Victoire des Innus contre Québec pour la protection du caribou

La disparition du caribou «entraînerait la perte définitive» d’une partie de l’«identité culturelle» des Innus, souligne le jugement de la Cour supérieure.
Photo: Jean-Simon Bégin La disparition du caribou «entraînerait la perte définitive» d’une partie de l’«identité culturelle» des Innus, souligne le jugement de la Cour supérieure.

Le gouvernement du Québec a manqué à son devoir de consultation de Premières Nations dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie de protection du caribou forestier, conclut la Cour supérieure. Elle ordonne du même souffle au gouvernement de mettre en place un processus de consultation d’ici trois mois, alors que le fédéral s’apprête à imposer un décret de protection pour trois hardes au seuil de l’extinction.

Le jugement d’une vingtaine de pages souligne que le gouvernement a manqué « à son obligation de consultation » des Premières Nations innues Essipit et des Pekuakamiulnuatsh, qui comprend la communauté de Mashteuiatsh, qui exigent d’être consultées dans l’élaboration de la stratégie québécoise qui doit permettre d’éviter la disparition du caribou forestier. Celle-ci a été repoussée à plusieurs reprises au fil des ans.

La juge Marie Cossette, de la Cour supérieure, demande donc au gouvernement de mettre en place d’ici le 30 septembre « un processus distinct de consultation » en lien avec l’élaboration de la stratégie de préservation du cervidé menacé. Elle précise qu’il importe que les « revendications » des Innus soient prises en considération dans le développement du projet de conservation. Cette décision fait suite à une poursuite entreprise en février 2022 par les conseils d’Essipit et de Mashteuiatsh.

Le jugement rappelle aussi le « rôle culturel prédominant » joué par le caribou pour les Innus, ce qui signifie que sa disparition « entraînerait la perte définitive d’une partie de leur identité culturelle ».

« Or, outre que leur droit à la consultation s’en trouve bafoué, la situation du caribou se détériore davantage durant ce temps et le gouvernement n’est toujours pas en mesure d’indiquer au Tribunal le moment auquel la Stratégie de protection envisagée sera communiquée. Il en résulte que leurs droits et titres ancestraux sont d’autant plus menacés vu la place centrale qu’y occupe le caribou, dont la condition continue de se fragiliser », écrit la juge Marie Cossette.

Situation « déplorable »

Le jugement évoque même la situation « déplorable » du cervidé dans la province, et notamment sur le territoire ancestral des Innus. C’est le cas notamment pour la harde du Pipmuacan, dont l’habitat a été sévèrement dégradé par l’industrie forestière. La harde comptait, au mieux, à peine 225 bêtes lors du plus récent inventaire, réalisé en 2020 sur un territoire de plus de 28 000 km².

« La situation préoccupante d’atiku, cette espèce essentielle à notre survie culturelle, est telle qu’il fallait agir pour nos communautés. L’attitude irrespectueuse du Québec nous a forcés à recourir aux tribunaux. Espérons que le gouvernement québécois acceptera cette décision et qu’il agisse en conséquence », a réagi mercredi le chef de la Première Nation des Innus Essipit, Martin Dufour.

« Il s’agit d’un grand pas en avant dans la reconnaissance et la protection de nos droits ancestraux, une décision de principe en matière de consultation autochtone au Québec », a ajouté le chef de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, Gilbert Dominique.

L’absence d’une stratégie de protection du caribou forestier a incité la semaine dernière le gouvernement fédéral à aller de l’avant avec son projet d’imposer un « décret d’urgence » afin de protéger l’habitat essentiel de 3 des 13 populations de caribous forestiers du Québec.

À la suite d’une consultation qui impliquera les Premières Nations, le décret sera finalisé et il précisera les zones qui devront être protégées pour éviter la disparition de ces trois hardes : celles de Val-d’Or et de Charlevoix, qui vivent désormais en captivité, et celle du Pipmuacan, qui subsiste au nord-est du lac Saint-Jean. Le territoire de cette dernière a déjà été ciblé pour la création d’une aire protégée, mais le projet a été rejeté en 2020 par le gouvernement Legault.

Mercredi, le ministre canadien de l’Environnement, Steven Guilbeault, a par ailleurs évoqué la possibilité de recommander l’adoption d’autres décrets pour des hardes menacées au Québec, selon les conclusions des analyses en cours de la part d’experts fédéraux. Il n’a pas précisé de quelles hardes il s’agit. Selon une récente étude scientifique internationale, les coupes forestières industrielles menées sur des dizaines de milliers de kilomètres carrés ont sérieusement perturbé les habitats nécessaires à la survie de l’espèce. Résultat : 11 des 13 populations de la province sont aujourd’hui à « risque » de disparition.

Au lieu d’une stratégie provinciale, le gouvernement Legault a plutôt annoncé en avril dernier une « consultation » sur les mesures destinées à mieux protéger 3 des 13 populations qui vivent sur le territoire, soit celle de Charlevoix, celle de la Gaspésie et une autre vivant sur la Côte-Nord. Québec laisse la porte ouverte à la poursuite d’activités industrielles, dont les coupes forestières et l’exploration minière, dans des habitats propices aux derniers caribous.

Le gouvernement du Québec n’a pas souhaité commenter le jugement mercredi. « Nous avons pris connaissance de la décision rendue par la Cour supérieure, que nous allons étudier avant de commenter davantage », a simplement indiqué le cabinet du ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette.

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