Les Dames du lac

Photo: Justine Latour Montage Marin Blanc

La dernière cloche de l’année scolaire a retenti le 20 juin dernier. Mes petits sont « lâchés lousse » dans la nature. Du moins, un peu plus que dans la routine des jours de classes en ville. De ma chambre au chalet, je les entends ricaner, (re)demander un Popsicle, brasser quelques meubles, ouvrir et fermer les moustiquaires. Clac-clac-clac… Les très supportables claquements estivaux. Supportables parce que remplis de promesses de baignades (et tant pis pour la pluie !), de boustifailles, d’arrivées de copains ; des plus jeunes sur lesquels il faut veiller, des plus vieux qu’on admire en secret, qui savent remettre en place le fil à pêche sur la canne, qui peuvent ramener au quai la planche à pagaie quand elle va trop loin, que les minimuscles ne suffisent pas à la tâche. Vive les grands ! Vive Cali aussi, la belle golden retriever que Carolina a amenée et qui sert de doudou aux flos. Aux adultes aussi…

Surtout, vive les Dames du lac. C’est la grande Julie qui a décidé du nom de notre groupe. Cette saison, on se partage les frais de location d’un chalet qu’on aimerait toutes posséder au lac Brome. On se fait croire qu’il est un peu à nous. On élabore des projets impossibles pour en acheter un pareil. On n’en aura jamais un pareil, mais au moins, on a l’impression de goûter un peu au rêve. Du bout des doigts, mettons. Les Dames du lac sont débrouillardes. Les Dames du lac, c’est tous les talents rassemblés sous un même toit. Il y a celles qui savent compter (clairement pas ma catégorie), celles qui savent cuisiner, celles qui savent réparer ce qui brise, même les dents (toujours pas ma catégorie), celles qui savent faire rire, celles qui savent consoler, celles qui préparent les meilleurs cocktails, celles qui en boivent plus que d’autres, celles qui fument en cachette, celles qui dansent pompettes sur du Jean Leloup comme quand on avait 20 ans. Ma fille a honte de sa mère qui hurle « À Alger c’est toujours l’été, on s’amuse bien sur les trottoirs… ». Elle n’oserait pas se plaindre. Hier avec Mia, elles ont joué dans ma trousse de beauté… Je pense qu’il y en a une qui aimerait plaire à Victor qui entre au secondaire en septembre. Une chance pour elle, ici, on dirait que j’ai plus de patience pour les attitudes qu’elle me fait. Je respire mieux. Surtout après les baignades qui fouettent les sens. Les meilleures se font le matin en surprenant le grand héron qui s’envole quand on défait son paysage. Non, les meilleures se font à l’heure bleue… Sans maillot de bain, celles-là. Sans grand héron. Je ne voudrais surtout pas gêner la pauvre bête qui semble si précieuse.

Des messieurs viennent parfois nous visiter. On ne les attend pas tant que ça. Comme dans le roman Les dames du lac, classique de la fantasy écrit par Marion Zimmer Bradley, Merlin l’enchanteur, Arthur et son épée fabuleuse, Lancelot du Lac et ses copains sont d’agréable compagnie, mais ici, ce sont les femmes qui tiennent les premiers rôles de notre épopée. On a l’impression de se coller aux personnages de Viviane, la Dame du Lac, Ygerne, duchesse de Cornouailles, Morgane la fée, soeur et amante du grand roi… D’ailleurs, en débarquant en Estrie avec une caisse de livres, j’ai voulu donner aux Dames fortes et dignes de quoi s’évader de leur boulot prenant. Ces derniers mois, elles ont traversé deuils, séparations, réorientation de carrière, maladie, périménopause de mar…(de). On vieillit un peu quand même. Mes copines sont fortes et dignes. En voyant la pile de bouquins sur la table du salon, elles m’ont donné l’impression que j’étais la mère Noël. Carolina s’est ruée sur Cours vers le danger de Sarah Polley, Sonia hésite encore entre Olivier Adam ou Camilla Läckberg, Julie est appelée par Ce désir me point de Claire Legendre. Je mets de côté les deux tomes de Paul. Formule vacances ! de Rabagliati pour Amélie, qui viendra nous rejoindre dans quelques heures. Pour ma part, je retrouve les mots de Goliarda Sapienza, ma rebelle écrivaine préférée. J’interromps la troupe avec une citation puisée dans L’art de la joie. Les Dames du lac comptent parfois sur les mots des autres pour se remonter.

— Tu as deux petites virgules aux commissures des lèvres, Jo. Ou ce sont deux parenthèses ?

— Ce sont deux rides, Modesta.

— Ce n’est pas vrai ! Ce sont deux parenthèses qui ajoutent du sens à la phrase de ton visage.

On reparlera de nos rides à l’automne.

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