«Weathering»: un dernier souffle

Dans «Weathering» de Faye Driscoll, une large plateforme carrée blanche, semblable à un grand lit, domine l’espace scénique. Le public est installé tout autour.
Photo: Maria Baranova Dans «Weathering» de Faye Driscoll, une large plateforme carrée blanche, semblable à un grand lit, domine l’espace scénique. Le public est installé tout autour.

Lundi soir, dans le cadre du Festival TransAmériques, avait lieu la première de Weathering de Faye Driscoll à l’Usine C. Pour la toute première fois au Québec, l’artiste américaine présente cette oeuvre hybride entre installation et performance, incarnée par dix interprètes. Multisensorielle et pensée en 360°, Weathering s’interroge sur nos métamorphoses modernes et devient l’allégorie d’un monde qui se meurt.

Une large plateforme carrée blanche, semblable à un grand lit, domine l’espace scénique. Nous, public, sommes tout autour, comme faisant partie de cette circularité. Petit à petit, les interprètes apparaissent et s’unissent, d’abord par leurs voix. Ils chantonnent en choeur certains mots, puis se désharmonisent, au rythme de leurs allées et venues sur le grand socle. Un peu à la manière d’un défilé de mode, tous et toutes se pavanent devant nous, avec leurs plus beaux accessoires, leur look affirmé et leur personnalité qui transparait. Du vieux sac à dos aux résilles colorées, en passant par les grosses lunettes de vue, la longue veste et le sac banane, plein de détails sont observables pour l’audience.

Petit à petit, les dix interprètes, dont l’engagement physique et émotionnel est remarquable, grimpent sur la plateforme et se figent. Telle une sculpture, une fresque humaine. Leur base est alors activée et fait son premier tour. Puis son deuxième tour. Tout en douceur, dans la lenteur. Les artistes aussi se métamorphosent en âmes figées, incapables de bouger autrement que par des micromouvements quasi imperceptibles à l’oeil. Cependant, pendant de longues minutes, on peut voir la décomposition de la figure initiale, en passant à la loupe chaque doigt, chaque cheveu et chaque vêtement des interprètes. Hypnotisante, cette scène, jouée dans le silence complet, peut parfois paraître longue et difficile à digérer, bien que la maîtrise physique des artistes soit impressionnante. La composition humaine est aussi très intéressante à observer sous différents angles. L’aspect circulaire de la proposition prend ainsi tout son sens.

Les infimes détails se poursuivent et s’accumulent. Un ongle qui se casse, un filet de bave qui tombe, des gouttes qui aspergent la sculpture humaine. Le diable est dans les détails, comme disait Friedrich Nietzsche. Et la salle garde sa pleine lumière, comme si le public devait être partie prenante de l’oeuvre et pas seulement observateur. On se voit tous et toutes, on se scrute tous et toutes. Quels sont les détails de nos vies qui peuvent tout renverser ? Comment l’angle d’une situation teinte-t-il sa vérité ?

Bouleverser les sens

La respiration prend ensuite peu à peu sa place, jusqu’à devenir prégnante et s’imposer quasiment au-dessus de tout. Elle se traduit d’abord par différents rythmes de souffles, mais aussi des soupirs, des gémissements, des bruits d’asphyxie ou de plaisir. Tout se mêle dans une chorégraphie sonore simplement intrigante au début. S’y ajoutent alors d’autres éléments pour éveiller les sens. Les interprètes se badigeonnent de gel glissant, font dégouliner le jus d’une orange fraiche, lancent de la farine en l’air, mordent un bout de corps. Les vêtements enlevés dévoilent d’autres vêtements, d’autres détails et d’autres surprises surviennent comme une brique, une corde, etc. Toujours dans une cadence assez lente. Mais plus pour longtemps.

Photo: Maria Baranova Petit à petit, les dix interprètes, dont l’engagement physique et émotionnel est remarquable, grimpent sur la plateforme et se figent.

Ça y est, le rythme s’accélère. Il s’emballe, quasi sans fin, jusqu’à ce que la plateforme semble tourner pour l’éternité. Les corps s’entremêlent dans des élans charnels, puis se heurtent et s’abîment. Les dix interprètes sortent de cet infernal tournis pour y rentrer de plus belle, se jetant comme ils le peuvent pour éviter la chute, mais poursuivre les interactions, les constructions corporelles. Vivre. L’urgence. L’urgence de vivre. Les corps s’escaladent, les fleurs pleuvent sur ce monument humain éphémère. La chorégraphe s’ajoute à la danse et s’assure de nettoyer les abords du socle. Malgré la nécessité technique d’une telle action, sa présence semblait parfois à contre-courant et faisait perdre l’attention sur l’action principale de la tempête des corps et des sons.

À ce moment-là, la respiration n’est plus simplement présente. Elle est enrobante, persistante, voire même étourdissante et entêtante. Tous en choeur, les artistes s’approchent de l’extase, de la jouissance, mêlée aux chants, mais aussi aux cris. L’excitation, mais aussi un sentiment de panique, envahissent alors l’espace. On les lit sur les visages des artistes, dans leur non verbal, mais pas seulement. Tous réunis, nous vivons ensemble un moment de vertige, qui nous tient en haleine et en communion dans le capharnaüm, certes, mais dont on souhaite qu’il s’arrête rapidement. L’étourdissement est réel, provoque presque un choc. Ce qui ressort alors est une immense angoisse, une panique, qu’on n’avait pas vu venir.

Malgré quelques longueurs monotones et distractions de l’oeil, la pièce Weathering en met plein la vue, et les sens. Dans un cataclysme sensuel, mais angoissant, on se rappelle l’urgence de vivre, mais aussi la fin qui peut rapidement sonner à notre porte.

Weathering

Une chorégraphie de Faye Driscoll pour dix interprètes. Présentée dans le cadre du FTA à l’Usine C, jusqu’au 5 juin.

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