Le subtil raffinement de Cameron Crozman dans Haydn
Atma Classique publie le premier disque de Nicolas Ellis et des Violons du Roy, qui est aussi le premier offrant la chance au violoncelliste canadien Cameron Crozman de briller en concerto. Un rondo pour violoncelle et orchestre à cordes de Jacques Hétu est associé à une interprétation raffinée des deux concertos pour violoncelle de Haydn.
Ce disque vient à point pour Nicolas Ellis, qui va entamer à l’automne sa première saison à la barre d’un orchestre en France (celui de Bretagne). Il n’est pas documenté dans une grande oeuvre symphonique spectaculaire, mais il l’est avec un ensemble de renom qui jouit d’une grande crédibilité et d’une cote de sympathie.
D’une certaine manière, dans la mémoire des discophiles, la dernière association des Violons du Roy avec un violoncelliste au disque est celle de Bernard Labadie et de Truls Mørk dans Carl Philipp Emanuel Bach chez Erato. La lignée est flatteuse.
Pour Nicolas Ellis aussi, c’est important. Le chef déclarait récemment au Devoir à propos des Violons du Roy : « On m’a nommé, je pense, pour mon affinité avec l’héritage de Bernard Labadie dans la musique du XVIIIe siècle. Je prends plaisir à jouer Haydn, Mozart ou Gluck avec Les Violons du Roy. Mais ils misent aussi sur moi pour amener de la musique de création et des musiques des XIXe, XXe et XXIe siècles. Bref, on compte sur moi pour toucher à ce qu’ils font le mieux, élargir le répertoire et amener des découvertes. »
Fructifier l’héritage
À l’écoute de ce disque, il est important de se souvenir de ces déclarations et d’évoquer cette conscience de cette filiation. La félinité de la baguette de Bernard Labadie dans Haydn était une des « marques de fabrique » des Violons du Roy. Nicolas Ellis fait fructifier cet héritage.
La chose la plus importante est le partenariat qu’il construit avec le violoncelliste Cameron Crozman, qui trouve ici enfin l’occasion de briller avec un orchestre, après cinq disques chambristes, notamment les trois autour de sa personne : Cavatine, l’excellent Tapeo et le plus aride Ricercari.
D’habitude, les partitions de ces concertos sont prises comme des couvertures que les solistes tirent à eux en les agrippant, comme pour en découdre avec elles. Le propos, ici, est beaucoup plus galant, plus « salon princier » que « salle de concert », pas démonstratif, mais chambriste. Cela unifie les deux oeuvres, alors que le concerto en ut est clairement de cette obédience esthétique et que celui en ré, postérieur de deux décennies, destiné au Hanover Square Rooms, salle de concert à Londres, est plus show off. On a tellement entendu de surenchères musclées dans l’interprétation de ces partitions que cette distinction sereine fait beaucoup de bien. La légèreté ailée du finale du ré mineur est admirable, et Crozman concentre la démonstrativité dans des cadences de son cru.
Le couplage avec le Rondo pour violoncelle et orchestre à cordes op. 9 de Jacques Hétu est une excellente idée, qui fera répandre le nom de notre compositeur national. Il s’agit de la première oeuvre concertante du compositeur, alors âgé de 27 ans, une pièce habile et dense de cinq minutes. Rythmique et syncopée, elle doit beaucoup à Bartók. Le lien avec Haydn est orthographique (classement à la lettre « H »), sans plus. Esthétiquement, le couplage idéal serait plutôt une musique d’Europe de l’Est du XXe siècle.
Il est à noter que Cameron Crozman joue sur un violoncelle d’Auguste Sébastien Philippe Bernardel père (1849), prêté par Paul Pulford. Réalisée en juin 2023, la captation précède en effet de deux mois le troisième prêt à Crozman émanant de la Banque d’instruments du Conseil des arts du Canada, un Gennaro Gagliano de 1750, produit de la fine fleur de la lutherie napolitaine. On a hâte d’entendre cette nouvelle acquisition de la Banque d’instruments sur le prochain disque.