Les travaux pour la voie de contournement à Lac-Mégantic vont de l’avant

La voie ferrée, avec en arrière-plan le centre-ville de Lac-Mégantic, cet été, dix ans après la catastrophe
Marie-France Coallier Le Devoir La voie ferrée, avec en arrière-plan le centre-ville de Lac-Mégantic, cet été, dix ans après la catastrophe

Ottawa ira de l’avant avec le projet de voie de contournement de la voie ferrée à Lac-Mégantic. C’est ce que le ministre fédéral des Transports, Pablo Rodriguez, a annoncé aujourd’hui lors d’un point de presse en compagnie de la mairesse de la municipalité, Julie Morin.

« C’est le début de quelque chose d’important, c’est quelque chose qu’on commence maintenant », a déclaré M. Rodriguez, devant la gare patrimoniale de la ville. « Je pense qu’on se rapproche du jour où les gens de Lac-Mégantic vont pouvoir peut-être pas tourner la page, car on ne tourne jamais vraiment la page sur un événement comme ça, mais […] avoir un peu de quiétude et de paix. »

Ottawa paiera la facture, mais c’est la municipalité qui sera le maître d’œuvre, a ajouté M. Rodriguez.

Plus concrètement, la Ville de Lac-Mégantic a le feu vert et l’appui financier de Transports Canada pour commencer des travaux préparatoires sur certaines infrastructures qui devront être déplacées ou protégées, comme le réseau d’aqueduc. « On a lancé un appel d’offres afin d’obtenir la réalisation de services professionnels pour le déplacement et le gainage d’aqueduc situé dans deux zones du parc industriel », a expliqué la mairesse, Julie Morin, en précisant que le coût de ces premiers travaux est estimé à 1,7 million de dollars. « Il s’agit d’un premier pas concret. »

Quant aux coûts totaux du projet de voie de contournement, le ministre Rodriguez a reconnu qu’ils dépassaient largement les prévisions. Il refuse toutefois de donner le montant exact puisque l’appel d’offres est en cours. Il n’a pas donné de détails sur l’échéancier.

Le ministre ne voit pas non plus de problème à commencer les travaux alors que l’Office des transports du Canada n’a pas terminé son analyse. « On a confiance d’avoir une réponse positive. Si des recommandations se joignent à ça, évidemment, elles seront respectées, mais on peut faire les choses en parallèle », a-t-il indiqué.

Le ministère des Transports confirme que plusieurs expropriations sont prévues pour réaliser le tracé retenu et que certaines d’entre elles ont commencé. Sur une quarantaine d’expropriations, une quinzaine est contestée en cour par leurs propriétaires. Une demande d’injonction sera entendue le 24 octobre, ce qui suspend les travaux entre-temps.

Des critiques et des craintes

Possédant un « petit paradis » à Nantes, une érablière sur 28 acres, Sylvain Côté fait partie des propriétaires qui contestent en cour leur expropriation. « Comme paramédical, j’ai un horaire de faction et je dois être à 5 minutes de ma caserne. Trouvez-moi 2000 érables à 5 minutes de ma caserne. Il n’y en a pas. J’avais le jackpot », affirme-t-il.

Il déplore surtout le manque d’écoute de la part d’Ottawa. « C’est la manière dont c’est fait et la façon dont on est traités par Transports Canada », dit-il. « Ils sont dans l’entêtement. » Sylvain Côté rappelle que plusieurs solutions avaient été mises en avant depuis 2018, dont un tracé qui passerait plus au nord, pour éloigner le train de la population. « Rien n’est commencé et ils ne se sont jamais arrêtés sur nos propositions. »

À l’instar de son homologue de Nantes, le maire de Frontenac, Gaby Gendron, s’inquiète des répercussions des travaux et de la construction de la voie de contournement ferroviaire sur les réserves d’eau potable des citoyens de sa municipalité. « Oui, on a des préoccupations environnementales. Il faut comprendre que ce sont près de 1000 hectares de milieux humides qui vont être détruits », a-t-il soutenu.

Oui, on a des préoccupations environnementales. Il faut comprendre que ce sont près de 1000 hectares de milieux humides qui vont être détruits.

Selon les analyses, 138 puits de citoyens pourraient être affectés par une diminution de la quantité d’eau, de même que de sa qualité. Les délais de réaction devront être rapides, souligne M. Gendron. « Si jamais le puits d’un citoyen est contaminé, ça va prendre combien de temps avant qu’il le sache et qu’il puisse boire à nouveau son eau ? Si [les experts] ne font des tests qu’une fois par année, le citoyen va avoir bu de l’eau contaminée pendant un an ? »

M. Gendron se dit toutefois encouragé par l’écoute du nouveau ministre Pablo Rodriguez. « J’espère que ça va rester. »

Un appui sous conditions

Très critique à l’égard du projet de voie de contournement, la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire de Lac-Mégantic a pris acte de la décision du gouvernement d’aller de l’avant, mais n’entend pas lui donner son appui comme un chèque en blanc. « On sait que la voie de contournement est un mal nécessaire », a indiqué le porte-parole de la coalition, Robert Bellefleur. « Mais on ne donnera pas [au gouvernement] notre appui sans condition. »

La coalition demande au ministre que la vitesse du train n’excède pas 25 milles à l’heure (40 km/h), ce qui est le cas actuellement, alors qu’il est prévu que les convois soient autorisés à aller jusqu’à 40 milles à l’heure (64 km/h).

« Encore hier, j’ai vu un train passer de la Southern Mexico. C’était des conteneurs à double étage et à l’arrière, c’était des citernes de matières dangereuses. J’en ai compté 225. Imaginez-vous à 40 milles à l’heure, en plein milieu industriel, a dit M. Bellefleur. Après avoir perdu notre centre-ville, on ne veut certainement pas perdre notre parc industriel. » Il fait remarquer que les pentes ont à peine été adoucies de 0,2 % dans le tracé retenu.

Lors de la période des questions, le ministre des Transports s’est dit « tout à fait ouvert » à réduire la vitesse du train. « C’est du gros bon sens », a-t-il enchaîné. Il est même allé plus loin en rappelant aux entreprises ferroviaires, comme le Canadien Pacifique, qu’elles ont des responsabilités. « Les compagnies de train ne sont pas là pour le monde, elles sont là pour faire de l’argent. Mais elles ont des responsabilités sociales aussi et c’est notre job, nous, comme gouvernement, mais aussi aux citoyens, de s’assurer qu’elles respectent […] le milieu dans lequel elles évoluent. »

Pas de « projet parfait »

Robert Bellefleur constate que, dix ans après la tragédie, le projet de voie de contournement continue de diviser. « Ça a été annoncé comme un projet de guérison sociale par le premier ministre Justin Trudeau, mais en fait, on est devant un projet de division sociale. Il y a des familles et des gens qui ne se parlent plus, des municipalités en conflit. »

Selon le ministre Rodriguez, qui a multiplié les déclarations empathiques lors du point de presse, il n’y aura pas de « projet parfait ». « Mais est-on capables de se parler ? Moi, je pense que oui. […] Mais, encore une fois, on doit aller de l’avant. »

Le 6 juillet 2013, un incendie majeur s’est déclenché au cours de la nuit lorsqu’un train de 72 wagons-citernes a déraillé en plein cœur de la ville. La tragédie a coûté la vie à 47 personnes.

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