«When Harry Met Sally»: toujours aussi orgasmique
La série A posteriori le cinéma se veut une occasion de célébrer le 7e art en revisitant des titres phares qui fêtent d’importants anniversaires.
Au cinéma, il arrive parfois qu’une réplique s’avère si marquante qu’elle garantit à elle seule l’immortalité d’un film. Bien sûr, maintes qualités additionnelles concourent au parachèvement d’un chef-d’oeuvre. Or, lorsqu’un bout de dialogue entre dans la culture populaire, c’est l’éternité cinéphile assurée. « Je crois que ceci est le début d’une merveilleuse amitié », à la fin de Casablanca, est une telle réplique. Le film When Harry Met Sally (Quand Harry rencontre Sally) contient lui aussi une ligne inoubliable : « Donnez-moi la même chose qu’elle », de demander une cliente de restaurant après avoir vu Meg Ryan exploser de jouissance en mangeant sa salade devant un Billy Crystal coi. C’était il y a 35 ans ce mois-ci, l’occasion d’un retour sur une comédie romantique qui demeure un modèle du genre.
Le film connut une longue gestation qui débuta au détour d’une conversation entre le réalisateur Rob Reiner (Stand By Me/Compte sur moi ; The Princess Bride/La princesse Bouton d’or ; Misery ; A Few Good Men/Des hommes d’honneur), le producteur Andrew Scheinman et la scénariste Nora Ephron. Se remettant difficilement d’un divorce, Reiner broyait du noir tout en se disant qu’il aimerait tourner un film à propos d’un homme et d’une femme qui s’empêchent de coucher ensemble par peur que cela ruine leur amitié.
L’idée plut à Ephron. Surtout, elle trouva aux doléances de Reiner quant à sa vie de célibataire un réel potentiel comique. Dans le commentaire audio enregistré pour le Blu-ray du film, en 2007, cette dernière confie, amusée, à son vieil ami : « Je crois que c’est l’aspect que j’ai le plus aimé, à l’époque : tu étais dépressif, Rob, mais tu chérissais ta dépression. Tu y revenais constamment à la blague. Et c’était parfait pour le personnage [de Harry]. »
Rapidement, les personnages de Harry et de Sally devinrent, peu ou prou, des alter ego de Rob Reiner et de Nora Ephron. D’où le nom Harry Burns (« burns » pour « brûlé »), auquel Ephron opposa Sally Albright (« all bright » ou « toute brillante »).
Dès leur première rencontre, alors que Harry (Billy Crystal, parfait) et Sally (Meg Ryan, plus que parfaite) effectuent le trajet en voiture entre Chicago et New York, il est évident qu’ils n’ont rien en commun. Et selon la logique des contraires qui s’attirent, il est tout aussi évident que l’amour les attend.
Mais avant d’en arriver là, il faudra du temps.
La force du scénario
Découpé en trois époques, soit 1977, 1982, puis 1987-1988, la portion narrative la plus importante, le scénario de Nora Ephron décrit ce qui est d’abord une désopilante inimitié, puis un mélange de curiosité et de rejet, et enfin une touchante amitié se muant graduellement en sentiment amoureux. Revoir le film (aveu : je le connais par coeur), c’est mesurer tout le génie avec lequel Ephron module l’évolution de la relation entre les deux protagonistes.
Pour les 25 ans du film, Oliver Lyttelton écrit à ce propos dans IndieWire : « When Harry Met Sally est toujours aussi miraculeux, proche de la perfection […]. Le film est à la fois plein d’esprit et drôle, toujours probant un quart de siècle plus tard, admirablement intemporel [de nombreux films de la même période ont vieilli beaucoup plus vite] et même assez profond par moments. »
Dans un article célébrant le même anniversaire, publié dans le Time, Megan Gibson abonde :
« Harry et Sally sont aux prises avec la question séculaire des différences entre les hommes et les femmes. Les problèmes auxquels fait face le couple — par l’entremise de leurs deux meilleurs amis, Jess et Marie, joués brillamment par Bruno Kirby et Carrie Fisher — sont assez universels parmi les 20 et 30 ans : les disputes pour les biens et la décoration lorsqu’on emménage avec quelqu’un ; avoir besoin d’une “personne de transition”, c’est-à-dire d’un rebond, après une rupture ; avoir affaire à un ou une partenaire qui exige beaucoup d’attention [“high maintenance”] — un terme que le film a inventé et popularisé. Et bien sûr, la tension et la gêne qui suivent une relation sexuelle avec un bon ami. Ce qui est encore plus remarquable, c’est à quel point le film reste pertinent aujourd’hui. Regardez-le à nouveau. Hormis quelques coiffures et choix vestimentaires, le film a remarquablement bien vieilli, en grande partie grâce à son scénario. »
Dans un essai de 2018 paru dans le New York Times, Eleanor Stanford revient elle aussi sur la force du scénario :
« La question centrale de When Harry Met Sally est de savoir si les hommes et les femmes [vraisemblablement hétérosexuels] peuvent être amis sans que le sexe les gêne. Au-delà de cette préoccupation usée, le film explore à quoi ressemblent différents types d’intimité […]. La façon dont Ephron traduit cette intimité est particulièrement impressionnante. »
Un de ces « types d’intimité » survient lors de proverbiales « confidences sur l’oreiller », présentées d’une manière merveilleusement déconstruite. En cela qu’Harry et Sally sont chacun dans leur lit et se parlent au téléphone tout en regardant… Casablanca, le film de fin de soirée. Harry y va de soucis hypocondriaques, Sally le rassure avec pragmatisme : à ce stade, ils se disent tout, sans avoir toutefois encore franchi le Rubicon.
Rob Reiner filme ce passage en écran partagé (« split screen »), en un hommage aux « comédies de chambre à coucher » de Rock Hudson et Doris Day. D’ailleurs, When Harry Met Sally est très référencé sur le plan cinéphile. Par exemple, le volet routier-chicanier initial rappelle le chef-d’oeuvre de Frank Capra It Happened One Night, que Reiner citait déjà dans sa précédente comédie romantique The Sure Thing (Conquêtes de vacances)…
De la vraie vie
Pour revenir au scénario de Nora Ephron, la future réalisatrice de Sleepless in Seattle (La magie du destin) et de You’ve Got Mail (Vous avez un message), autres succès romantiques avec Meg Ryan, précise dans le commentaire audio que l’écriture fut collaborative. Ephron réalisa des entrevues avec Reiner et Crystal, mais aussi avec des couples de longue date, dont les récits furent repris à l’identique, par des acteurs, lors des intermèdes en faux documentaire (un vestige du documenteur de Reiner This Is Spinal Tap).
Parfois, des pans entiers de conversations entre Ephron et Reiner, ou entre Reiner et Crystal, se retrouvèrent dans le scénario.
La fameuse scène où Sally remet Harry à sa place, après qu’il eut péremptoirement déclaré faire jouir toutes les femmes avec qui il couche, tire en l’occurrence sa source d’un échange similaire entre Ephron et Reiner. À la différence que la première ne feignit pas un orgasme in situ pour prouver que « toutes les femmes font semblant de temps en temps ». Elle garda cela pour son scénario.
Cependant, c’est Meg Ryan qui eut l’idée que ladite scène se déroule dans un lieu public. Naquit ainsi l’une des plus mémorables séquences de l’histoire du cinéma. Quant à la voisine de table qui, après avoir vu Sally prendre son pied de la sorte, lance au serveur du restaurant « Donnez-moi la même chose qu’elle » (« I’ll have what she’s having »), il s’agit de la maman de Rob Reiner.
Fait intéressant, lors des projections préliminaires organisées par le studio, le public riait tellement, et a ri si longtemps, que le dialogue de la scène suivante devenait inaudible. Reiner retourna donc dans la salle de montage et fit ajouter un intermède présentant des panoramas new-yorkais sur fond musical.
À ce sujet, les reprises de classiques jazz par un tout jeune Harry Connick Jr. ajoutent au charme du film : un charme tout à la fois suranné et à l’épreuve du temps. Donnez-moi la même chose qu’elle ? Et comment !
Le film When Harry Met Sally est disponible à la vente en Blu-ray et en VSD sur la majorité des plateformes.