«The NeverEnding Story»: les enfants de Fantasia
La série A posteriori le cinéma se veut une occasion de célébrer le 7e art en revisitant des titres phares qui fêtent d’importants anniversaires.
Le jeune Bastian a le vague à l’âme. Et pour cause : sa mère est décédée, son père ne le comprend pas, et un groupe de brutes s’amuse à l’intimider chaque matin sur le chemin de l’école. C’est, pour le compte, en essayant de leur échapper que Bastian se faufile un jour dans une librairie où son regard est attiré par un grimoire orné d’un étrange sceau. Faisant fi de la mise en garde du propriétaire, Bastian « emprunte » l’ouvrage, s’enferme dans le grenier de l’école et entreprend une lecture qui le plongera — littéralement — dans un monde fantaisiste justement nommé… Fantasia. Sorti il y a 40 ans, en avril 1984, The NeverEnding Story (L’histoire sans fin) enchanta et traumatisa un public ravi.
Lequel public en fit un film culte, en témoigne, entre autres, un épisode de l’hyperpopulaire série Stranger Things lui rendant hommage.
À peine sa lecture commencée, Bastian (Barret Oliver) constate que Fantasia et sa jeune impératrice (Tami Stronach) sont menacés de destruction par le Néant. Atreyu, un guerrier sans peur malgré son jeune âge (Noah Hathaway), se voit confier la tâche de trouver un remède au mal qui ronge le royaume et sa souveraine. Cette dernière lui remet l’Auryn, un puissant talisman — celui-là même qu’arbore le livre que lit Bastian.
Bastian qui l’ignore encore, mais qui aura un rôle crucial à jouer dans l’aventure…
Dans un article de Entertainment Weekly, le réalisateur Wolfgang Petersen explique en 2019 :
« Les jeunes acteurs constituaient la partie la plus importante de tout le projet : tout tournait autour d’eux, et autour du fait qu’ils sauvent le monde. »
Le film est adapté de la première partie du roman de l’auteur allemand Michael Ende qui, après avoir agi comme conseiller au scénario, rejeta la version finale et poursuivit les producteurs avant d’être débouté en cour. À la décharge de l’auteur, le film est une simplification de son roman.
En l’état, il n’en s’agit pas moins d’un film merveilleux.
Logistique élaborée
À cet égard, créer l’univers inusité et foisonnant de Fantasia nécessitait un budget costaud, de telle sorte que la production décida de tourner le film en anglais, le destinant d’emblée au marché international.
Fort du succès de son techniquement très complexe Das Boot (Le bateau), un thriller campé dans un sous-marin, Wolfgang Petersen fut embauché pour sa capacité à gérer un projet à la logistique élaborée. Et celle de NeverEnding Story était du jamais vu en Allemagne.
Cinéaste en herbe depuis l’enfance, alors qu’il demanda à ses parents, à 12 ans, de ne plus lui acheter de jouets mais de plutôt lui offrir une caméra Super 8, Wolfgang Petersen était le choix idéal pour cette superproduction reluquant implicitement le lucratif marché nord-américain. De fait, c’est en se gavant de films hollywoodiens dans les années 1950, tout gamin, que Petersen avait développé sa passion pour le cinéma.
« Un film dont je me souviens vraiment est le western High Noon, que j’ai vu quand j’étais enfant […] Le héros a peur, mais il fait face quand même. Le courage que démontre cet homme, alors que nous pouvons nous-même ressentir sa peur intense, j’ai tout simplement adoré ça », partage le réalisateur dans le livre Director’s Cut: Picturing Hollywood in the 21st Century.
Dans The NeverEnding Story, Bastian a lui aussi peur, « mais il fait face quand même ». Quant à Atreyu, qui traverse les plaines de Fantasia sur son fidèle cheval Artax, on pourra discerner dans sa quête l’influence des westerns.
Une scène triste
Au sujet d’Artax : la fin tragique du bel animal dans les marécages de la mélancolie arracha (et continue d’arracher) des larmes à maints petits et grands — d’où le « traumatisme ».
À ce propos, une légende urbaine veut que le cheval soit vraiment mort lors du tournage. C’est évidemment faux. En l’occurrence, deux chevaux, entraînés des mois durant pour cette seule scène, furent mis à contribution.
« Dans le film, on ne voit jamais la tête du cheval s’enfoncer dans la boue, relève Petersen dans Entertainment Weekly. C’est censé être une scène triste ; c’était une partie cruciale du film. »
Un autre passage mémorable est évidemment la chevauchée ultime par Bastian de Falkor, le dragon volant porte-bonheur, après que le monde réel et le monde imaginaire eurent fusionné. Triomphant, le timide protagoniste obtient une douce revanche contre ses bourreaux lors du dénouement, cathartique pour quiconque a déjà subi de l’intimidation.
Énorme créature bienveillante qui aide Atreyu dans son périple, Falkor fut conçu en animatronique, les effets numériques n’ayant pas encore été inventés. Une équipe de quinze personnes était chargée de l’articuler.
De se remémorer Noah Hathaway, l’interprète d’Atreyu, dans Entertainment Weekly :
« Monter Falkor n’était pas aussi glamour qu’on pourrait l’imaginer. Ils avaient fabriqué cette tête et ce cou de 10 pieds attachés au moteur d’un chariot élévateur, et je me trouvais probablement à 15 ou 20 pieds du sol, avec des boîtes et des matelas en dessous au cas où je tomberais. Parfois, [Falkor] surchauffait et devenait incontrôlable […] Cela a fini par être comme monter un taureau mécanique. Il fallait alors juste que je m’accroche, mais c’était si amusant ! »
La touche Spielberg
Comme indiqué, la production mit tout en oeuvre afin que le film obtienne un succès mondial. Et c’est ici qu’intervint nul autre que… Steven Spielberg. Impressionné par Das Boot, Spielberg s’était lié d’amitié avec Petersen qui, comme lui, avait fait ses classes avec une caméra Super 8.
Le second projeta The NeverEnding Story au premier en sollicitant ses suggestions de coupes pour le marché nord-américain, plus avide d’action. Afin de remercier Spielberg de ses conseils, Petersen lui offrit l’Auryn, le pendentif porté par Atreyu.
Bref, c’est la raison pour laquelle il existe deux versions du film : le montage européen original de 102 minutes, et le montage nord-américain de 94 minutes. Chacun est doté de sa propre musique.
Avertissement de ver d’oreille : dans la version courte, Limhal interprète une chanson-thème composée par Giorgio Moroder sur des paroles de Keith Forsey. Dans l’épisode final de la 3e saison de Stranger Things, les jeunes protagonistes l’entonnent triomphalement.
Ode à l’imagination
Parlant de jeunes protagonistes, ceux de NeverEnding Story plurent au critique Roger Ebert. À la sortie, il écrit :
« L’idée d’un récit dans le récit est l’une des trouvailles intéressantes de NeverEnding Story. Une autre belle idée est celle selon laquelle la foi d’un enfant peut changer le cours du destin. Jamais depuis que les enfants du public ont été invités à sauver la fée Clochette dans Peter Pan, le dénouement d’une histoire n’aura-t-il été aussi clairement laissé à la volonté de croire des enfants. Il y a beaucoup de choses auxquelles nous devons croire dans The NeverEnding Story, et c’est l’autre grande force de ce film. »
Son collègue Gene Siskel détesta en revanche le long métrage, qui reçut un accueil partagé. Il n’empêche, de télédiffusions en rééditions vidéos, The NeverEnding Story cimenta son statut culte auprès d’un vaste public resté jeune de coeur.
À terme, le film, comme le roman, s’avère une ode à l’imagination. Ainsi, lorsque Bastian croit que tout est perdu, l’impératrice lui souffle : « Fantasia peut renaître, de tes rêves et de tes souhaits. Et plus tu formuleras de souhaits, et plus magnifique encore deviendra Fantasia. »
Alors, en ce 40e anniversaire du film, fermez les yeux, et faites un voeu.
Le film The NeverEnding Story est offert en VSD sur la plupart des plateformes.