Le registre sur l’influence étrangère inquiète des universités
Les principales universités de recherche du Canada préviennent que le projet de registre en matière d’influence étrangère pourrait avoir un effet pervers sur les partenariats internationaux, ce qui ferait perdre au Canada de belles occasions dans les secteurs de pointe.
Le regroupement « U15 Canada » ajoute sa voix aux critiques qui exhortent les députés à adopter des modifications à ce registre, pièce maîtresse du projet de loi C-70 actuellement étudié par un comité de la Chambre des communes.
Les membres du comité devront entamer lundi l’examen article par article du vaste projet de loi – y compris les éventuels amendements – après seulement une semaine d’audiences publiques.
Le projet de loi ajouterait de nouvelles dispositions pénales contre les conduites « subreptices ou trompeuses », permettrait le partage d’informations sensibles avec des entreprises et d’autres personnes extérieures au gouvernement et établirait un registre en matière d’influence étrangère pour assurer une certaine transparence.
Le projet de loi reconnaît que des États et d’autres entités étrangères peuvent se livrer à de l’ingérence pour faire avancer des objectifs politiques et peuvent employer des personnes pour agir en leur nom sans révéler ces liens. Afin de se prémunir contre de telles activités, le projet de loi exigerait que certaines personnes s’inscrivent à un registre auprès du gouvernement fédéral.
Ne pas enregistrer un accord ou une activité avec un commettant étranger – une puissance, une entité, un État ou une entité économique – pourrait entraîner des amendes, voire des sanctions pénales et une peine de prison.
Dans un mémoire écrit adressé au Comité permanent de la sécurité publique et nationale, qui étudie le projet de loi, le regroupement universitaire « U15 Canada » exprime ses préoccupations face aux exigences de déclaration qui seraient prévues par ce registre, compte tenu des vastes réseaux internationaux de coopération dans le secteur de la recherche.
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« Il est tout simplement impossible pour les grandes universités à forte intensité de recherche de suivre les collaborations de recherche individuelles entre leurs établissements et de les signaler dans le registre » dans les 14 jours requis, soulignent les 15 grands établissements, dont l’Université de Montréal, l’Université Laval et McGill.
Ces grandes universités de recherche demandent également plus de clarté sur la façon dont un accord sera défini — et s’il engloberait les partenariats de recherche, les accords de financement ou d’autres activités de recherche internationale menés avec des universités financées par des fonds publics, des établissements de recherche ou des organismes étrangers de financement de la recherche.
« Le risque d’un effet dissuasif sur les partenariats de recherche internationaux, conséquence involontaire des exigences de déclaration du registre, pourrait nuire considérablement aux relations avec ses pairs internationaux et signifier que le Canada rate l’occasion de coopérer en matière de recherche de pointe et d’accéder à une expertise avec des pays pairs. »
Le regroupement d’universités aimerait également savoir si la publication ou la communication des résultats de la recherche, notamment par l’entremise de revues universitaires, d’enseignement, de conférences ou d’autres forums publics, serait considérée comme une activité de communication aux fins de la loi.
Une telle exigence pourrait « porter atteinte de manière significative » à la liberté académique et « limiter la poursuite de la science ouverte et du libre-échange d’idées », estime U15 Canada.
Même les publications ?
De son côté, l’association « Universités Canada », qui représente 96 établissements à travers le pays, affirme dans son mémoire au comité des Communes que le registre de transparence pourrait viser des informations relatives à un processus politique ou gouvernemental « qui sont communiquées ou diffusées par tout moyen, y compris les médias sociaux ».
« Cela peut inclure des publications de recherche qui abordent des questions telles que la politique étrangère, les processus de gouvernance, l’économie, le climat et les technologies qui font l’objet d’un débat politique accru », explique Universités Canada.
Les publications de recherche comportent déjà des exigences de transparence, telles que la divulgation de l’affiliation universitaire et des conflits d’intérêts financiers, note l’organisation.
« L’exigence d’enregistrements supplémentaires risque d’étouffer la recherche canadienne en créant des processus administratifs redondants et pourrait ne pas tenir compte des autres politiques de sécurité de la recherche que les universités ont mises en oeuvre au cours des dernières années. »
Dans un autre mémoire soumis au comité, le « Centre for International Governance Innovation » (CIGI) note que le registre d’influence canadien sera « neutre », ce qui signifie qu’il ne ciblera pas les États adversaires reconnus comme la Chine.
Le Canada emprunte cette voie malgré les problèmes rencontrés par l’Australie avec cette approche et malgré un autre modèle, plus récent, proposé par le Royaume-Uni, indique le mémoire rédigé par l’expert en sécurité Wesley Wark, chercheur principal au CIGI.
M. Wark souligne que la version britannique est « à deux vitesses » et que le niveau supérieur accorde au secrétaire d’État (ou ministre) le pouvoir d’exiger, lorsque cela est nécessaire, l’enregistrement d’un plus large éventail d’activités pour certains pays, certaines régions ou certaines entités contrôlées par des gouvernements étrangers.
Dans un mémoire adressé au comité, Benjamin Fung, professeur et titulaire d’une chaire de recherche du Canada à l’Université McGill, exprime son soutien à ce modèle à deux vitesses. Une telle approche permettrait au gouvernement canadien « d’imposer des restrictions plus précises à certaines entités ».
L’Association canadienne des libertés civiles estime, pour sa part, que l’article du projet de loi qui crée le registre « contient des termes vagues et généraux qui soulèvent des enjeux d’imputabilité démocratique ».
L’association est préoccupée par l’utilisation potentielle du registre comme outil permettant au gouvernement de surveiller l’engagement international de divers acteurs, notamment des radiodiffuseurs étrangers détenus ou financés par l’État, des institutions universitaires et des organisations caritatives.
« Ces considérations impliquent potentiellement des enjeux de liberté de presse et de protection de la vie privée, ainsi que des questions relatives à la place réservée aux organisations internationales dans l’écosystème canadien », soutient le mémoire de l’Association canadienne des libertés civiles.