ville qui, disons-le, ne fait pas du piéton le roi. Pour quiconque en douterait, essayez de traverser à l’intersection des rues Portage et Main. Depuis 1979, la chose est virtuellement impossible, sauf en s’engageant dans un passage souterrain. On rêve d’une solution d’ici la fin de l’actuelle décennie. Car, là comme ailleurs en Amérique du Nord, la voiture impose sa loi, avec bon nombre de stationnements implantés sur des terrains vacants. Surnommée la Chicago du Nord, elle veut connaître de meilleurs jours.

C’est ce qui explique la présence, majestueuse, du Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP), inauguré en 2014, édifice aussi emblématique que la Place Ville Marie à Montréal ou la tour CN à Toronto. L’oeuvre de l’architecte américain Antoine Predock portait en elle les espoirs d’un effet Bilbao, mais les problèmes de la capitale n’ont pas forcément disparu. De plus, son histoire, dont les débuts remontent à 2003 alors que le riche homme d’affaires Israel Asper portait le rêve d’un musée consacré à l’Holocauste, est parsemée de revirements et de contradictions. De sa construction controversée sur un important site archéologique aux allégations de racisme (subi par plusieurs employés) et de censure (du contenu en lien avec les enjeux LGBTQ+ pendant des visites scolaires) à une époque pas si lointaine, le MCDP apparaît comme le symbole des défis qui agitent notre univers.

« Le Musée n’impose pas sa définition des droits de la personne, mais invite tout le monde à en débattre », soutient Leslie Vryenhoek, conseillère en communications. Sur ce point, le lieu parle de lui-même, au-delà du vertige que suscite son gigantisme (d’une superficie totale de 24 155 mètres carrés). Car, de l’entrée à la sortie, aucun escalier, si ce n’est celui pour se rendre à la plateforme de la Tour de l’espoir, d’où la vue sur la ville est époustouflante. Pour rejoindre les salles d’exposition, un magnifique enchevêtrement de corridors et de passerelles en albâtre permet une circulation sans entraves. Les haltes de réflexion et de recueillement ne manquent pas. Et ce, de la justice climatique à l’histoire du mouvement polonais Solidarność, en passant par une installation célébrant le courage des artistes ukrainiens depuis le début de l’invasion de leur pays par la Russie.

Des leçons d’histoire

Dans le quartier culturel de la ville, tout près du brutaliste Centennial Hall, foyer du Royal Winnipeg Ballet et de l’Orchestre symphonique, le Musée du Manitoba affiche aussi le style architectural en vogue dans les années 1960. De la préhistoire à aujourd’hui, c’est toute l’évolution d’une province qui se décline, parfois de façon spectaculaire, et tantôt de manière intime et politique.

Photo: Photo fournie par le musée Le Musée du Manitoba

Le visiteur friand de contrastes ne manquera pas d’explorer tous les recoins du Nonsuch, réplique d’un bateau destiné au transport de marchandises au XVIIe siècle. Encapsulé depuis 1974 dans l’une des parties les plus imposantes du musée, le navire, construit en 1968 pour souligner le 300e anniversaire de la Compagnie de la Baie d’Hudson, représente l’un des joyaux de la collection.

À l’opposé, rien de tape-à-l’oeil avec l’exposition If These Walls Could Talk, mais une page d’histoire essentielle, celle de la communauté LGBTQ+ de Winnipeg, des années 1970 aux années 2010. Conçue avec la collaboration du Rainbow Resource Centre, elle retrace les luttes des militants manitobains, entre discrimination, crise du sida et reconnaissance pour les droits au mariage ainsi qu’à l’adoption. Au milieu de cet espace rempli de photographies et de vidéos chargées de témoignages poignants, Ashley Smith n’est pas peu fier que ce regard rétrospectif se déploie dans un musée consacré à sa province.

« Le Rainbow Resource Centre déménage, et nous avions une impressionnante collection d’affiches, précise le responsable des communications et des programmes éducatifs de cet organisme communautaire. Tout cela atteste des combats du passé, mais cette exposition est — malheureusement — toujours pertinente : les droits de nos communautés sont encore bafoués, et on a vu l’an dernier des book bans apparaître dans certaines régions rurales du Manitoba. Comme tous les visiteurs doivent passer par cette salle avant de sortir de l’établissement, on souhaite ainsi rejoindre les gens de toutes les générations. »

Situé près de l’Assemblée législative du Manitoba, le Musée des beaux-arts de Winnipeg, avec ses formes ondulées, attire immédiatement l’attention. Implanté sur son site actuel depuis 1971, il a bénéficié d’une cure de jouvence avec l’ouverture du centre d’art inuit Qaumajuq en 2021. Dès son arrivée, le visiteur est ébloui par la luminosité des lieux et séduit par la manière originale dont les sculptures, de tous les formats, sont déployées dans le hall d’entrée.

Photo: Lindsay Reid Le Musée des beaux-arts de Winnipeg

La suite s’avère tout aussi inspirante à travers un parcours où les sections du musée témoignent de son évolution architecturale au fil des décennies, abritant plus de 27 000 oeuvres de toutes les époques. Lors de mon passage, j’ai pu m’attarder devant la… « Mona Lisa de Winnipeg ». L’artiste allemand Lucas Cranach l’Ancien a réalisé ce portrait en 1540, celui d’une dame au sourire énigmatique, avec la particularité qu’il fut peint sur l’image d’une tête décapitée du roi français Louis XVI… Entre Picasso, Borduas et Breughel, cette femme mystérieuse loge au coeur même de Winnipeg. Comme si elle nous attendait, pour défaire quelques préjugés.

Ce reportage a été rendu possible grâce aux bourses d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

À voir en vidéo