TV5 Monde en crise

Le p.-d.g. du groupe TV5 Monde depuis 12 ans, Yves Bigot, a démissionné fin mai, cinq mois avant la fin de son mandat qui n’allait pas, de toute manière, être reconduit par la ministre de la Culture.
Photo: Olivier Zuida Archives Le Devoir Le p.-d.g. du groupe TV5 Monde depuis 12 ans, Yves Bigot, a démissionné fin mai, cinq mois avant la fin de son mandat qui n’allait pas, de toute manière, être reconduit par la ministre de la Culture.

Démission et convocation pour licenciement au sommet, enquête sur le climat de travail, questionnements sur la liberté de presse à l’heure de l’expansion africaine : les signes d’une crise profonde s’accumulent au sein de TV5 Monde.

La chaîne généraliste internationale appartient à un regroupement de médias publics francophones de France, de Belgique, de Suisse, du Québec, du Canada et même de Monaco. Son siège se situe à Paris et, dans les faits, la France garde la mainmise sur ce média.

Les têtes dirigeantes vacillent. La directrice de l’information de TV5 Monde, Françoise Joly, a été convoquée mercredi à Paris pour « un entretien préalable à son licenciement ». La journaliste émérite est en poste depuis 2019.

Le p.-d.g. du groupe depuis 12 ans, Yves Bigot, a lui-même démissionné fin mai, cinq mois avant la fin de son mandat qui n’allait pas, de toute manière, être reconduit par la ministre de la Culture.

Les volontaires à sa succession avaient jusqu’à dimanche pour se manifester, mais la dissolution du gouvernement et l’appel aux élections générales en France pourraient avoir changé les plans. Si le Rassemblement national forme le prochain cabinet, le parti conservateur anti-immigration aurait la possibilité de nommer un premier dirigeant d’une société de l’audiovisuel à sa main, alors qu’un grand plan de fusion de l’audiovisuel public reste à l’étude. Paris voudrait créer une sorte de BBC à la française.

Expansion africaine

Le projet d’étendre l’actionnariat du groupe TV5 Monde à sept pays africains ajoute des frictions. Le plan stratégique 2025-2028 envisage d’élargir le partenariat pour inclure sept États subsahariens : le Bénin, le Gabon, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, la République démocratique du Congo (RDC) et le Congo-Brazzaville. L’avenir de la chaîne internationale « passe par l’incursion de pays francophones africains », a résumé le p.-d.g. de la chaîne, Yves Bigot, dans un entretien à l’Agence France-Presse juste après l’annonce de sa démission.

Les journalistes, soutenus par Mme Joly, s’inquiètent de l’arrivée de ces partenaires ne respectant pas tous les normes éthiques du secteur. Selon le rapport de Reporters sans frontières sur la liberté de presse dans le monde, la Côte d’Ivoire (53e) et le Gabon (56e) se classent à peu près comme les États-Unis (55e), tandis que la RDC (123e) et le Cameroun (130e) se retrouvent dans la partie la moins enviable de la liste comptant 180 pays. Le Canada arrive au 14e rang, la Belgique au 16e et la France au 21e.

Tensions à l’interne

La crise du média mondial vient aussi de l’intérieur de la boîte. Des événements ont envenimé les tensions entre l’information et la direction. Mme Joly a été critiquée par les journalistes pour son type de gestion. Une enquête sur les « risques professionnels et en particulier psychosociaux » a débuté en mai. Une adjointe de Mme Joly est en arrêt de travail depuis des mois.

En janvier, la chaîne a présenté des excuses pour avoir utilisé les mauvais drapeaux du Cameroun et de la Guinée Conakry lors de la présentation d’un match de la Coupe d’Afrique des nations. M. Bigot s’était rendu au Cameroun pour calmer le jeu.

Le traitement journalistique de la guerre à Gaza a eu des impacts au sein de la rédaction, selon des révélations récentes du quotidien Le Monde. La direction a convoqué le journaliste Mohamed Kaci en novembre 2023 et l’a désavoué publiquement par voie de communiqué, après l’entrevue d’un porte-parole de l’armée israélienne jugée non respectueuse des règles journalistiques.

La Société Radio-Canada (SRC) et Télé-Québec (TQ) font partie des propriétaires de la chaîne créée avec d’autres sociétés audiovisuelles publiques de Suisse, de Belgique et de France. La SRC détient 6,32 % des parts et TQ, 4,21 %. Le QG du média est à Paris et, dans les faits, la France contrôle l’organisme par l’entremise de France Télévisions (46,42 %), France Médias Monde (11,97 %), Arte France (3,12 %) et l’INA (1,65 %).

TV5 Québec Canada fait partie du réseau mondial tout en conservant son indépendance totale. Les deux chaînes s’échangent des contenus.

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