L’art au service des tout-petits

Une scène de la pièce «mOts premiers» présentée au festival Petits Bonheurs 2024
Photo: Jeanne Paturel Une scène de la pièce «mOts premiers» présentée au festival Petits Bonheurs 2024

Si le théâtre jeunesse existe au Québec depuis plus de 50 ans, celui destiné aux tout-petits, cette petite enfance comprise entre 0 et 6 ans, a encore la couche aux fesses. Il y a bien sûr eu quelques traces avant les années 2000, quelques initiatives prometteuses, notamment celles de Jasmine Dubé et sa compagnie Bouches Décousues, mais c’est surtout depuis le début du XXIe siècle, avec la fondation de l’organisme Petits bonheurs, que s’ouvre au Québec ce champ des possibles.

Cofondé en 2005 par Pierre Larivière, Petits bonheurs s’inspire de ce qui existait déjà en Europe à l’époque, soit une pratique de spectacles pour la petite enfance. Persuadé que « l’art agit comme élément moteur du développement global de l’enfant », il fera de cette conviction la mission de l’organisme, aujourd’hui dirigé par Esther Duquette. « Pierre a toujours eu cette vision d’un art engagé […], d’un art qui pouvait contribuer à faire une société plus forte dans son ensemble […] Il fallait qu’on donne accès à l’art aux tout-petits, qu’ils puissent avoir cette occasion de se développer, de vivre de beaux moments en famille. Il y a énormément de bénéfices pour le développement global d’un enfant à accéder très tôt à des manifestations artistiques. Pierre était convaincu de ça », raconte Mme Duquette avec respect et admiration.

Photo: Photo fournie Esther Duquette, directrice artistique et générale du festival Petits bonheurs

Dès le début du festival, le volet international a donc été très important afin de faire connaître cette proposition et de créer des ponts entre les artistes d’ici et là-bas, explique la directrice artistique et générale de l’organisme. « Aujourd’hui, il y a plusieurs compagnies qui font des arts pour la petite enfance et c’est fascinant de voir comment le Québec est un leader dans ça. Quand on regarde ailleurs au Canada, il y a des artistes qui en font, mais pas avec la même concentration qu’ici. Ça montre que Petits bonheurs a un gros impact sur ce développement-là. » Chiffres en tête, elle souligne par ailleurs qu’à sa 3e édition, le festival a reçu quelque 12 000 spectateurs, signe qu’il répondait déjà à un besoin.

Un art rigoureux

Depuis ces 20 ans, à l’image du théâtre pour ados ou même pour adultes, le théâtre pour les tout-petits ne cesse de se développer, de se professionnaliser en offrant des propositions rigoureuses. Esther Duquette insiste d’ailleurs sur cette rigueur déployée par les artisans afin de mettre en scène des spectacles pour les petits qui, pour certains, ne savent pas encore parler ni même marcher. « Je dirais même que ce sont des pratiques qui demandent un peu plus de recherches [que dans le théâtre pour les plus grands]. Comme êtres humains, on commence à avoir des souvenirs vers l’âge de 7 ans. Donc, avec beaucoup d’efforts, on est capables de se replonger dans la façon dont on se sentait quand on était enfant ou adolescent […] Mais on a très peu de souvenirs de notre expérience comme enfant de 0-6 ans. »

Pour arriver à offrir des spectacles parlants, les artistes travaillent ainsi fort en amont. « Il y a souvent beaucoup de travail qui est fait en relation avec le public avant que l’oeuvre aboutisse pour, justement, aller valider […] Parce qu’on ne peut pas vraiment aller puiser dans nos expériences vécues, il faut aller soumettre des hypothèses artistiques au public à qui on s’adresse », explique Esther Duquette. Tout en soulignant que de longues périodes de médiations sont nécessaires pour s’assurer que les créateurs sont sur la bonne voie.

Photo: Serena Groppelli Une scène de la pièce «Sonia et Alfred» présentée au festival Petits bonheurs 2024

Et la réponse du public ne tarde pas, car les tout-petits sont très réceptifs à tout ce qui s’adresse à leurs sens, but premier des spectacles. « Ce n’est pas difficile d’avoir leur attention. À cet âge-là, tout les intéresse. Ils ont une curiosité et une capacité d’absorption énormes. Quand c’est bien fait, les enfants répondent. Et on le sait tout de suite quand ça ne fonctionne pas […] C’est un public qui ne ment pas, qui est extrêmement honnête, qui n’a pas tellement conscience de la façon d’agir au théâtre. Alors c’est une réponse extrêmement authentique à ce qu’ils sont en train de vivre et de voir », poursuit la directrice.

Bien que toutes les propositions pour la petite enfance tendent souvent à s’adresser aux sens des jeunes, à ce qu’ils ressentent, la diversité des spectacles est ce qui définit le mieux Petits bonheurs, selon la directrice. « Même si c’est un milieu qui demeure restreint — il n’y a pas beaucoup d’artistes qui se penchent là-dessus au Québec —, il y a quand même beaucoup de pratiques et de visions différentes […] Quand le public vient à Petits bonheurs, il n’y a pas un spectacle qui est pareil. Il y a une diversité d’approches, de disciplines et d’énergie entre, par exemple, Le chemin aux mille pousses, d’Emmanuelle Lizière et Alexandra Caron, qui est très doux […], délicat, et Alaclair Ensemble, qui fait un spectacle familial très festif. On s’éclate ensemble, on bouge. Tout ça se peut. »

Sortir des sentiers battus

Alaclair Ensemble ? Mais oui, pour souligner ses 20 ans, Petits bonheurs sort un peu des sentiers battus et s’éclate, comme le souligne Esther Duquette. D’abord, on retrouve trois spectacles internationaux, volet qui avait été mis de côté pendant la pandémie, dont mOts premiers de a k entrepôt, un spectacle ludique qui met en scène deux hommes, un comédien polyglotte et un danseur de hip-hop, dans un spectacle qui invite les petits et les parents à réfléchir autour du langage.

Photo: Lisa Bartoux Lors du spectacle de clôture, le groupe Alaclair Ensemble donnera une prestation qui « sort de l’ordinaire », souligne Esther Duquette.

Et, clou du festival, le spectacle de clôture, qui aura lieu le 12 mai à la Maison de la culture Maisonneuve. En grande première, dans une version adaptée aux petites oreilles, Alaclair Ensemble donnera une prestation qui « sort de l’ordinaire », souligne Mme Duquette. « On voulait vraiment une fête, on voulait que les familles se retrouvent, dansent, célèbrent […] » Invitant les parents à vivre l’expérience du festival avec leurs enfants, la directrice croit profondément aux bienfaits de ces représentations, qui sont, dit-elle, « une occasion de découverte avec son enfant. C’est un double spectacle. On reçoit l’oeuvre en tant que parent et on la reçoit à travers les yeux de son enfant. On le voit réagir, s’émerveiller, s’interroger sur ce qu’il est train de voir […] Ces spectacles vont stimuler tous les sens. Les enfants vont avoir quelque chose à entendre, à toucher, à voir. Et c’est très bon sur le plan social », conclut-elle avec enthousiasme.

Festival Petits bonheurs

Dans les salles des arrondissements de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, de Ville-Marie et d’Outremont, jusqu’au 12 mai. Et ailleurs au Québec et en Ontario, jusqu’au 31 mai.

À voir aussi

Sonia et Alfred, de la compagnie italienne Teatro Gioco Vita, est, aux dires de la directrice de Petits bonheurs, une histoire dont on a besoin aujourd’hui. Une histoire sur la rencontre avec l’autre, sur ce qu’on gagne quand on s’ouvre, quand on partage. Le tout dans un mélange de théâtre d’ombres, de danse et de jeu. Présenté le 7 mai au théâtre Outremont. 4 ans et plus.

Avec Les eaux, Elie Marchand s’adresse aux petits à partir d’un mois. Il s’agit d’une expérience sensorielle et immersive dans laquelle les bébés sont bercés par des mots poétiques reliés à des images, à des textures, à des visages qui rappellent les vacances à la plage. Exposition présente à Maison de la culture Maisonneuve du 3 au 29 mai.

Guidés par deux personnages et un grand livre d’histoires, les enfants et parents sont invités avec Chroniques d’une plume à inventer une suite au récit amorcé par les comédiens. Sous forme de danse, de mouvement, chaque représentation sera unique, soumise à l’inspiration du public. Une production de la compagnie de danse Sursaut. 3 à 6 ans. Les 4 et 5 mai à la Maison de la culture Mercier.

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