Seule pour réaliser le tramway, la Ville de Québec brandit son plan B

Le maire de Québec, Bruno Marchand, se dit convaincu que la Ville peut prendre sous son aile la réalisation des infrastructures du tramway à moindre coût, avançant l’estimation de 8,4 milliards de dollars — plus du double de la dernière évaluation présentée par son administration.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Le maire de Québec, Bruno Marchand, se dit convaincu que la Ville peut prendre sous son aile la réalisation des infrastructures du tramway à moindre coût, avançant l’estimation de 8,4 milliards de dollars — plus du double de la dernière évaluation présentée par son administration.

Devant le désistement des consortiums pressentis pour réaliser les infrastructures qui encadreront le tracé du tramway, la Ville de Québec présente un plan de 8,4 milliards de dollars dans lequel elle devient maître d’oeuvre du chantier.

L’heure était solennelle, mercredi matin, dans la salle de réception de l’hôtel de ville de Québec. Présence rare : plusieurs membres du comité exécutif garnissaient les banquettes devant la tribune où le maire, Bruno Marchand, a tenu à dissiper d’entrée de jeu l’ambiance mortuaire qui entoure le tramway.

« Le projet est toujours vivant », a-t-il rappelé. Toutefois, étant donné que l’unique consortium encore en lice a décidé de se retirer de la course vendredi dernier, à quelques jours de l’échéance pour déposer une proposition financière, le tramway devra désormais emprunter une autre voie pour arriver à bon port.

« Nous avons appris [vendredi] que [le consortium] Mobilité de la Capitale ne déposerait pas de propositions financières. Les conditions de financement sont le principal motif pour justifier l’absence de dépôt par ce consortium », a indiqué le maire. Devant l’abandon du seul concurrent dans la course, Bruno Marchand a donc mis fin au processus d’appel de propositions.

Le consortium aurait eu la responsabilité de mettre au monde des morceaux majeurs du tramway : la conception, la construction, le financement et l’entretien sur 30 ans des infrastructures, qui incluent notamment la plateforme du tramway, ses 29 stations, ses deux pôles d’échange, le tunnel permettant de circuler malgré la falaise qui sépare la basse et la haute ville, son garage et ses systèmes d’exploitation.

8,4 milliards de dollars

Désormais seule au gouvernail, la Ville propose de prendre sous son aile ce chantier. Le bureau de projet deviendrait maître d’oeuvre, morcelant chaque composante des infrastructures pour lancer des appels d’offres dans l’espoir d’attirer des soumissionnaires.

Le maire de Québec, Bruno Marchand, estime que Québec pourrait réaliser son tramway à moindre coût de cette manière, avançant une estimation de 8,4 milliards de dollars — soit plus du double de la dernière évaluation officielle présentée par son administration. La somme comprend, a précisé l’élu, le contrat de 569 millions de dollars déjà octroyé à Alstom et le demi-milliard de dollars déjà englouti par la Ville.

La Ville de Québec épargnerait les deniers publics parce que, « premièrement, elle ne cherche pas à faire du profit, a énuméré le maire. Deuxièmement, la Ville connaît son territoire ». À ses yeux, la multiplication d’appels d’offres moins ambitieux amènerait une plus grande concurrence et des soumissions moins coûteuses. Bruno Marchand a ajouté que 5,6 milliards de dollars ruisselleraient dans « des entreprises de Québec et du Québec » puisque ce sont elles qui récolteraient la majorité des contrats.

La répartition des coûts pour les trois paliers de gouvernement, dans le plan échafaudé par Québec, demeurerait la même : Ottawa acquitterait 40 % de la facture ; le gouvernement du Québec, la moitié ; la Ville, les 10 % restants. « Le gouvernement du Canada », a assuré le maire, demeure « all in avec nous » malgré ce changement de plan important.

Dans une déclaration écrite, le ministre fédéral et député de Québec, Jean-Yves Duclos, a confirmé l’appui du gouvernement libéral au tramway. « Le gouvernement canadien appuie depuis le début le projet de transport collectif moderne de la Ville de Québec, a écrit son cabinet. La Ville de Québec a donc le choix de rattraper son retard ou de laisser d’autres villes profiter des investissements disponibles et à venir du gouvernement canadien. »

La balle dans le camp de la CAQ

Au moment où la concrétisation du tramway semble plus fragile que jamais, le maire de Québec a joué son va-tout mercredi, présentant aux journalistes une vidéo montrant le tracé des phases que la Ville envisage dans un horizon de 15 ans.

« C’est une opportunité, définitivement », a indiqué le maire à propos de son plan B. Maintenant, tout dépend de la CAQ, a souligné Bruno Marchand en exhortant le gouvernement à manifester son appui « dans quelques jours, au maximum quelques semaines ». « On ne peut pas dépasser la fin du mois de novembre », a affirmé le maire.

Il a invité la CAQ à faire de la politique « au-delà des sondages » pour avoir le « courage » de financer le tramway malgré son impopularité. « On a besoin du gouvernement du Québec. Si on n’a pas ce partenaire-là, vous comprenez que la partie de poker va être courte. »

Le premier ministre François Legault n’a pas manifesté son enthousiasme, mercredi, à l’idée de miser à la même table que Bruno Marchand. « Je souhaite avoir un projet », a-t-il affirmé, mais 8,4 milliards de dollars, « c’est cher, très cher. C’est inquiétant ».

La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a fait tinter le même son de cloche. « On va s’asseoir avec la Ville, discuter avec la Ville de ce dont il a été question dans leur annonce ce matin », a-t-elle déclaré durant la période de questions en réponse aux questions du député péquiste de Jean-Talon, Pascal Paradis.

Le député solidaire de Taschereau, Etienne Grandmont, s’est quant à lui dit « très impressionné par le maire » et « convaincu » qu’il peut réaliser le tramway au prix estimé. Il a invité la CAQ à soutenir le plan B de la Ville de Québec, soulignant que l’annulation du tramway priverait Québec des milliards promis par Ottawa et rappelant que le contrat déjà signé avec Alstom aurait des retombées jusqu’à La Pocatière.

« Ce sont des jobs ici, au Québec », a fait valoir le solidaire.

Démission du maire demandée

La deuxième opposition à l’hôtel de ville de Québec a célébré ce qu’elle considère comme l’enterrement prochain du tramway. À son avis, le maire Bruno Marchand et la CAQ se lancent désormais la balle pour savoir qui tiendra le marteau quand arrivera l’heure d’enfoncer le dernier clou dans le cercueil.

« Ce que Bruno Marchand fait aujourd’hui, c’est qu’il laisse l’odieux tirer la plogue à la CAQ », a indiqué le chef intérimaire d’Équipe Priorité Québec, Patrick Paquet. « Le Capitaine Tramway a échoué. […] Moi, je pense qu’il doit se retirer de la mairie. »

Sans demander la démission formelle du maire Marchand, le chef de l’opposition officielle a fait part de sa déception devant ce spectacle. « Comme citoyen, là, je me sens très mal servi par mes deux ordres de gouvernement, qui ne sont pas capables de s’entendre pour faire en sorte que Québec ait un mode de transport structurant comme toute grande ville », a déploré Claude Villeneuve.

Avec Isabelle Porter et François Carabin

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