Les tambours de la guerre contre la menace du Hezbollah
À la frontière avec le Liban, les localités sont presque vidées de leurs habitants. Les Israéliens espèrent une guerre d’ampleur pour éloigner le Hezbollah.
« Ils peuvent nous voir, cette route est dangereuse. » Annat Zisovich scrute les montagnes, le regard vigilant. À moins de deux kilomètres, le sommet des collines marque la frontière avec le Liban : « Le Hezbollah est implanté le long de la bordure frontalière. C’est une menace constante. »
Annat est porte-parole du kibboutz Yiftah, quasi accolé au territoire libanais. À la mi-octobre, quelques jours après le début des combats entre le Hezbollah et l’armée israélienne, elle a fui son foyer avec son mari et ses deux enfants pour se réfugier dans un hôtel de Tibériade, à 50 kilomètres au sud. Chaque vendredi, jour de repos en Israël, elle revient dans le kibboutz « pour soutenir nos soldats qui sont de service ici ». La femme de 48 ans leur apporte quelques gâteaux ainsi que le soutien de la communauté, qui a presque entièrement fui. « Sur 300 habitants, seule une vingtaine est revenue au kibboutz », indique-t-elle au Devoir.
Le nord menacé
Des militaires sont postés à l’entrée de Yiftah derrière des barrières métalliques. Dans les petites localités qui bordent le Liban, ces soldats originaires du nord sont quasiment les seuls à y demeurer, en cas d’invasion terrestre. Le kibboutz est vide, les volets des maisons sont fermés, aucune voiture ne circule dans ce bourg habituellement animé les vendredis. « Nous voulons tous revenir à la maison, dit Annat, mais c’est trop dangereux. »
Le regard abattu, elle roule le long des champs agricoles recouverts d’un tapis de cendres. « Aucune maison n’a été touchée par des missiles à Yiftah. En revanche, les plantations qui entourent le kibboutz ont été décimées par les feux, à cause des roquettes du Hezbollah. » Début juin, des roquettes tirées par le groupe chiite ont entraîné des départs de feux importants dans le nord d’Israël. « Le kibboutz a failli brûler », indique Annat en montrant des arbres cramés aux abords de la localité.
Les sirènes d’alerte résonnent quotidiennement dans le nord d’Israël, « surtout les dernières semaines », dit Annat, car depuis début juin, les affrontements ont connu une dangereuse escalade. Tsahal, l’armée de l’État d’Israël, a approuvé un plan d’attaque contre le Liban en vue d’une « guerre totale » et le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a mis en garde l’État hébreu, affirmant « ne pas craindre la guerre ». Jeudi, en réponse à l’assassinat d’un haut commandant du Hezbollah par Israël, la milice chiite a tiré 200 roquettes sur le territoire israélien, tuant un soldat de la brigade blindée de réserve de Yiftah. C’est une de ses attaques les plus massives des derniers mois.
Depuis le 8 octobre, au lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël, les combats sont principalement contenus autour de la frontière entre le Liban et Israël. Un conflit de haute intensité entraînerait des affrontements meurtriers dans les grandes villes des deux pays. Pour Annat Zisovich, un tel scénario serait « destructeur » pour Israël. « Il faut privilégier l’option diplomatique, car le Hezbollah est lourdement armé », selon elle. Mais dans son entourage, ce discours est minoritaire : « La plupart des gens du nord veulent une guerre forte, ils souhaitent en finir une bonne fois pour toutes avec la menace terroriste. »
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Soutien à la guerre totale
À quelques kilomètres, Kiryat Shmona ressemble à une ville fantôme. Avant le 7 octobre, la localité qui jouxte la frontière avec le Liban comptait près de 20 000 habitants. À peine 1000 âmes sont restées sur place. Habitée en majorité par des Israéliens partisans du Likoud, Kiryat Shmona est habituellement acquise à Benjamin Nétanyahou. Mais la menace que fait peser le Hezbollah crée la colère antigouvernementale parmi les habitants restés sur place. C’est le cas de Moshe Benzaken, 38 ans. « Le gouvernement est faible. Il n’a pas le courage d’affronter réellement le Hezbollah. Pourtant, nous avons le pouvoir de vaincre cette milice avec notre puissante armée », dit-il, le visage marqué par la colère. Au début de la guerre, Moshe avait fui les roquettes pour se réfugier à Haïfa, « mais je ne supportais pas d’être réfugié dans mon propre pays. Alors je suis revenu après deux semaines ».
L’homme déambule dans les rues vides de Kiryat Shmona. La plupart de ses amis ont quitté la ville. « C’est triste de vivre comme ça », confie-t-il au Devoir. Guide touristique dans la région, il ne peut plus travailler depuis le début de la guerre. Mais comme tous les Israéliens qui vivent à proximité du Liban, il reçoit une aide étatique de 6000 shekels (environ 2200 $) par mois pour vivre. Moshe affirme qu’il ne « craint pas les missiles du Hezbollah », car « ils tombent généralement sur des positions militaires ».
Il se dirige vers un abri situé en pleine rue, une installation de neuf mètres carrés aux parois épaisses de béton. « Il y en a un peu partout dans la ville, indique-t-il. On peut venir ici si les sirènes d’alerte retentissent. » En huit mois de guerre, il n’a dû se réfugier dans un abri de ce type qu’une seule fois. « J’espère que c’était la première et la dernière. Qui sait ce que les terroristes du Hezbollah peuvent faire demain ? » demande-t-il, en montrant la colline toute proche qui le sépare du Liban. « Nous avons occupé le Liban du Sud jusqu’en 2000. Nous pouvons y retourner si c’est le prix à payer pour avoir la paix ici. La guerre totale est la seule option pour un retour à la vie normale. »
C’est aussi ce que pensent les membres du Lobby 1701, un groupe d’activistes du nord qui exigent que l’État d’Israël assure le retour de leur sécurité. Le nom de l’association fait référence à la résolution 1701 votée par le Conseil de sécurité des Nations unies après la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël. Celle-ci imposait le désarmement de la milice chiite et son retrait au nord du fleuve Litani, à 30 kilomètres de la frontière. Des demandes que le Hezbollah n’a pas respectées jusqu’à aujourd’hui puisque la milice, dont l’arsenal militaire serait plus puissant qu’en 2006, est postée à la frontière avec Israël. Jeudi, après les tirs de roquettes du Hezbollah sur le territoire israélien, Lobby 1701 a accusé Israël, sur son compte X, d’avoir « abandonné les habitants du nord », déplorant qu’il n’y ait pas « d’avions [de chasse israéliens] en route vers Beyrouth ».
Pour repousser le Hezbollah loin de la frontière, « la guerre totale est la seule option », martèle Ariel Frish, rabbin et responsable adjoint de la sécurité à Kiryat Shmona. Muni d’une arme automatique HK416, l’homme aux airs de cow-boy pénètre dans une habitation totalement démolie. « C’est une roquette du Hezbollah qui a tout détruit le 26 octobre, dit-il, en gardant une main sur son arme. Kiryat Shmona est visée deux à trois fois par jour par les missiles des terroristes. Ici, le Dôme de fer [système de défense antiaérien d’Israël] ne peut pas grand-chose, car le départ des missiles est trop proche. Les habitants ont seulement 20 secondes pour trouver un abri quand une sirène d’alerte retentit. »
Le responsable sécuritaire s’active. « Ne traînons pas, nous sommes aujourd’hui en état d’alerte maximal. Hier, l’armée israélienne a tué un haut responsable du Hezbollah. Ils risquent de répliquer », annonce-t-il, l’air alarmiste. « Depuis le début de la guerre, un civil a été tué, et vingt autres blessés à Kiryat Shmona, déplore Ariel Frish. Le Hezbollah utilise de nouvelles armes, plus meurtrières. Il a acquis un arsenal militaire que nous n’avions jamais vu avant. Nous ne pouvons pas vivre avec cette menace à nos portes. Il faut nettoyer le Liban du Sud. »
Le 7 octobre a constitué un tournant pour les Israéliens du nord. Autrefois confiants dans la capacité de l’armée israélienne à les protéger, ils se sentent aujourd’hui vulnérables. Ceux qui vivent près de la frontière craignent que le Hezbollah commette un massacre semblable à celui perpétré par le Hamas. « C’est possible, assure Yahir Lévy, 39 ans, habitant de Kiryat Shmona. Ils ont creusé des tunnels qui relient le Liban à Israël, ils peuvent débarquer ici et nous tuer droit dans les yeux. » L’homme, qui est resté dans la ville depuis le début de la guerre avec son père et son frère, se réfugie dans un abri souterrain installé dans sa maison à chaque sirène d’alerte. « Mais l’abri ne me protégera pas s’ils débarquent à Kiryat Shmona »
Le Hezbollah a exprimé son refus d’une guerre totale, et les États-Unis font pression sur Israël pour éviter un tel scénario. Mais dans le nord, les tambours de la guerre résonnent, l’équilibre des forces est fragile, la région peut à tout moment basculer dans le chaos.
Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.