La vision de l’avenir énergétique du ministre Fitzgibbon critiquée

Leïla Jolin-Dahel
Collaboration spéciale
Le Québec s’appuie sur ses immenses barrages, comme celui de Manic-5, pour produire son électricité, mais est-ce suffisant ? Les experts ne s’entendent pas.
Photo: Hydro-Québec Le Québec s’appuie sur ses immenses barrages, comme celui de Manic-5, pour produire son électricité, mais est-ce suffisant ? Les experts ne s’entendent pas.

Ce texte fait partie du cahier spécial Énergies

Alors que le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, souhaite déposer un projet de loi en vue d’établir un « mix » énergétique au Québec, des experts estiment qu’il fait fausse route et que sa proposition ne permettra pas de décarboner le Québec.

« Ce qu’il veut, ce n’est pas décarboner le Québec, c’est développer une industrie d’exportation », croit Bruno Detuncq, professeur retraité de génie mécanique à Polytechnique Montréal. Celui qui est « en complet désaccord » avec l’avenue choisie par Québec estime que cette décision vise à favoriser Northvolt, TES Canada et plusieurs autres entreprises. Ces dernières ont besoin d’un développement des énergies vertes afin de fabriquer des composantes, mais également d’exporter une partie des bénéfices. « On le voit avec le Plan d’action 2035. Vers un Québec décarboné et prospère d’Hydro‑Québec. C’est un plan d’électrification avec un but très particulier qui n’est pas déclaré. M. Fitzgibbon n’en parle pas de façon explicite. Alors, pourquoi avoir besoin de plus d’énergie ? Ce n’est pas nécessairement pour la population québécoise », accuse-t-il.

Assez d’énergie ?

Bien que le Québec possède d’immenses barrages hydroélectriques, génère-t-il suffisamment d’énergie pour combler ses impératifs en matière de consommation ? Oui, estime Étienne Guertin, candidat au doctorat en modélisation des transitions énergétiques à l’Université Concordia. Il concède néanmoins que son discours n’est pas dominant auprès des experts et du gouvernement. « Mais il y a des problèmes avec leur vision. On vit déjà au-dessus de nos moyens, au Québec en particulier. Et on ne peut pas répliquer la formule du Québec à l’échelle mondiale », explique-t-il. Il cite en exemple la rareté des matériaux nécessaires à la construction des panneaux solaires et des batteries, comme l’uranium.

Le chercheur propose plutôt de s’attaquer à la consommation. « On regarderait comment on peut changer notre demande pour ne pas avoir besoin de produire plus d’électricité dans le Québec carboneutre du futur », croit-il. Cela passe notamment par la collectivisation des services tels que le transport. « La recherche le démontre, on peut obtenir beaucoup plus de bénéfices sociaux et environnementaux. Ça prend moins de matériaux, moins d’énergie et ça profite à plus de gens à moindre coût », plaide-t-il, en citant des résultats d’une étude parue en 2021 dans la revue scientifique Global Environmental Change.

De son côté, M. Detuncq estime toutefois que le Québec devra générer davantage d’énergie à l’avenir. « Si l’on souhaite remplacer complètement le pétrole et le gaz naturel par de l’électricité d’ici, il va falloir en produire plus. Mais si, en plus, on dit qu’on veut développer l’industrie d’exportation en même temps, c’est sûr que la partie décarbonation ne se fera pas », ajoute celui qui milite pour plus de sobriété et d’efficacité énergétiques.

Plus d’électricité, mais avec quoi ?

Vers quelles énergies le Québec doit-il se tourner pour un avenir plus vert ? Selon le ministre Fitzgibbon, la solution passe notamment par le nucléaire et le gaz naturel.

Mais pour M. Detuncq, l’énergie nucléaire est « à éviter complètement ». « L’une des choses dont on ne parle jamais, c’est la quantité de réserves d’uranium sur Terre. Il va falloir se poser la question avant même de commencer à se dire qu’on va en avoir besoin », dit-il. Selon la pétrolière BP, le nucléaire correspond à environ 4 % de la consommation mondiale. « Avec cette quantité d’énergie, on en a pour 90 ans, calcule M. Detuncq, en citant des données de l’Association nucléaire mondiale. Et si tous les pays veulent doubler la quantité de nucléaire dans leur portefeuille, on va baisser de moitié le nombre d’années. »

De son côté, M. Guertin souligne le temps demandé pour la construction de telles centrales. « Si on tient compte de cela, ce ne sera pas prêt. Et ce n’est donc pas envisageable pour décarboner le Québec à temps », croit le chercheur.

Quant à la suggestion d’avoir recours au gaz naturel renouvelable pour un Québec plus vert, M. Detuncq estime que « c’est complètement absurde. Quand le ministre Fitzgibbon dit ça, c’est qu’il ne sait pas de quoi il parle. Soit il est mal conseillé, soit il n’écoute pas ses conseillers ». Selon lui, le gaz manufacturé à partir de résidus domestiques, agricoles ou forestiers est produit en quantités minimes pour combler les besoins énergétiques. « Si on en veut beaucoup, on va détruire les forêts », illustre-t-il.

Selon le professeur à la retraite, l’éolienne peut être une option attrayante, à condition qu’elle ne soit pas gérée par des intérêts privés. Jeudi, le gouvernement du Québec a d’ailleurs annoncé se lancer dans des projets éoliens d’envergure. « Ce devrait être à Hydro-Québec de contrôler ça au bénéfice de l’ensemble de la population. Il serait peut-être temps d’en faire construire aux bons endroits, et pas sur des terres agricoles, pour être capables de pallier les besoins futurs. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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