Trois décennies bien remplies au TNM pour Lorraine Pintal

Lorraine Pintal à l’occasion de son départ de la direction du TNM
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Lorraine Pintal à l’occasion de son départ de la direction du TNM

Quand Lorraine Pintal a pris la direction du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), en 1992, l’institution croulait sous les dettes et venait de frôler la fermeture dans la foulée d’un long conflit de travail. Plus de trois décennies plus tard, la directrice tire sa révérence après avoir mis la maison en ordre. L’établissement est solidement établi. Mais la route vers la stabilité a été semée d’embûches.

En 32 ans à la tête de ce joyau montréalais, Lorraine Pintal a vécu des moments d’allégresse et des crises qui lui ont fait remettre en question son engagement. Mais elle a gardé le cap.

« On a eu des années très effervescentes grâce à une équipe en or. On a brassé la cage. Et je pars en me disant que l’avenir est radieux », lance la future retraitée de 72 ans, rencontrée dans un café du Quartier des spectacles, à deux pas du TNM.

On ne pouvait faire l’entrevue au théâtre : ce jour-là, l’électricité avait été coupée à cause des rénovations de 35 millions de dollars qui sont toujours en cours. Elle a bon espoir que les travaux, retardés à cause de la pandémie, seront achevés d’ici la fin de l’année. La nouvelle salle Réjean-Ducharme, vouée aux artistes de la relève, s’ajoutera à celle existante (et rénovée) de 800 places.

Là-dessus, j’étais en retard. On n’a pas eu le choix de faire place à la diversité. Le portrait démographique de Montréal a évolué.

C’est le deuxième grand chantier entrepris sous son règne, après les travaux de restauration de la fin des années 1990. En parallèle, elle a mené cinq « chantiers » artistiques, qu’elle qualifie aussi de cycles : elle a célébré le théâtre grec, puis québécois, elle a fait place aux femmes, elle a fait voyager la programmation du TNM à l’étranger. L’autre chantier, et non le moindre, lui a donné du fil à retordre : elle a ouvert les portes de son théâtre à la diversité culturelle.

« Là-dessus, j’étais en retard, admet-elle sans détour. On n’a pas eu le choix de faire place à la diversité. Le portrait démographique de Montréal a évolué. »

Des voix à incarner

On se souvient que deux polémiques ayant éclaté en 2018, toutes deux associées à Robert Lepage, l’ont incitée à prendre ce virage. Il y a d’abord eu SLĀV, produit par le Festival international de jazz de Montréal, qui rappelait le traumatisme de l’esclavage, mais sans l’apport des communautés noires.

Puis le spectacle Kanata a connu le même sort — une annulation, cette fois parce que cette relecture des rapports historiques entre Blancs et Autochtones ne mettait en scène aucun acteur issu des Premières Nations.

Dans les deux cas, Lorraine Pintal avait défendu bec et ongles la liberté d’expression des créateurs, mais avec le recul, elle reconnaît que le théâtre devait s’ouvrir à la diversité. Ces épisodes « ont fait évoluer les mentalités. On a dû se questionner pour voir comment on travaille sur l’inclusion, le partage et le dialogue entre les cultures ».

Le TNM a présenté cette année M’appelle Mohamed Ali, de Dieudonné Niangouna, mis en scène par Philippe Racine et Tatiana Zinga Botao, qui porte un regard issu de la diversité sur les relations avec la majorité blanche au Québec. Et une pièce d’origine innue est au programme de la prochaine saison : l’adaptation du roman Kukum, de Michel Jean, par Laure Morali et Joséphine Bacon, mise en scène par Émilie Monnet.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «On a eu des années très effervescentes grâce à une équipe en or. On a brassé la cage. Et je pars en me disant que l’avenir est radieux», a déclaré Lorraine Pintal.

Le choc des femmes

Sept ans plus tôt, en 2011, une autre tempête avait ébranlé les colonnes du TNM. Pour sa trilogie Des femmes, Wajdi Mouawad avait fait appel au chanteur Bertrand Cantat, qui venait de sortir de prison après avoir purgé sa peine pour le meurtre de sa compagne Marie Trintignant. Là encore, Lorraine Pintal avait défendu la liberté du metteur en scène de faire ce choix « osé » : le personnage de Cantat dénonçait la violence faite aux femmes.

Elle n’est pas amère envers Mouawad, mais se souvient d’avoir passé un très mauvais moment. « J’ai été laissée à moi-même. Wajdi s’est un peu enfermé dans un silence troublant. Il ne voulait plus défendre ses choix. »

« Je me suis fait traiter de tous les noms. Ça a été très dur. J’ai failli m’en aller », raconte la directrice sortante du TNM.

Le spectacle avait été annulé. Lorraine Pintal s’est livrée à une « profonde réflexion sur sa pratique artistique ». Un peu plus d’une décennie plus tard, elle estime que les controverses l’ont « convaincue de rester au TNM ».

« Il fallait rattraper le temps perdu pour donner une place aux femmes », dit-elle. Des créatrices (à l’écriture, au jeu et à la mise en scène) ont pris l’affiche — elle nomme en vrac Nancy Houston, Sarah Berthiaume, Sylvie Drapeau, Fanny Britt, Alexia Bürger, Anaïs Barbeau-Lavalette.

Des pièces à grand déploiement comme Lysis, présentée au mois de mai, ou La femme qui fuit, à l’affiche cet automne, sont soutenues par des moyens considérables. Et ce n’est pas un hasard, souligne Lorraine Pintal.

Projet d’avenir

À son arrivée au TNM, la directrice avait choisi de mettre en valeur les classiques grecs, notamment Les Troyennes, d’Euripide. Elle se souvient aussi avec émotion de L’Odyssée d’Homère adaptée par Dominic Champagne et Alexis Martin, un des plus grands succès de l’histoire du TNM.

Les classiques québécois ont aussi fait les beaux jours du Théâtre. Pas moins de sept créations de Michel Marc Bouchard, et sans doute autant de Michel Tremblay, ont été présentées dans les 30 dernières années, se rappelle Lorraine Pintal.

Le conseil d’administration cherche deux gestionnaires pour remplacer la directrice sortante. Le poste sera scindé en deux : direction administrative et direction artistique. Lorraine Pintal estime que c’est une sage décision. « Avec la pandémie et les rénovations, j’ai été écrasée par les décisions administratives dans les dernières années. C’est une des raisons pour lesquelles je vais m’en aller », avoue-t-elle.

Elle restera au TNM jusqu’à la fin de l’année pour assurer la transition. La retraite risque d’être de courte durée, parce qu’elle admet envisager de tenter à nouveau sa chance en politique. Candidate pour le Parti québécois de Pauline Marois en 2014, Lorraine Pintal avait été défaite dans la circonscription de Verdun. « On se reverra peut-être ! » lance-t-elle en riant.

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