Le transport en commun «à la demande» s’accélère en région
Le transport en commun dit « à la demande » gagne en popularité au Québec. Après Gatineau, Richelieu et la périphérie montréalaise, c’est au tour du Saguenay d’adopter cette façon différente de se déplacer en ville.
Le principe est assez simple. On enregistre le trajet que l’on veut faire sur une application, et l’autobus passe vous chercher à l’arrêt le plus près de chez vous à l’heure demandée. Puisque vos voisins font la même chose, un algorithme optimise le trajet de l’autobus au gré des commandes. Cette approche à mi-chemin entre le taxi et le bus traditionnel entrera officiellement dans trois quartiers du Saguenay d’ici 2025, a appris Le Devoir.
Frédéric Michel, directeur général de la société de transport du Saguenay (STS), confirme les bonifications à venir. Les quartiers de La Baie, de Jonquière et de Chicoutimi-Nord seront desservis grâce à ces « autobus sans itinéraire, sans ligne fixe, sans horaire ».
« On se promenait avec des autobus sans personne à l’intérieur. Ça a des coûts, des impacts environnementaux aussi. Ça a motivé notre transition », explique-t-il.
Son équipe transformera les lignes fixes en lignes souples, principalement les soirs et les fins de semaine. Les matins de semaine, « il y a trop d’achalandage », alors des lignes fixes continueront de transporter les clients. Le transport à la demande doit forcément coexister avec du transport classique, car c’est « un modèle qui fonctionne quand l’achalandage est bas. » Au-delà de dix passagers en même temps dans l’autobus, le système ne peut plus « absorber » la demande, et les délais deviennent de moins en moins attractifs.
On se promenait avec des autobus sans personne à l’intérieur. Ça a des coûts, des impacts environnementaux aussi. Ça a motivé notre transition.
« On peut réserver 25 minutes à l’avance, 7 jours à l’avance, autant de départs qu’on souhaite. On choisit soit l’heure d’arrivée, soit l’heure de départ. On ne peut pas choisir les deux en même temps », explique Frédéric Michel.
Les usagers répondront présents, croit la STS. Un projet-pilote instauré l’an dernier dans le secteur de La Baie a provoqué une hausse d’achalandage d’entre 3 % et 11 % par mois. « C’était un secteur en décroissance depuis ces années avant la pandémie », note M. Michel. L’économie pour la STS est aussi substantielle. Il en coûte 11,5 % moins cher pour faire fonctionner « essentiellement le même service ». Tous les détails du nouveau service seront rendus publics le 4 juillet prochain.
Deux nouvelles villes dans la couronne de Montréal
La STS n’est pas la seule à confirmer ces temps-ci l’implantation du service. Exo a indiqué en début d’année que ses autobus aux trajets flexibles deviendraient permanents à Beloeil et à McMasterville. Un projet-pilote semblable est aussi en cours à Terrebonne, et la décision de le pérenniser ou non sera connue l’an prochain.
Le succès semble au rendez-vous, puisque Exo prévoit étendre le « à la demande » à deux nouvelles villes — une sur la Rive-Sud et une autre sur la Rive-Nord — dans les mois qui viennent. « Ça fait partie de notre stratégie de croissance », confirme Marie Hélène Cloutier, directrice exécutive de l’expérience-client pour Exo.
Exo a supprimé ses lignes fixes à Beloeil pour implanter cinq autobus « à la demande », tandis qu’à Terrebonne l’entreprise a plutôt rajouté des voitures en plus de l’offre de bus déjà en place. Là, jusqu’à trois berlines à la fois comblent « le premier et le dernier kilomètre » des trajets. « Ça permet un rabattement vers les gares, vers les trains. […] Ça vient améliorer l’accès au stationnement incitatif ou des points d’attrait. »
À lire aussi
L’entreprise dit avoir élargi son bassin de client grâce à ce service. Près de 40 % des Beloeillois adeptes du service « à la demande » n’avaient auparavant jamais utilisé le transport en commun. « Avec le même budget d’exploitation, on dessert 300 % plus d’achalandage », ajoute la représentante d’Exo
Gatineau a fait de même depuis l’implantation d’un premier taxi collectif en juillet 2021. Une deuxième voiture circule maintenant dans les secteurs éloignés de Masson et de Buckingham. Encore là, les taxis collectifs ne circulent que localement dans ces quartiers aux allures de village, explique José Lafleur, responsable des affaires publiques du STO. « C’est un secteur un peu enclavé. Le système traditionnel est plus onéreux et plus difficile à offrir. » Près de 18 820 déplacements ont ainsi été effectués en trois ans, soit une moyenne de 17 par jour. Environ la moitié de ces déplacements étaient partagés entre plusieurs usagers.
« Ce n’est pas un service porte à porte. Ce n’est pas un taxi. Ça demeure un transport en commun », souligne José Lafleur. Il faut toujours passer par les autobus à horaires fixes pour rejoindre le centre-ville. N’empêche, « c’est là pour de bon ».
Pas toujours facile de s’adapter
La formule n’a pas collé partout. Trois-Rivières n’a pas reconduit son projet-pilote en 2022 en justifiant que cela n’avait « pas contribué de manière significative » à l’augmentation de l’achalandage.
La clientèle aînée a aussi du mal à s’adapter à la technologie. Saguenay a corrigé cette lacune en installant des téléphones fixes à des arrêts clés et a ouvert une ligne directe permettant de commander son autobus auprès d’un agent. Près de 40 % des usagers saguenéens du transport à la demande passent par le téléphone classique, contre 60 % par l’application.
Il y a aussi le problème des « déréservation », remarque Marie Hélène Cloutier. Certains se désistent sans en avertir la compagnie de transport. Puisque l’algorithme est optimisé en fonction de tous les usagers, tout parcours perd alors en efficacité.
Ce n’est pas un service porte à porte. Ce n’est pas un taxi. Ça demeure un transport en commun.
Le principal défaut du service « à la demande » ne survient que s’il est trop populaire, observe Jean-Philippe Meloche, expert en transport urbain à l’Université de Montréal. Le réseau sature si la demande est trop forte. « Généralement, les plaintes de ces systèmes viennent parce que les temps d’attentes sont trop longs », dit-il.
Inversement, « le principal avantage [du transport à la demande], c’est le coût. Ça coûte vraiment moins cher », indique l’expert en entrevue. Pour se déplacer à l’intérieur d’une petite municipalité en région, la formule est tout indiquée. « Ça permet d’étendre la carte » du service aux endroits pas ou peu desservis. « Plus le volume est petit, plus c’est pertinent. »
Uber en commun
Le géant du transport Uber s’est récemment lancé dans le transport en commun « à la demande ». Son service « Uber Shuttle » a fait son entrée en mai dernier aux États-Unis après des essais au Caire et à Delhi.
Cette année, les citoyens de trois villes des États-Unis (Chicago, Charlotte, et Pittsburgh) peuvent embarquer dans ces taxis-bus à la demande. Ce service est surtout conçu pour pallier le manque de transports vers les aéroports ou à la sortie des grands concerts dans les arénas. Ces courses en commun permettent tout de même d’économiser en moyenne 25 % sur le prix d’un trajet, selon la compagnie.
Une ville canadienne est allée plus loin en déléguant tout son système de transport à Uber. La ville ontarienne d’Innisfil a mandaté en 2019 l’entreprise pour assurer un transport en commun à ses quelque 40 000 habitants. Un taxi vient vous chercher pour 4 $, 5 $ ou 6 $ et la Ville se charge de payer la différence sur la facture. Financer lourdement le transport en commun, qu’il soit privé ou public, est l’apanage de toutes les municipalités, note Jean-Phillipe Meloche. Les réseaux des petites communautés sont déjà financés dans une proportion de 80 % à 90 % par les deniers publics.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.