«The Karate Kid», un film «fortiche» depuis 40 ans
La série A posteriori le cinéma se veut une occasion de célébrer le 7e art en revisitant des titres phares qui fêtent d’importants anniversaires.
Au cinéma, certains films font courir les foules en leur temps, mais sombrent ensuite dans l’oubli : un succès éphémère, comme les modes. En revanche, il en est d’autres qui traversent les époques, et dont le legs, de suites en remakes, semble éternel. Sorti il y a 40 ans ce mois-ci, The Karate Kid (Le moment de vérité), de John G. Avildsen, appartient à la seconde catégorie. À preuve : cette sixième saison, rien de moins, de la populaire série Cobra Kai, créée à partir de l’univers du film originel, attendue prochainement. Le fait est que ce récit célébrant la résilience face à l’intimidation, le dépassement de soi, le premier amour et, surtout, surtout, l’importance de l’amitié, avait, et continue d’avoir, tout pour plaire.
The Karate Kid relate la difficile acclimatation de Daniel LaRusso (Ralph Macchio, choisi devant Tom Cruise, Sean Penn et Nicolas Cage), un adolescent du New Jersey récemment installé en Californie. Sitôt arrivé, Daniel devient la cible d’une bande d’intimidateurs, menée par l’arrogant Johnny (William Zabka). Les brutes en question pratiquent le karaté sous l’égide d’un sensei sadique, Kreese (Martin Kove), du dojo Cobra Kai.
Heureusement pour Daniel, monsieur Miyagi (Pat Morita), le concierge quinquagénaire de son immeuble, décide de le prendre sous son aile et de lui enseigner le karaté. En parallèle, Daniel courtise la belle Ali (Elisabeth Shue)…
Le tout culmine par un championnat lors duquel Daniel affronte ses intimidateurs, au son du ver d’oreille You’re the Best, de Joe Esposito, chanson initialement destinée au film Rocky III.
D’ailleurs, à sa sortie, The Karate Kid fut souvent comparé à Rocky, également réalisé par John G. Avildsen. Dans l’ouvrage The Directors: Take Two, le cinéaste se souvient :
« Quand on m’a envoyé le scénario de Robert Mark Kamen, je me suis dit […] que les gens allaient surnommer le film The KaRocky Kid. »
S’il y a d’indéniables similitudes, du reste inhérentes à la formule du héros désavantagé triomphant dans l’adversité (ou « underdog »), les deux films s’avèrent distincts après examen. Entre autres exemples, contrairement à Rocky Balboa, Daniel LaRusso remporte la victoire lors du dénouement, non sans s’être à maintes reprises retrouvé au tapis.
C’est chancelant, mais déterminé, qu’il vient à bout de Johnny. Johnny qui, en remettant le trophée à Daniel, se révèle contre toute attente beau joueur, formulant ces mémorables félicitations : « T’es fortiche, LaRusso ! » (« You’re all right, LaRusso », en version originale).
Gageons que cet ultime élan de franc-jeu de la part de Johnny est l’une des raisons ayant permis au public d’accepter l’idée de cet antagoniste en tant que héros des décennies plus tard dans la série Cobra Kai.
Une part d’autobiographie
Robert Mark Kamen basa en l’occurrence l’intrigue sur ses propres expériences. En effet, à l’instar de Daniel, Kamen apprit le karaté comme moyen de défense après avoir été attaqué par un groupe de voyous durant son adolescence. Réprouvant les valeurs de violence et de vengeance privilégiées par son premier sensei (qui inspira le personnage de Kreese), le futur scénariste en choisit un second (le modèle de monsieur Miyagi), à l’approche pacifiste.
Dans le film, Daniel veut apprendre le karaté non pas pour se battre, mais bien « pour ne pas avoir à se battre ».
En entrevue à Uproxx, en 2021, Kamen revient sur le style de karaté Gōjū-ryū, d’Okinawa, utilisé dans le film : « Le karaté à Okinawa revêt une signification différente que dans le reste du Japon, ou en Corée ou ailleurs. Le karaté fait là-bas partie de la culture. Quand j’étais à Okinawa, la chose qui m’a le plus frappé, c’est qu’on ne disait pas : “Ah, ce gars est un grand combattant.” On disait plutôt : “Il s’entraîne très fort.” »
D’où l’importance accordée, dans le film, au volet « discipline », lorsque monsieur Miyagi inculque à Daniel les rudiments du karaté de manière indirecte, mais efficace. À cet égard, comment oublier le cirage de voiture ? « Lustrer, frotter, lustrer, frotter… »
De préciser Avildsen dans The Directors: Take Two : « J’ai été très impressionné par le scénario de Robert, car tout comme celui de Sylvester [Stallone, pour Rocky] ne parlait pas vraiment de boxe, The Karate Kid ne parlait pas réellement de karaté. Le sujet était ce jeune garçon subissant de l’intimidation, et qui rencontre cette figure paternelle, monsieur Miyagi, le père rêvé de tout le monde. »
De fait, le père biologique de Daniel est absent de l’équation. Comme dans plusieurs films populaires de la première moitié des années 1980, l’adolescent est élevé par une mère célibataire : voir aussi The Fog (Le brouillard), E.T., l’extra-terrestre, Max Dugan Returns (Le retour de Max Dugan), Footloose, Fright Night (Vampire, vous avez dit vampire ?), ou encore The Lost Boys (Génération perdue). Dans ce cas-ci, un sous-thème de précarité financière enrichit la trame, la pauvreté constituant un obstacle supplémentaire pour Daniel, notamment parce qu’Ali et Johnny sont issus d’un milieu bourgeois.
Quant à monsieur Miyagi, il deviendra le meilleur ami du jeune héros. Le coeur du film, et coeur est le bon mot, réside dans cette relation magnifiquement écrite, mise en scène, et jouée par Ralph Macchio et Pat Morita, ces derniers très complices. Comme le résume Craig Simpson dans un essai publié par Slant en 2009 :
« En raison des différences d’âge, de cultures et de tempéraments, l’amitié entre Daniel et Miyagi est plus inhabituelle, et par conséquent plus intéressante. Cela commence par une relation enseignant-élève, une dynamique mentor-protégé, à partir de laquelle se développent lentement la gentillesse, la générosité et le respect […] Individuellement, chaque personnage a des excentricités séduisantes. Macchio attire d’emblée la sympathie avec sa manie craquante de se parler tout seul, soulignant la solitude du personnage sans quémander la pitié. »
Du respect à la déférence
Plus loin, Simpson poursuit, en regard de la composition inoubliable de Pat Morita :
« L’approche de Morita — qu’il s’agisse d’essayer d’attraper des mouches avec des baguettes ou de dégonfler l’arrogance de Daniel — rend Miyagi sacrément drôle. Il est aussi profondément humain, imparfait, et hanté par un “Sombre secret du passé” que l’acteur incarne avec une totale conviction. Je n’ai jamais vu une scène de déprime alcoolisée comme celle dans The Karate Kid : un moment charnière du film qui a probablement valu à Morita sa nomination de meilleur acteur de soutien aux Oscar. »
Cette séquence poignante, où un monsieur Miyagi ivre se remémore avec mélancolie comment sa femme et leur fils nouveau-né périrent dans les camps de concentration américains où furent internés les citoyens nippo-américains durant la Deuxième Guerre mondiale, au moment même où lui était au front dans l’armée américaine (Médaille du courage à l’appui), contribua à mettre en lumière une page d’Histoire peu glorieuse des États-Unis.
Sous prétexte que ce passage freinait l’action, le studio demanda qu’on le coupe. De la même manière qu’il s’était battu pour que le peu connu Pat Morita obtienne le rôle de Miyagi, que le studio comptait offrir à Toshirō Mifune (acteur fétiche d’Akira Kurosawa), Avildsen refusa net.
Une décision avisée, puisque c’est à l’issue de cette séquence infiniment émouvante, qui se termine par Daniel bordant monsieur Miyagi, que le respect de l’adolescent envers son aîné se meut en déférence.
Un thème indémodable
En définitive, John G. Avildsen avait raison d’affirmer que The Karate Kid ne « parle pas réellement de karaté ». Ce que le célèbre Roger Ebert avait également compris.
En 1984, l’influent critique accorda ainsi une note parfaite au film tout en admettant, repentant, être allé au cinéma à reculons :
« L’attrait de ce film ne réside pas dans les séquences de combat, mais dans les relations interpersonnelles […] The Karate Kid est l’une des belles surprises de l’année : une histoire excitante, tendre et réconfortante, avec l’une des amitiés les plus intéressantes depuis longtemps. »
Sans doute l’affection indéfectible dont jouit le film vient-elle de là : du fait qu’une amitié, une vraie, ça ne se démode pas.
Le film The Karate Kid est disponible en VSD sur la plupart des plateformes.