Au tour de Québec d’exiger la récusation du juge Jamal dans les débats sur la loi 21

Le juge de la Cour suprême du Canada, Mahmud Jamal, lors de sa cérémonie de bienvenue, le 28 octobre 2021
Photo: Adrian Wyld Archives La Presse canadienne Le juge de la Cour suprême du Canada, Mahmud Jamal, lors de sa cérémonie de bienvenue, le 28 octobre 2021

Après le Mouvement laïque québécois, c’est au tour de Québec d’exiger que le juge Mahmud Jamal, de la Cour suprême du Canada, se récuse du dossier entourant la Loi sur la laïcité de l’État, afin qu’il ne soit pas « juge et partie ».

Dans une lettre envoyée à la Cour mercredi, et dont Le Devoir a obtenu copie, le procureur général du Québec (PGQ) exprime son malaise concernant la participation au dossier du magistrat, qui siégeait jusqu’en 2019 au conseil d’administration de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), une des parties demanderesses.

« Une personne raisonnable et bien informée craindrait que le juge Jamal n’ait pas l’impartialité requise pour entendre la présente cause », a-t-il écrit.

En intervenant ainsi, le procureur général, Simon Jolin-Barrette, imite le Mouvement laïque québécois (MLQ), qui avait envoyé la semaine dernière une première demande de récusation, par « crainte sérieuse et raisonnable de partialité ».

Dans sa missive adressée au plus haut tribunal du pays, le PGQ expose essentiellement les mêmes motifs que le MLQ. Il rappelle que le juge Jamal, nommé en 2021 à la Cour suprême, occupait encore un siège au sein du conseil d’administration de l’ACLC lorsque cette dernière a déposé une première requête devant la Cour supérieure du Québec, en juin 2019.

Mais ce n’est pas tout : « à ce moment, et lors des années précédentes [soit de septembre 2018 au mois de juin 2019], le juge Jamal n’était pas simplement membre du conseil d’administration de l’Association, il en était même le président, tel qu’il appert du “questionnaire relatif au processus de nomination des juges de la Cour suprême du Canada” », peut-on lire dans la lettre du PGQ.

« À titre de président de l’Association, le juge Jamal a nécessairement été impliqué d’une quelconque façon dans la préparation » du dossier de contestation de la loi 21, argumente Québec. « Le rôle que le juge Jamal a joué dans l’assermentation du témoin principal de l’[ACLC] témoigne de cette implication. »

« Juge et partie »

Dans une communication datée de la semaine dernière, la registraire de la Cour suprême avait avisé les parties impliquées des intentions du juge Jamal de ne pas se récuser.

« [Il] a considéré l’avis et estime qu’il n’existe aucun conflit d’intérêts réel ou raisonnablement perceptible qui l’inciterait à se récuser », pouvait-on y lire. « Il n’a à aucun moment été procureur inscrit au dossier de l’instance à l’origine de la présente demande d’autorisation d’appel et il n’a aucun souvenir d’avoir fourni quelque conseil juridique que ce soit dans le cadre de cette instance. »

Des arguments qui n’ont pas convaincu le gouvernement du Québec. « Le fait que le juge Jamal doive trancher des questions de droit constitutionnel soulevées par l’Association au moment où il la présidait fait en sorte qu’il serait aujourd’hui le juge dans une affaire où il était partie », a soutenu le PGQ dans sa demande de récusation.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement du Québec soulève des interrogations sur les prises de position d’un magistrat de nomination fédérale vis-à-vis de la loi 21. En 2019, le premier ministre François Legault avait dit comprendre les Québécois « préoccupés » par les propos de la juge en chef de la Cour d’appel du Québec, Nicole Duval Hesler, qui avait auparavant laissé entendre que certains sympathisants de la laïcité de l’État souffraient d’« allergies visuelles » devant les signes religieux.

Pas de commentaires de la Cour

La Cour suprême n’a pas voulu émettre davantage de commentaires jeudi, malgré les critiques du procureur général et une autre demande de récusation que lui a fait parvenir en cours de journée l’organisme Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec).

« Pour nous, il est manifeste qu’[il] a un parti pris contre la [loi 21] et qu’il entretient des préjugés et présupposés péjoratifs et non fondés sur les effets de la loi », a écrit l’avocate de PDF Québec, Christiane Pelchat. « Nous sommes aussi convaincues que nous ne pourrions être traitées également aux parties qui s’opposent à la [loi 21] et à la laïcité de l’État. »

L’Association canadienne des libertés civiles fait partie, comme l’étudiante Ichrak Nourel Hak et le Conseil national des musulmans canadiens, de ceux qui contestent la plus récente décision de la Cour d’appel du Québec sur la loi 21. Dans ce jugement, rendu en février, le tribunal de deuxième instance avait validé la quasi-totalité des dispositions de la loi sur la neutralité religieuse.

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