«Symphonie de coeurs»: un hymne à la vie
Après plus de trois ans de recherche, la création Symphonie de coeurs de Rhodnie Désir, première artiste associée de la Place des Arts, va prendre vie du 4 au 6 avril à la salle Wilfrid-Pelletier. Oeuvre d’envergure pour 11 interprètes et les 60 musiciens de l’Orchestre métropolitain, Symphonie de coeurs se veut une recherche tant scientifique qu’artistique sur le coeur, son système et ses failles.
« Un grand tourbillon très positif, truffé de magnifiques rencontres. L’humain, c’est vraiment le grand thème qui ressort, finalement. » Voilà comment Rhodnie Désir décrit ces deux dernières années. En effet, depuis que la chorégraphe a été nommée première artiste associée à la Place des Arts, elle n’a cessé de travailler et de plonger corps et âme dans sa nouvelle oeuvre. « On a réussi à se solidifier, à s’entourer des meilleurs créateurs et créatrices pour cette oeuvre, mais aussi à comprendre l’orchestre, le groupe. Ça représente beaucoup de grandes étapes pour finalement arriver à bâtir une équipe de chirurgie du coeur », explique-t-elle.
En effet, pour l’artiste, les parallèles entre la scène et la science sont constants. Pour sa création-documentaire, elle a récolté une centaine de témoignages, tant de chirurgiens que de personnes qui ont frôlé la mort, qui ont reçu une transplantation du coeur ou qui ont vécu une maladie cardiaque. « Ça m’a appris à travailler différemment en équipe. J’avais une bonne conception de ça sur les plans artistique et entrepreneurial, mais dans le monde des urgences, c’est une toute autre chose, raconte Mme Désir. Lors des opérations, le chirurgien va constamment chercher des solutions. C’est son équipe qui va lui indiquer quand s’arrêter, quand il est trop tard et que la vie est partie. »
L’artiste s’est aussi penchée sur la réalité des médecins, des anesthésistes, des cardiologues, etc., et sur leur isolement. « Ils tentent tous de donner une chance à un corps pour qu’il puisse continuer de rêver, de bâtir une société. S’ils n’atteignent pas leur objectif, c’est leur corps qui doit sortir de la pièce et annoncer aux proches la nouvelle, puis rapidement couper ce lien, pour se retrouver dans une profonde solitude la plupart du temps. »
La recherche scientifique et tous ces témoignages ont nourri la création de Rhodnie Désir. Et l’artiste a rapidement apporté au sein de son équipe « la notion de responsabilité ». « Quand je racontais des anecdotes, il y avait un grand respect. Ces personnes, d’une grande ouverture, nous livrent leur vie. Et ce n’est pas tout le monde qui a l’oreille aiguisée pour écouter ça, explique-t-elle. C’était souvent un tremplin d’émotions qu’on faisait ensuite descendre dans les corps. Aujourd’hui, je vois et j’entends encore ces témoignages, incarnés par des interprètes. »
Ce sont plusieurs thèmes, l’attente, le défi, la transplantation, l’amour, qui rythment alors la création.
Développer des langages
Ce n’est pas seulement le corps qui guide la création Symphonie de coeurs, mais bien plusieurs aspects artistiques, comme la scénographie ou encore la lumière, qui sont tout aussi « fondamentaux » pour Mme Désir. « C’est vraiment un tout, une création qui a été possible grâce à tout ce beau monde. Par exemple, on a un immense miroir qui surplombe nos têtes et qui permet de voir l’oeuvre sous différentes facettes, comme pour le chirurgien et le patient lors d’une opération. La lumière, quant à elle, joue avec les microtextures, les transitions et la nuit. Enfin, les costumes transforment et enrobent les corps comme des coffres d’or sur scène », décrit la chorégraphe.
« Venir voir le spectacle, c’est accepter que près de 200 coeurs s’allient en même temps pour livrer un bouquet de 75 minutes », affirme encore Rhodnie Désir. En effet, si on prend en compte les musiciens de chaque orchestre, les interprètes, les personnes qui ont témoigné et la partie technique de la création, ce sont près de 200 personnes qui ont contribué à la naissance de ce spectacle.
De plus, Symphonie de coeurs a été créée en collaboration avec trois orchestres philharmoniques : l’Orchestre du Centre national des arts d’Ottawa, l’Orchestre de la Suisse italienne de Lugano et l’Orchestre Métropolitain de Montréal dirigé par Naomi Woo. Un processus « inspirant » pour Mme Désir. Assez vite dans la recherche, elle a invité les interprètes à assister à des lectures, accompagnées par l’Orchestre Métropolitain, pour qu’ils « comprennent ce que ça provoque dans un corps ». « Aujourd’hui, le son est viscéralement lié à leurs corps », dit-elle.
« Le coeur, c’est aussi la pulsation et la polyrythmie », poursuit Mme Désir. Elle ajoute que le rôle que joue l’orchestre a été beaucoup plus important et étudié qu’elle le croyait. « Je n’aurais pas pu imaginer qu’on allait décoloniser la composition, mais ça a été le cas. C’est rare, une compagnie dont le langage n’est pas eurocentré. C’est pourtant ce qu’on a fait », explique-t-elle.
Ainsi, la musique a été composée par Jorane et le beatmaker Engone Endong, puis transmise aux orchestres. « Engone est le gardien de l’afro-descendance sur scène, ainsi que des rythmiques et de la symphonie. Il fallait que les gens de l’orchestre saisissent les rythmiques afro-descendantes et, grâce à cette formule de réelle cocréation, qui nous a forcés à développer des langages, on arrive à une authenticité à la fin », affirme la chorégraphe.
Avec Symphonie de coeurs, Rhodnie Désir espère insuffler « un hymne à la vie », car au fil de ses recherches, elle a réalisé à quel point elle était « fragile ». « Si on a le privilège de s’asseoir dans cette salle, c’est qu’on est encore en vie, conclut-elle. J’aimerais qu’on saisisse à quel point, tous les jours, on a accès à quelque chose que d’autres n’ont plus. On ne doit plus tenir le corps pour acquis, mais manger la vie, en profiter et continuer à rêver ! »