Cayouche est parti avec sa Harley Davidson

Photo: Godefroy Mosry Montage Marin blanc

Le chanteur acadien Cayouche est parti avec sa Harley-Davidson et ne reviendra pas. C’est l’image qui s’est faite dans ma tête en apprenant sa mort, avec à la place des poignées de son guidon, deux petites ailes lui permettant d’aller un peu plus haut, au lieu d’encore plus bas. Parti sans grand bruit, pu d’gaz. Mais tout le monde sait qu’on ne sépare pas un outlaw de sa moto.

Mon amie de Moncton Carol Doucet me rappelle d’ailleurs que, pour le tournage du documentaire Cayouche. Le temps d’une bière (Maurice André Aubin, 2009), la moto de la légende avait été déplacée même jusqu’en France. Je divague, là, mais même si Johnny Hallyday avait pu lui en prêter une… « Mon cheval de fer n’est pas le tien », et vice versa. Un cow-boy partage ses chansons, pas son cheval.

Je continue d’échanger un peu avec Carol, que je devrais présenter comme la sainte Mère de la musique de Moncton, bien avant d’avoir la prétention de la présenter comme une amie. Cette femme-là a hébergé / encouragé / conseillé / fait connaître un nombre incalculable de musiciens de l’Est, en plus de leur donner assurément des lifts (parce que tous n’ont pas une Harley, hein). Bref, elle est devenue pour moi un genre de pont entre le Nouveau-Brunswick et le Québec, et quand je suis allée à Moncton l’automne dernier, j’ai découvert que son chum Luc est chef cuisinier (donc j’avais vraiment intérêt à être son amie).

Pour revenir à Cayouche, une chose attire particulièrement mon attention dans ce bout de l’Acadie Nouvelle du 4 juin que Carol m’envoie, au sujet de la célébration qui aura lieu samedi à la salle paroissiale de Maisonnette :

Cayouche demande aux plus démunis de ne pas faire de dons.

Aux autres, merci de faire un don aux plus démunis.

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Je ne me sens pas assez outillée pour faire le portrait de Cayouche comme Maurice Aubin a pu le faire, mais je peux vous raconter des bribes de ma rencontre avec lui, en 2015.

Il est arrivé en retard à notre rendez-vous, mais il a fini par arriver, et je me souviens alors d’absolument tout : son t-shirt Harley-Davidson, son accent, son odeur, son franc-parler. À ma première question : « Combien de spectacles fais-tu par année ? » Il s’était naturellement exclamé :

« Trop ! Mais c’est pas le show qui est difficile, c’est deux douches la même fin de semaine ! »

J’avais éclaté de rire. La table était mise. Manifestement, j’avais devant moi celui qui aurait pu aussi être l’inspiration de Bad Blake dans le film Crazy Heart (Scott Cooper, 2009), merveilleusement incarné par le grand Jeff Bridges. Une légende du country qui a ses failles, malgré la résistance du bandana rouge qu’il porte jour après jour.

Je lui avais d’ailleurs noué sur la tête ce soir-là, juste avant qu’il monte sur la scène de La P’tite Grenouille, et lui avais demandé : « C’tu correct ? »

Ce à quoi il avait répondu : « El sais pas ! J’vois rien ! »

Et il y a là pour moi dans cette réponse aussi bête que ma question, une partie de l’essence du country : ce n’est pas ce que l’on voit qui est important, c’est ce que l’on ressent.

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Les fans de Cayouche ont tous leur(s) chanson(s) préférée(s) : La chaîne de mon tracteur, Grand-père Jos, Tu m’as flushé, L’alcool au volant… Mais celle de Cayouche lui-même, c’était laquelle ?

Celle au sujet de son père, parti quand il avait quatre ans. Et moi, un peu maladroitement, je lui fais remarquer que « c’est quand même intéressant que sa chanson préférée porte sur quelqu’un qu’il n’a pas connu… » On repassera pour la vivacité d’esprit cette fois-là.

Mon père lui est mort, j’étais jeune / Mais j’m’en rappelle encore de lui

Y m’disait tout l’temps Mon garçon, tiens-toi su’l bon boutte du fusil

Le portrait de mon père dans l’salon / Y est posé là avec maman

Y est accroché là ça fait longtemps / Le portrait de mon père dans l’salon

Me semble que je l’vois encore / Au boutte d’la table d’la cuisine

Des fois y fait brailler ma mère / Avec sa grosse bouteille de gin

Y a travaillé toute sa vie / Pour nous bâtir une bonne maison

C’est pour ça que j’peux pas l’oublier / J’ai accroché son portrait dans l’salon

C’est la fin du show pour toi aussi, Cayouche. Tu avais raison d’aimer le picking à la guitare dans Le portrait de mon père, et de trouver les paroles « pas pire » ! Souvent, grâce aux chansons, on arrive à mieux se ressentir soi-même, ou même ressentir la présence d’une personne partie. Sans compter que la musique donne une voix à tout le monde, même les démunis.

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