«Les forteresses»: fortes et résilientes
Les forteresses, spectacle sur fond de révolution iranienne, sera l’occasion pour Gurshad Shaheman d’un retour au Québec. Présentée au Carrefour international de théâtre, à Québec, sa fresque familiale et politique articule les vies de trois femmes près de lui, nées en Iran au début des années 1960 : trois étudiantes universitaires, aux prises avec la soudaine révolution de 1979. Au vu de l’actualité des dernières années, la pièce risque de présenter des échos bien singuliers.
Le dramaturge le confie d’emblée, en entrevue avec Le Devoir: c’est un spectacle qui, depuis sa création en 2021, a été particulièrement sensible à cette actualité. « Le premier événement qui est venu changer complètement la réception qu’on a du spectacle, c’est quand les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan. À ce moment, on jouait sur le toit du MUCEM [Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille], avec la mer derrière ; et dans la journée, on apprend que, de nouveau, les talibans sont au pouvoir… »
Il y a eu l’invasion russe en Ukraine, aussi : les passages du spectacle concernant la guerre, auprès d’un public européen qui s’en croyait épargné, résonnaient tout à coup différemment.
Et à travers les troubles d’une époque au point de bascule, est survenue bien sûr la mort de Mahsa Amini, en 2022, puis le mouvement Femme, vie, liberté : des événements ultérieurs à la création de ce spectacle « écrit en temps de paix », qui le colorent néanmoins.
« Le spectacle présente vraiment cette chose-là de l’individu jeté dans la grande histoire, qui fait que des événements adviennent et se décident là-haut viennent perturber la routine d’une vie paisible », ajoute Shaheman. Ici, ce sont trois soeurs qui vivent dans un petit village et qui ont de l’ambition, qui veulent faire des études. « Puis, elles arrivent à la fin de l’adolescence et, d’un coup, il y a une révolution. Elles sont projetées dans la vie comme ça. »
Cette mondialisation-là
Le spectacle, maintenant, traverse au Québec : cette translation par-delà l’Atlantique teintera-t-elle également la réception ? « Là, le timing est juste parfait », précise le dramaturge franco-iranien, installé en France à 12 ans à la suite d’une mère en exil.
Cette présentation américaine des Forteresses, il faut le préciser, survient dans un contexte créatif particulier. Sur tes traces, une collaboration avec le Montréalais Dany Boudreault, qui entrelace les cheminements des deux créateurs, sera présentée au FTA — cela, après le passage en 2018 de Pourama pourama, où se dessinaient déjà les personnages de Forteresses. « Là, on change de focus ; ce sont elles qui sont les personnages principaux : elles me parlent à moi, me racontent leur vie. »
« En fait, tous ces personnages-là se retrouvent aussi dans Sur tes traces, qu’on monte deux ou trois jours avant [Les forteresses au Carrefour]. Et comme j’ai cette collaboration avec le Québec, avec Dany Boudreault, depuis deux ans, et que l’idée, c’est d’enquêter sur la vie de l’autre… tout d’un coup, il y a une espèce d’écho qui se fait entre le Carrefour et le FTA, et ces destins-là se retrouvent aussi vus par un Québécois dans une autre pièce. Je suis vraiment très heureux : ça fait des ponts entre les deux oeuvres, et entre les trois continents. »
Si géographie et contexte politique restent incontournables, Shaheman tient cependant à recadrer sa proposition : « La pièce se passe en Iran, mais elle pourrait se passer ailleurs. Elle contient beaucoup de révolte, ça parle d’amour, de mariage, de ce que c’est, la maternité ; de ce que c’est, un couple qui va bien, un couple qui va mal ; elle parle de la révolution, de la guerre… »
« Mais il y a aussi ce pouvoir de célébrer le présent, la joie d’être ici, ensemble : d’avoir survécu à tout ça », conclut le dramaturge, dont le travail, puisant aux témoignages recueillis, aime reconstituer des « bibliothèques vivantes ». « Et il y a cette idée de pouvoir se comprendre, aussi, de faire un pont : à travers ces histoires qu’on pensait personnelles, se dire qu’il y a moyen qu’on se comprenne, dans un monde où on nous raconte beaucoup le contraire. »
À surveiller au Carrefour international de théâtre de Québec
Dans une programmation que le comité du Carrefour international de théâtre a voulue guidée par la quête d’identité, L.U.C.A. (Last Universal Common Ancestor, l’hypothétique cellule à l’origine de tout le vivant), de Grégory Carnoli et Hervé Guerrisi, propose un passage par le théâtre documentaire. À travers généalogie, génétique et témoignages familiaux, le duo italo-belge cherchera à allier chimie, humour et sensibilité pour poser la question de nos origines. À Méduse, du 29 mai au 1er juin.
Nous surveillerons également le projet de danse-théâtre de la metteuse en scène française Julie Berès, La tendresse, qui se penche sur les façons d’être un homme en 2024. Dans un contexte social de critique du genre où l’apport lié à de nouvelles paroles masculines tire parfois de l’arrière, il y a espoir que ce spectacle, autour de huit artistes issus de classes sociales, de religions et de pratiques diverses, amène de généreuses lumières. À La Bordée, du 2 au 4 juin.
Finalement, la nouvelle mouture du populaire Où tu vas quand tu dors en marchant… ? se réinstalle cette année au centre-ville, à proximité du Grand Marché et du Centre de foires. Sous la coordination artistique d’Alexandre Fecteau et de Nancy Bernier, le parcours déambulatoire gratuit propose quatre tableaux, les jeudis, vendredis et samedis. En périphérie d’ExpoCité, du 23 mai au 8 juin.